Casino et Conforama : les raisons du rapprochement aux achats
D’ici au 1er décembre, une dizaine d’acheteurs devraient négocier les achats de machines à laver et de téléviseurs auprès des grandes marques pour deux groupes, Casino et Conforama. Mano sera leur centrale d’achats commune. Une alliance qui a du sens alors que se construit le nouvel ensemble Fnac-Darty.
MAGALI PICARD, AVEC MORGAN LECLERC
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MAGALI PICARD, AVEC MORGAN LECLERC
Quatre lettres, deux syllabes. Mano, c’est le nom donné à la nouvelle centrale d’achats créée par deux groupes emblématiques chacun dans son secteur, Casino et Conforama, l’un sur l’alimentaire, l’autre sur la maison. Mano donc, comme les deux dernières syllabes de ces deux enseignes. Mano aussi, comme main dans la main en espagnol, pour reprendre la célèbre formule du général de Gaulle en visite au Mexique en 1964 : « la mano dans la mano ». Ensemble donc, le numéro cinq de l’alimentaire en France et le numéro deux de l’ameublement derrière Ikea vont faire achats communs. Seulement les achats. Le communiqué est clair : « Mano viserait à optimiser les achats des deux groupes en France auprès des plus importants fournisseurs internationaux de produits électroménagers et électrodomestiques. » Sony, Philips, Panasonic, LG, Samsung, une trentaine de fabricants du moins au départ, de réfrigérateurs, de téléviseurs ou d’ordinateurs, se verront proposer des conditions tarifaires communes pour les prochaines négociations commerciales 2017. Au total, c’est un volume d’affaires de 1,3 milliard d’euros qui serait concerné.
Le nom trouvé, les deux dirigeants aussi : deux transfuges de chacune des enseignes, Thierry Huz et Abel Mercier ; le lieu : à mi-chemin entre les deux sièges, du côté de Bercy Village ; la date : avant le 1er décembre… rien ne manque à cette union. Même l’Autorité de la concurrence ne devrait pas y mettre un bémol, puisque ce n’est qu’à partir d’un business de 3 milliards d’euros qu’elle doit donner son aval. De l’aveu d’un porte-parole de Casino, les choses se sont faites très vite. « L’accord a été négocié rapidement et récemment. » Dans les coulisses, il se dit que Casino serait allé chercher un Conforama un peu dépité.
La riposte à la Fnac
Car nul besoin d’être grand clerc pour comprendre que la création de Mano tombe à point nommé pour le grand perdant de la bataille face à la Fnac. Au terme d’une surenchère homérique, cette dernière a en effet racheté Darty, constituant ainsi un groupe multispécialiste de 7,5 milliards d’euros, un acteur de poids pour peser dans les futures négos commerciales. À eux seuls, les produits techniques, le brun et le gris, représentent la moitié (3,7 milliards d’euros) de ce nouvel ensemble. Quant à l’électroménager, il correspond à 42 % des ventes de Darty. Face à ce mini-empire, Conforama se devait de riposter. Depuis le mois de mai, son propriétaire sud-africain, Steinhoff, fait feu de tout bois. Il a pris une participation de 50 % dans Cofel, premier fabricant de matelas français connu pour les marques Epeda, Bultex et Merinos. Outre-Atlantique, il négocie les rachats de Poundland en Grande-Bretagne et de Mattress Firm aux États-Unis, l’un des plus gros distributeurs de literie avec 3,8 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 3 500 magasins.
Cette fois, c’est Conforama qui est aux manettes. « La nouvelle structure sera détenue à 50/50 par Conforama et Casino », précise Alexandre Nodale, le patron de Conforama, qui botte en touche dès qu’on aborde le sujet Fnac-Darty. « Ce partenariat s’inscrit dans un environnement de plus en plus concurrentiel, où la concentration se fait plus forte, tant du côté des fabricants que des distributeurs. Pour nous, c’est très important puisque, avec les produits techniques, ce qu’on appelle le “blanc-brun-gris” pèse presque 40 % du chiffre d’affaires de Conforama. Cela va forcément apporter plus de compétitivité sur ces produits. » Voilà pour la réponse officielle. Les analystes, eux, peuvent prendre plus de risques. « Le rapprochement Fnac-Darty a accentué la pression, explique Yves Marin, spécialiste de la distribution chez Kurt Salmon. Casino et Conforama étant complémentaires, et pas directement concurrentes, cette alliance peut marcher. »
« Un raisonnement à court terme » ?
