Charcuterie, le marché rit, la filière souffre
Si les produits de charcuterie affichent une croissance sereine en GMS, l’amont souffre. Abattoirs en faillite, baisse de la production, produits vendus au rabais chez les distributeurs, embargo russe... La filière porcine peine à sortir la tête de l’eau. Pourtant, il y a urgence.
Julie Delvallée
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Julie Delvallée
Côté pile, le marché de la charcuterie est à la fête. Toujours en croissance, ses piliers que sont le jambon cuit, les jambons crus et lardons affichent une bonne santé pérenne. Il faut dire que ces produits bénéficient de nombreux atouts aux yeux des consommateurs : ils offrent des solutions pratiques, abordables, leur date limite de consommation est en général plus longue que la viande fraîche, ils constituent donc des habitués idéaux des fonds de réfrigérateur. Mais le revers de la médaille est tout autre. La cochonnaille a beau être très prisée des Français (taux de pénétration de 100%), la filière porcine, elle, est en souffrance. Baisse de la production de porcs en France, concurrence européenne et mise aux normes des élevages coûteuse ajoutées à la guerre des prix entre distributeurs, les maux se cumulent. La filière tente de reprendre le dessus, mais le parcours est semé d’embûches…
« Ce n’est pas un hasard si la filière porcine connaît cette situation. On tire la sonnette d’alarme depuis plus d’une décennie, mais les responsables restent sourds. » Jacques Lemaître, président de l’Institut du porc, l’Ifip, ne mâche pas ses mots. Mi-février, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, interpellait également les enseignes de la grande distribution sur l’extrême fragilité de cette filière animale.
Les enjeux
- En grande distribution, le marché de la charcuterie continue à bien se porter.
- Pour autant, la filière porcine, elle, se fragilise : la production et la rentabilité du secteur accusent une baisse. La filière dénonce notamment la guerre des prix des enseignes, qui s’opère au détriment de ses produits.
- Malgré tout, l’offre française veut continuer de se distinguer par la qualité. La Fédération de la charcuterie vient ainsi de signer un accord avec le gouvernement pour réduire de 5% le taux moyen de sel et de gras dans la composition des produits.
Modernisation en panne
Comment ce fleuron de l’économie bretonne en est-il arrivé là ? Au niveau de la production, « le nombre d’élevages a été divisé par deux en dix ans », constate Michel Rieu, en charge du pôle économie à l’Ifip. La disparition s’est portée surtout sur les petits élevages, de moins de 150 truies, mais les gros n’ont pas connu pour autant de phénomène de modernisation ou de concentration. La production de porcs a ainsi baissé de 6% en France sur ces sept dernières années. La consommation ne peut donc être assurée par la production dans l’Hexagone. Les importations sont de plus en plus fréquentes et représentent environ un tiers des porcs sur le marché français, tous circuits confondus.
5,8 milliards d’euros : le chiffre d’affaires de la charcuterie, CAM à mars 2015, à + 1%
Source : Iri, en HS + SM +HD + e-commerce et GSA
En outre, la hausse des normes imposées par l’Europe et la France, concernant la modernisation des élevages, a pesé lourd sur les productions porcines. Les éleveurs, qui subissent aussi la volatilité du cours des matières premières pour l’alimentation de leurs animaux, n’investissent pas assez. Difficile, dans ce contexte, d’être compétitifs sur la scène européenne...
Au niveau de l’industrie, le nombre d’abattoirs a également diminué : citons, par exemple, la société Gad, qui a été reprise en partie par Intermarché en octobre 2014, mais a licencié plus de 220 personnes. Plus récemment, les abattoirs AIM, en redressement judiciaire depuis janvier dernier, sont passés sur le fil du rasoir… Une société d’actions simplifiées (SAS) – qui réunit les salariés – et une société d’économie mixte (SEM), portée par le département de la Manche et la région Basse-Normandie, ont permis de reprendre l’activité du groupe. Avec 140 licenciements au passage…
Globalement, la partie abattage et découpe reste le maillon le plus faible de la filière en termes de rémunération ; elle touche ainsi 87 centimes d’euro pour un jambon cuit, quand le produit final est vendu à 11,05 € le kilo. Au bout de la chaîne, la grande distribution est accusée de façon récurrente de « brader » le porc. L’Ifip dénonce la guerre des prix bas entre enseignes où les produits porcins sont devenus « des produits d’appel », selon les termes de Jacques Lemaître, lors de la conférence de l’Institut le 11 mars dernier.
