Avec son nouveau magasin de Nice, Ikea confirme sa stratégie multi-formats
L’ouverture d’un trente-sixième magasin, à Nice le 11 mai, dans le quartier Saint-Isidore, signe la fin d’un long combat. Et entérine une nouvelle ère de développement, autour de formats de magasins plus variés les uns que les autres.
Ikea France en chiffres
- 2,88 Mrds € de CA au 31 août 2021, dont 1 Mrd € en ligne
- 37,5 M de visites en magasins sur sept mois et demi d’ouverture
- 36 magasins
- 12 182 salariés
- 3 M de livraisons à domicile (+ 56 %)
- 650 M € d’investissements sur trois ans, dont la moitié pour les magasins et l’autre pour le digital et l’écologie
Source : Ikea
Ingvar Kamprad, fondateur d’Ikea, fut le premier à travailler sur le projet d’un Ikea à Nice, avant que les dirigeants français de l’enseigne suédoise dans les années 2000, Per Kaufmann et Jean-Louis Baillot, ne prennent le relais. Mais c’est à l’Autrichien Walter Kadnar, PDG d’Ikea France depuis cinq ans, que reviendra le privilège de l’inaugurer le 11 mai. Avec, à ses côtés, toute une classe politique locale qu’il a fallu convaincre. Notamment, d’accepter un projet mixte : sur une surface de 24 000 mètres carrés, le magasin est entouré de logements, de bureaux et commerces. « Consommation, travail, logement, loisirs sur un même espace : ce que Christian Estrosi fait là, c’est le rêve d’Anne Hidalgo ! », résume Walter Kadnar, tout sourire.
Un rêve qui a longtemps tourné au cauchemar. De l’opposition des concurrents, hostiles à l’installation du géant de l’ameublement au cœur de l’une des zones de chalandise au plus fort pouvoir d’achat dans l’Hexagone, à celle des associations de riverains soucieux de préserver le paysage, le projet a échoué à plusieurs reprises.
Un temps envisagées, les communes de Cagnes-sur-Mer, Gilette ou Vintimille (Italie) ont fini par jeter l’éponge. En 2007, Mougins, sur les hauteurs de Cannes, semblait tenir la corde, avant que le maire de la commune voisine de Mouans-Sartoux n’attaque le permis de construire et que la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) ne rejette le dossier.
Ikea s'insère dans un écoquartier à Nice
De loin, les 32 312 m² du magasin passeraient presque inaperçus. « Nous avons respecté la totalité de l’éco-environnement », explique Walter Kadnar, PDG d’Ikea France. Tout autour, 265 logements loués par Bouygues et Vinci et 24 petits commerces en rez-de-chaussée. 300 places de parking sont accessibles en extérieur, le reste dans les sous-sols. Sur le toit, 3 100 panneaux photovoltaïques captent la lumière du Sud, et 10 000 m² de verdure masquent ce qui doit l’être. « Cela nous permet d’assurer 40 % des besoins énergétiques du magasin », poursuit Walter Kadnar. Un atout non négligeable en ces temps de flambée des coûts de l’énergie. Surtout pour un magasin de 24 000 m² de surface de vente… À l’intérieur, cet Ikea se révèle plus classique. Comme à l’accoutumée, le géant suédois a interrogé des habitants de la zone (300 d’entre eux). Résultat : cinquante espaces de vie, mettant en valeur ce que les Niçois aiment : l’espace extérieur et la cuisine.
En chiffres
- 24 000 m² de surface de vente
- 10 000 références
- 1 200 m² dédiés à la préparation des commandes
- 120 M € d’investissements
- 40 bornes de recharge électrique
- 360 salariés
Source : Ikea
Le prix de la ville
C’est dire si l’ouverture de ce 36e magasin, conçu par l’architecte Jean-Michel Wilmotte, revêt un caractère symbolique. Son insertion dans l’écoquartier de Saint-Isidore, près du stade Allianz Riviera et de l’autoroute A8 et à trente minutes de la place Masséna, en plein centre-ville, répond aussi à une tendance de fond. À Nantes, Lidl aussi a cédé à la tentation (ou l’obligation) d’assortir de logements la création d’un magasin. « Dans les prochaines années, ce sera la seule solution pour implanter des magasins », soupire Christophe Gazel, délégué général de l’Institut de prospective et d’études de l’ameublement (IPEA).
