Casino-Teract, plus qu'une alliance de circonstance

L’idée d’un rapprochement entre ces deux acteurs très différents laisse perplexe nombre d’experts. Pourtant, à y regarder de plus près, elle répond à des intérêts stratégiques majeurs pour les deux parties et pour leurs actionnaires. Analyse.

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Casino-Teract, plus qu'une alliance de circonstance
De gauche à droite. Un rapprochement serait en vue entre Jean-Charles Naouri (PDG de Casino) et Teract, constitué de Moez-Alexandre Zouari (Groupe Zouari), Thierry Blandinières (InVivo), et Xavier Niel et Matthieu Pigasse (2MX Organic). Le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky pourrait aussi jouer un rôle. (© Denis Allard/Leextra via Opale.photo ; Pierre Vassal ; Laetitia Duarte ; Sébastien Soriano/Figarophoto.com ; Stanislav Krupar/Laif-Rea)

Près de deux semaines après l'annonce d'un rapprochement possible entre Casino Distribution France et Teract, les interrogations vont bon train. Elles portent sur l'intérêt et le sens d’une alliance entre un distributeur alimentaire en perte de vitesse, mais propriétaire de deux belles enseignes en France, Monoprix et Franprix, et un nouveau venu, Teract. Ce champion français des jardineries est issu d’un attelage original – d’aucuns diraient bancal – entre deux financiers de haut vol, Xavier Niel et Matthieu Pigasse, et un distributeur spécialiste du commerce de proximité en pleine ascension, Moez-Alexandre Zouari (aux manettes de Picard, de 120 Franprix et Monop’ et acquéreur de Stokomani). Le tout chapeauté par un acteur agricole majeur, InVivo, leader français des céréales et deuxième coopérative européenne, qui n’a de cesse de grossir et dit vouloir construire l’agriculture décarbonée de demain.
Bien sûr, aucun des deux camps ne veut détailler les discussions, qualifiées dans un communiqué commun d’« exploratoires » et de « préliminaires » et tempérées par un prudent qui « pourraient ne pas aboutir ».

Engouement à la Bourse

Officiellement, c’est une fuite dans les médias, en l’occurrence à Bloomberg, qui aurait poussé les deux parties à reconnaître qu’une alliance était à l’étude. Fuite qui a créé un engouement inédit autour des deux titres. Depuis le 1er février et l’officialisation des discussions, l’action Teract a gagné 19% et celle de Casino 1% (au 9 février).
Avantage Teract, direz-vous. Certes, mais le battage autour de ce rapprochement fait les affaires de Casino, que beaucoup jugeaient dans une impasse stratégique et financière. Oubliés pour un temps les plus de 5 milliards d’euros de dettes à rembourser d’ici à 2027 (dont 3 d’ici à 2025) par la cascade de holdings qui contrôlent le groupe et qui grèvent l’exploitation de son principal actif, Casino ; place à l’esquisse d’un projet structurant et riche de perspectives.

Nous sommes en train d’inventer un nouveau modèle de distribution du champ à l’assiette.

Un proche de Teract

Une bouffée d’oxygène pour le patron et actionnaire majoritaire du groupe (il en contrôle 51,7% via Rallye), Jean-Charles ­Naouri, 73 ans, sans successeur désigné, avant la présentation de résultats 2022 qui s’annonceraient délicats. Isolé, il voit ainsi s’ouvrir une solution originale avec un acteur qui ne fait pas partie de l’establishment de la distribution française avec qui il a, en vain, cherché des alliances ces dernières années. Acteur qui a l’avantage de ne pas être un concurrent direct, écartant les risques d’un démantèlement, d’une casse sociale et d’un rejet des autorités de la concurrence.

Communiqué lapidaire

Mais de quel projet s’agit-il exactement ? Le communiqué commun l’explique en deux phrases lapidaires : rapprocher les « activités de distribution des deux groupes en France au sein d’une même entité contrôlée par Casino », tout en mettant en place une structure « nouvellement créée, contrôlée par les actionnaires de Teract et chargée notamment de l'approvisionnement en produits agricoles, locaux et circuit court ». En somme, « à moi la distribution, à toi l’approvisionnement en produits agricoles », le tout contrôlé par des participations croisées susceptibles d’évoluer dans le temps.
Pour Teract, l’opération présente au moins trois intérêts stratégiques majeurs. D’abord s’ouvrir les portes de la distribution alimentaire, un marché où son directeur général et actionnaire, Moez-Alexandre Zouari, rêve de construire un concurrent de poids à Grand Frais, ce qui était déjà l’objectif du Spac qu’il avait monté avec Xavier Niel et Matthieu Pigasse, 2MX Organic, fusionné début 2022 dans In­Vivo Retail pour créer Teract, mais qu’il tardait à concrétiser. Seconde opportunité : ouvrir au principal actionnaire, la coopérative InVivo, des débouchés pour ses productions agricoles. Essentiellement des ­céréales à ce jour, mais le groupe coopératif se voit comme un acteur majeur de la révolution à venir autour des protéines végétales. Et, enfin, s’offrir la possibilité de prendre progressivement le contrôle de ce pôle. «Nous sommes en train d’inventer un nouveau modèle de distribution du champ à l’assiette », s’enflamme un proche de Teract, qui assure que « demain, la maîtrise des matières premières sera une barrière à l’entrée clé pour la distribution alimentaire ».