Aux 100 millions d’euros de synergies annoncées par Alexandre Bompard, le patron de la Fnac, Mano répond par la bagatelle de 50 millions d’euros, 30 pour Casino et autour de 20 pour Conforama. Une proportion qui correspond à la répartition du futur volume d’achats entre les deux protagonistes, 800 millions d’euros pour Casino et 500 pour Conforama, selon les estimations faites par Natixis. 30 millions d’euros de gains, cela signifie une amélioration des conditions d’achat de 3 %, calcule le cabinet d’analystes. Jouable, quand on sait que les seuls produits électroniques drainent plus d’un tiers des ventes (38 % exactement) chez Cdiscount. Le site de Casino, ainsi que le format des hypermarchés, sont les premiers concernés par les futurs gains que produira Mano. Un pari d’autant plus vrai que Casino joue la complémentarité de réseau grâce à des points de retrait Cdiscount et à des corners avec les « best » du site dans ses hypers. Au final, Casino pourrait en retirer 0,5 point de marge incrémentale, d’après les calculs des analystes. « Les distributeurs cherchent tout ce qu’ils peuvent pour trouver de la marge. Donc ils massifient les achats. C’est un raisonnement à court terme », note un consultant.
Le groupe dirigé par Jean-Charles Naouri a besoin également de montrer que ses stratégies d’alliances sont payantes, alors que sa rentabilité en France se dégrade. « Ces dernières années, les distributeurs ont un peu perdu la main face aux grands fabricants internationaux en électromestique. Ces alliances permettent donc indéniablement de remettre un coup de pression aux négociations commerciales », analyse Cédric Ducrocq, PDG du groupe Dia-Mart. Les exemples de mariage aux achats ne manquent pas. C’est une tradition dans l’alimentaire. Qui se souvient de Lucie, la centrale commune montée par E. Leclerc et Système U au siècle dernier, ou d’Opéra, le doux nom choisi pour l’alliance de Cora et de Casino ? Encore récemment, il y a deux ans, Auchan a trouvé Système U (encore !) pour remplir son panier, et Casino, Intermarché.
Une opération aux visées plus tactiques que stratégiques
Et il ne faut pas croire que ce genre de manœuvre est l’apanage des distributeurs alimentaires. Dans le sport, Sport 2000 avait créé une structure commune avec Go Sport ; dans le jouet, King Jouet s’est pacsé cette année avec Picwic ; dans l’électronique et le bricolage, les unions aux achats sont légion, entre Boulanger et Phox ou Bricomarché qui fait partie d’un groupement pour les achats, Arena réunissant sept enseignes dans douze pays. Mais est-ce la bonne réponse pour peser davantage dans le grand marché du blanc-brun-gris ? « Cette opération est tactique plus que stratégique, répond Cédric Ducrocq. Ces alliances ne transforment en rien le business model ou le marché, et ont une durée de vie incertaine. En revanche, il est exact que, à court terme, elles rapportent du cash, de la marge. Et que, aujourd’hui, les distributeurs recherchent du cash. »
D’autres distributeurs pourraient-ils être tentés à leur tour ?
Pour que Mano remplisse ce rôle, il va falloir contourner un certain nombre d’obstacles. Premier concerné par l’alliance, Cdiscount. Or, ses méthodes d’achat, de l’avis des professionnels, ne ressemblent pas à celles de Conforama. « Cdiscount, adepte des coups, peut se contenter de modèles de téléviseurs qui ne sont pas du dernier cri, alors que Conforama se doit de proposer les dernières technologies », raconte un distributeur. Sans compter qu’il est toujours difficile de négocier les prix sans négocier le reste, comme les plans d’affaires et les plans promotionnels. Les chances de réussite dépendent aussi de la bonne entente des dirigeants. Enfin, les exemples passés ont plutôt montré que les alliances aux achats fonctionnaient bien à l’échelle européenne.
Mais, devant la chasse aux gains entamée par la plupart des distributeurs, il est fort à parier que Mano fera des petits. Demain, on pourrait ainsi imaginer que But fasse achats communs avec Media Saturn en Allemagne ou avec Dixons en Grande-Bretagne.