Pour faire aboutir le projet niçois, Ikea a cassé sa tirelire et mis 120 millions d’euros sur la table, contre 40 millions « seulement » pour le magasin de 18 000 mètres carrés de Mulhouse, en 2015. Rapportée à l’enveloppe globale – 650 millions d’euros d’investissements pour la période 2022-2025 –, l’opération Nice pèse lourd. Selon Christophe Gazel, quinze années seront nécessaires pour rentabiliser la somme investie. Le chiffre d’affaires devra également être à la hauteur, estimé à 150 millions d’euros annuels, au minimum. « Le coût d’installation est certes très élevé au mètre carré, mais la zone de chalandise vaut le coup », assure Christophe Gazel. C’est peu dire, en effet, que le nombre de résidences secondaires y est très élevé ! Aujourd’hui, Ikea retourne l’opération à son avantage et présente le magasin niçois comme une vitrine de ses dernières innovations, tant sur le plan commercial qu’écologique. À l’intérieur, comme à l’extérieur, l’enseigne met le paquet en termes de services. Une quarantaine de bornes de recharge électriques sont ainsi disponibles sur le parking. Dans le magasin, 1 200 mètres carrés sont dévolus à la préparation des commandes en ligne. Et sur le toit, quelque 3 000 panneaux photovoltaïques participent aux économies d’énergie déployées par le géant suédois. « Ce n’est pas seulement un choix, c’est aussi une conviction, affirme Walter Kadnar. En France, nous disposons de plusieurs éoliennes et de 54 000 panneaux captant la lumière et la chaleur. Nous produisons ainsi 148 % de nos besoins en énergie, nous permettant de contribuer à l’énergie verte dans l’Hexagone ».
Ikea fait des petits dans l’Hexagone
Depuis qu’Ikea a commencé à explorer de nouveaux formats avec ses magasins parisiens, rien ne l’arrête. Il y a deux ans déjà, dans le centre-ville de Nice, à deux pas de l’avenue Jean-Médecin, l’enseigne ouvrait un « atelier de conception » pour les cuisines et les dressings. Sur 350 m², des conseillers y reçoivent les clients désireux de concrétiser un projet d’aménagement de leur maison. L’été dernier, le groupe poursuivait sur sa lancée en ouvrant deux « points de conseil », en plein cœur de Toulouse et à Perpignan, où les clients doivent prendre rendez-vous avant de s’y rendre. Aujourd’hui, et en l’espace d’un mois, Ikea en ouvre trois autres, à Lyon, Bordeaux et Besançon, toujours de moins de 100 m², et toujours spécialisés dans la planification. Une manière de tenter d’attirer tous les types de clientèle… et d’arrondir ses marges.
Un entrepôt, des fonctions
La prochaine ouverture d’envergure pour Ikea se jouera côté entrepôt. L’enseigne suédoise a investi 150 millions d’euros dans un nouvel outil logistique qui verra le jour en 2026 à Limay, dans les Yvelines. Ici aussi, le projet se drape de vertus écologiques. Les livraisons seront assurées par voie fluviale (via la Seine) et devraient couvrir 80 % du volume des marchandises du bassin d’Île-de-France. Des tests similaires sont déjà menés à l’entrepôt de Gennevilliers.
À chaque entrepôt, ses fonctions : celui de Limay servira aux magasins, mais également au digital. « Il faut toujours travailler les deux en parallèle, soutient Walter Kadnar, pour qui l’expérience est complémentaire. Nous avons doublé le chiffre d’affaires en ligne durant le Covid, alors que les magasins sont restés fermés quatre mois et demi en 2021 ». Dans son entrepôt près de Lyon, Ikea teste, depuis un mois et demi, une ligne de préparation de colis entièrement automatisée. Ce qui lui permet de traiter trois millions de colis supplémentaires par an. Au total, en 2021, sur un exercice clos le 31 août, Ikea a réalisé plus d’un tiers de ses ventes en ligne en France, pour un montant d’un milliard d’euros. Quatre ans plus tôt, le total s’élevait à 100 millions d’euros, soit 4 % du chiffre d’affaires global. Une accélération due à la pandémie, bien sûr, mais aussi, et surtout, à une femme, Barbara Martin Coppola. Venue de Google et de YouTube, elle a pris tout le digital d’Ikea à bras-le-corps en 2018 – depuis mars 2022, elle a rejoint Decathlon en tant que directrice générale.
« Points de conseil »
Pour compléter cette offensive sur le web, Ikea poursuit son maillage de l’offre d’ameublement français à l’aide de formats de magasins divers et variés. Encore que le terme « magasin » ne soit plus vraiment adapté pour désigner les points de contact qu’il inaugure à travers la France. Walter Kadnar lui préfère d’ailleurs l’expression « points de conseil » pour désigner les deux espaces ouverts à Toulouse et Perpignan l’été dernier. Un test visiblement concluant qu’Ikea décline aujourd’hui à Lyon Part-Dieu, Besançon et Bordeaux, dans le centre commercial Mériadeck situé dans le centre-ville. D’une superficie inférieure à 100 mètres carrés, ils imposent de prendre rendez-vous au préalable. Et sont, pour Ikea, le terrain d’essai de nouvelles technologies. À Perpignan, un espace de réalité augmentée sur 9 mètres carrés (sans casque, mais avec une tablette) permet ainsi de se projeter dans les pièces de la maison. Ces points de conseil, générateurs de marge pour un moindre investissement, viennent en complément des ateliers de conception déjà existants. Enfin, 2022 devrait également voir naître un autre projet : celui d’un magasin entièrement consacré à une offre d’occasion. Il ouvrira à Paris.