En mettant la main sur les actifs de Casino dont tout le monde rêve, Monoprix et Franprix, avec moins de la moitié de sa dette, Teract fait figure de grand gagnant.

Clément Genelot, analyste chez Bryan, Garnier&Co,

Tour de magie

À quoi pourrait ressembler le futur Casino-­Teract, et combien portera-t-il de la dette du groupe Casino et de ses holdings (5,9 milliards d’euros) ? Selon Clément Genelot, analyste chez Bryan, Garnier & Co, l’ensemble, qui réaliserait un CA d’une quinzaine de milliards d’euros pour une marge Ebit d’un peu plus de 4%, pourrait être valorisé à 3,1 milliards d’euros et détenu à 65% par Casino et à 35% par Teract sur la base des capitalisations actuelles des deux groupes. Converti en droits de vote, cela donnerait 40% pour Naouri, 35% pour les actionnaires de Teract (la minorité de blocage) et 25% aux minoritaires de Casino. Toujours selon Bryan, Garnier & Co, Casino-Teract porterait 2,4 milliards d’euros de dettes (2,3 milliards de dettes de Casino liées à la France ou garanties sur des actifs français, 100 millions d’euros pour Teract), ce qui serait supportable avec des actifs à 4,4 milliards d’euros pour Casino France et 500 millions d’euros pour Teract.
Jolie manœuvre, au passage, car en fusionnant ses activités en France avec un acteur spécialiste des jardineries, Jean-Charles Naouri construirait une entité cotée dont il resterait l’actionnaire de référence, valorisée près de trois fois plus que le groupe Casino lui-même. Chapeau l’artiste ! Alourdi par ses dettes, le groupe ne vaut plus aujourd’hui que 1,25 milliard d’euros. Et, après l’opération, ne logeraient plus dans Casino, délesté de la France, que l’e-commerce (C­nova), les participations en Amérique latine vouées à être vendues et beaucoup de… dettes. Une pilule que les créanciers pourraient trouver dure à avaler et qui explique sans doute que les tractations traînent.
Pour autant, c’est Teract qui s’en tire le mieux dans ce scénario. « En mettant la main sur les actifs de Casino dont tout le monde rêve, Monoprix et Franprix, avec moins de la moitié de sa dette, il fait figure de grand gagnant », apprécie Clément Génelot. Reste à savoir si l’opération aboutira ? « Elle est préparée de longue date en tout cas », assure très bon connaisseur de Naouri. Il en veut pour preuve le regroupement des activités France dans une même entité juridique, décidé par le PDG de Casino dès juin 2022, sans lequel le rapprochement aurait été plus complexe.

Mèche allumée

Autre signe, venu de l’autre camp celui-ci, la prolongation anticipée, dès septembre 2022, de la master franchise qui lie Moez-Alexandre Zouari à Casino, un engagement financier et symbolique important. Et que dire de la décision surprenante de Jean-Charles Naouri de transformer au début de l’été sine die ses 61 hypers Géant en Casino #Hyper Frais ? Autant de cellules idéales pour le futur concurrent de Grand Frais que Teract rêve de déployer.
Plus largement, l’initiative ouvre une reconfiguration du secteur. « La mèche est allumée et devrait faire bouger les grands, notamment Auchan et Carrefour, qui pourraient être tentés de se positionner ou de reprendre langue, note un expert. Le retail français a été stable trop longtemps, il a besoin d’innovation. » Et de citer d’autres acteurs affaiblis, tel le groupe Louis Delhaize (Cora et Match), en rappelant des solutions examinées un temps puis abandonnées, comme un rapprochement entre Casino et Intermarché, déjà alliés aux achats. Dans cette course aux alliances rouverte, celle entre Casino et Teract a le mérite d’être innovante. Sera-t-elle pertinente ? La réponse ne devrait pas tarder.