Alexandre Nodale, PDG de Conforama
«Ce partenariat s’inscrit dans un environnement de plus en plus concurrentiel, où la concentration se fait plus forte, tant du côté des fabricants que des distributeurs. Pour nous, c’est très important puisque, avec les produits techniques, ce qu’on appelle le “blanc-brun-gris” pèse presque 40% du chiffre d’affaires de Conforama. Cela va forcément apporter plus de compétitivité sur ces produits. Les équipes seront très courtes, composées d’une petite dizaine de personnes. Elles travailleront au départ sur une trentaine de marques, les plus gros fournisseurs. Demain, ce sera peut-être plus. Pour qu’un rapprochement aux achats fonctionne, il faut que ce soit simple. »
Une centrale commune, pour quoi faire ?
- Son nom : Mano, pour la dernière syllabe de « Conforama » et de « Casino ».
- Sa structure : une équipe réduite, entre 7 et 10 personnes, dirigée par un tandem issu de Conforama et de Casino.
- Ses dirigeants : Thierry Huz, jusqu’à présent directeur commercial, marketing et e-commerce de Conforama, et Abel Mercier, qui dirige chez EMC, la centrale d’achats de Casino, les achats pour les PGC (produits de grande consommation).
- Son volume d’affaires : 1,3 milliard d’euros, soit 40 % du chiffre d’affaires de Conforama. Selon les analystes, cela ferait 800 millions d’euros pour Casino et 500 M € pour Conforama.
- Ses objectifs : gagner des points marge aux achats (aux alentours de 0,5 point).
- Sa mise en place : avant le 1er décembre.
Le « blanc-brun-gris », des familles stratégiques pour Casino et Conforama
- 21 % du chiffre d’affaires de Conforama dans l’électroménager et 15 % dans les produits techniques.
- 44 % de l’activité de Cdiscount dans la maison et l’électroménager
- 30 M€ de gains à l’achat pour Casino
Source : Casino
Les avantages pour chacun
- À la suite de l’échec du rapprochement avec Darty, puis du rachat du fabricant de literie Cauval, Conforama devait bien trouver un lot de consolation. Certes, les synergies aux achats avec Casino ne seront pas aussi élevées qu’avec Darty – un tiers de l’activité, soit 2,5 Mrds €, pouvait être concerné –, mais l’électroménager est source de volumes à l’achat. Les experts tablent sur 500 M€ de volumes d’achats pour Conforama et un gain de marge de l’ordre de 0,5 pt.
- Pour Casino, et notamment Géant et Cdiscount, l’intérêt apparaît encore plus évident. Au-delà de l’aspect chiffres, l’opération contribue à la stratégie de séduction du groupe. Casino doit montrer que les alliances qu’il noue sont payantes et rentables, bien sûr.
Un tandem de choc
À la tête de Mano, un duo issu des deux nouveaux mariés. Côté Conforama, c’est Thierry Huz qui représentera l’enseigne. Nommé au printemps dernier pour chapeauter trois services, le commercial, le marketing et l’e-commerce, il est entré en même temps au comité exécutif. Celui qui a débuté sa carrière chez Conforama comme chef de rayon connaît parfaitement le secteur de l’électroménager et des téléviseurs puisqu’il a passé trois ans chez Darty et trois ans à La Compagnie du lit. Venu d’EMC, la centrale d’achats du distributeur alimentaire, Abel Mercier prendra la casquette Casino. Il a effectué toute sa carrière au sein de la centrale, qui revendique la troisième place hexagonale en termes de puissance d’achat avec 13 % de part de marché.
"Cette opération est tactique plus que stratégique. Ces alliances ne transforment en rien le business model ou le marché, et ont une durée de vie incertaine. En revanche, il est exact que, à court terme, elles rapportent du cash, de la marge. Et que, aujourd’hui, les distributeurs recherchent du cash".
Cédric Ducrocq, fondateur du cabinet Dia-Mart
"Ce n’est pas vraiment une surprise. Casino est déjà très rodé à l’exercice. C’est un phénomène courant en alimentaire qui inspire le non-alimentaire. Comme Casino et Conforama sont complémentaires, et pas concurrents directs, cela peut très bien fonctionner".
Yves Marin, consultant Chez KSA