Les forces en présence

Casino Distribution France, entité juridique constituée depuis juin 2022 par Jean-Charles Naouri, abrite 603 Monoprix et affiliés, 246 Naturalia, 1069 Franprix et affiliés, 461 supermarchés Casino, 77 hypers et plus de 6000 magasins de proximité, la plupart franchisés (données à fin septembre 2022), mais aussi RelevanC et DataMax. Pour un CA de 14 Mrds € et un Ebit de 554 M €.

Teract, structure regroupant le Spac 2MX Organic (fondé par Xavier Niel, Matthieu Pigasse et Moez-Alexandre Zouari) et InVivo Retail, exploite 1700 magasins, dont 130 boulangeries Louise rachetées fin 2022, quelques supermarchés Frais d’Ici et Bio&Co et, surtout, des jardineries Jardiland, Gamm vert et Delbard. Son CA 2022 devrait avoisiner le milliard d’euros pour un résultat opérationnel de plus de 100 M €. La société, cotée et détenue à 75,9% par InVivo, 5,86% par Zouari et 3,41% chacun par Niel et Pigasse, dit disposer de 100 M € pour investir.

Le projet

Rapprocher les activités de distribution des deux groupes en France dans une même entité, contrôlée par Casino, et créer une structure, contrôlée par les actionnaires de Teract, chargée de l’approvisionnement en produits agricoles, locaux et de circuit court. Selon Bryan, Garnier&Co, l’ensemble pourrait être valorisé 3,1 Mrds € et détenu à 65% par Casino et 35% par Teract. En droits de vote, cela donnerait 40% pour Naouri, 35% pour les actionnaires de Teract et 25% pour les minoritaires de Casino. L’ensemble porterait 2,4 Mrds € de dettes face à des actifs évalués à près de 5 Mrds € (4,4 Mrds pour Casino France, 450 M pour Teract).

Les protagonistes de ce possible rapprochement

Jean-Charles Naouri peut souffler. À 73 ans, le PDG et principal actionnaire de Casino semblait dans une impasse, face à un mur de dettes et sans successeur connu, cédant un à un ses actifs. L’alliance avec Teract lui offre non seulement un répit de deux ans pour faire face aux échéances de sa dette, mais aussi une nouvelle et belle histoire autour d’un concept a priori innovant, ainsi que des successeurs potentiels qui lui permettraient de quitter la scène la tête haute, sans démanteler son groupe en France et sans casse sociale.

Moez-Alexandre Zouari, en successeur potentiel. Le PDG du groupe Zouari et DG de Teract est un allié de vingt ans de Casino et Naouri, dont il est le principal franchisé en France. Il œuvre depuis des mois à un rapprochement avec Casino et  à la création d’une enseigne alimentaire capable de rivaliser avec Grand Frais. Les deux hommes, dit-on, s’estiment, et Zouari a prouvé, en prenant le contrôle de Picard, Maxi Bazar et Stokomani, qu’il avait une autre stature que celle d’un simple master franchisé. Celle d’un successeur ?

Thierry Blandinières, en mission. C’est l’une des inconnues de ce projet d’alliance originale. Pourquoi l’ambitieux et visionnaire DG d’InVivo et président d’InVivo Retail se lancerait-il dans le commerce alimentaire, métier très éloigné de celui de la fédération de coopératives qu’il dirige ? Pour assurer un débouché sûr à ses productions et peut-être à d’autres à venir, disent des proches, à condition de convaincre les agriculteurs qu’il représente que c’est une solution d’avenir.

Xavier Niel et Matthieu Pigasse, en appui. On ne connaît pas le rôle exact ni les intentions des deux investisseurs et coactionnaires de 2MX puis de Teract, mais ils ont une grosse surface financière, de l’influence et la capacité de lever vite des fonds. Certains se demandent si Xavier Niel, compagnon de la fille de Bernard Arnault, ne roulerait pas un peu pour son beau-père dans cette nouvelle aventure. Bernard Arnault pourrait être intéressé par Monoprix après son retrait de Carrefour.

Daniel Kretinsky, en arbitre. Peu de gens l’évoquent mais le très discret et francophile milliardaire tchèque pourrait lui aussi jouer un rôle clé dans l’équation. Très présent dans les médias français, il possède un peu plus de 10% du capital de Casino à travers Vesa depuis septembre 2018 et connaît bien Matthieu Pigasse, à qui il a racheté ses parts dans Le Monde, et Xavier Niel avec qui il est coactionnaire du grand quotidien français notamment. Un arbitre ? Plus ?

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