Ajoutez à cet engrenage l’effet de l’embargo russe imposé par Vladimir Poutine en août 2014. Cette restriction pèse sur la viande de porc fraîche, mais aussi sur les saucisses et saucissons, et concerne plusieurs dizaines de milliers de tonnes de viande de porc française. Au final, les producteurs et les industriels ont compensé ces volumes en les vendant ailleurs... mais beaucoup moins cher.
Face à cette situation périlleuse, quelles solutions envisager ? L’export est une piste privilégiée pour valoriser, mais les pays à fort potentiel restent difficiles d’accès…
Les forces en présence dans la filière...
Cooperl, numéro un des abatteurs en 2013
Chiffre d’affaires, en Mrds€, part de marché, en %, et nombre de porcs abattus, en millions d’unités, des cinq plus gros abatteurs français en 2013
Source : Ifip
Sans surprise, le classement du top 5 des abatteurs en France en 2013 reste inchangé avec Cooperl Arc Atlantique et Bigard (pour l’activité porcine et bovine) en tête. En troisième position, on trouve le groupe Gad, en liquidation judiciaire en 2014, repris par Intermarché.
Cooperl est présent en linéaires, notamment avec sa marque Brocéliande. Le Jambon bien élevé, sorti en 2014, promet un porc sans antibiotique. |
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... Et en grande distribution
Un marché dominé par les marques de distributeurs
Part de marché en valeur, en %, des gros acteurs de la charcuterie, CAM au 25 janvier 2015, et évolution, en %, sur un an, en HM+SM+HD et drives
Source : Iri
À noter la forte présence des MDD qui règnent sur la charcuterie. Autre spécificité : l’accumulation de marques régionales, nombreuses sur ce marché synonyme de terroir. Malgré tout, Fleury Michon et Herta s’imposent en leaders.
Les MDD cumulent les plus gros volumes de jambons cuits sur le marché. |
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L’essentiel des ventes en Europe
Les premiers français à fouler le sol chinois (Cooperl, Delpeyrat et les Salaisons et Conserves de Rouergue) avec des produits bleu-blanc-rouge commencent seulement à exporter dans ce pays, après des années de dur labeur pour coller aux exigences administratives et sanitaires. L’essentiel des ventes à l’étranger se fait toujours au sein de l’Union européenne. Pour doper le marché français, l’interprofession, tout comme le ministère de l’Agriculture, appellent les distributeurs à la rescousse de cette filière. Certains s’engagent et contractualisent avec des éleveurs, comme l’ont notamment fait Système U et Intermarché. Les industriels tentent, de leur côté, de mieux valoriser leur offre. La Fédération française des industriels charcutiers, traiteurs et transformateurs de viandes (Fict) a ainsi signé des accords collectifs pour améliorer la composition des produits. Objectif : réduire de 5% le taux moyen en sel et en gras par la fixation de seuils maximaux. Des marques, telles Bigard et Fleury Michon, essaient aussi de mettre en avant des gammes de produits de porcs bretons pour aider les éleveurs français, surtout concentrés dans cette région. Et pour séduire toujours un peu plus les consommateurs, les produits de charcuterie en rayons se diversifient… Reste à voir si ces remèdes serviront à panser durablement la filière porcine.
Les piliers du rayon
Les jambons tirent toujours la croissance
Part de marché en valeur, en %, des différents segments du marché de la charcuterie, CAM au 25 janvier 2015, et évolution, en %, sur un an, en HM + SM + HD + drives
Source : Iri
Le jambon est un produit très plébiscité par les Français. Les segments haut de gamme affichent une bonne dynamique, à l’instar du foie gras, des spécialités et des salaisons.
- Le jambon cuit supérieur
21,4% : il reste le poids lourd du rayon. Fleury Michon est toujours leader de ce marché devant Herta (groupe Nestlé)
- Le jambon de volaille
+7,5% : la plus grosse progression du marché. Les raisons ? Une offre moderne, plus faible en calories que le porc, et qui séduit aussi les consommateurs de produits halal
- Les salaisons
19,6% : cette catégorie regroupe les jambons crus, où les marques étrangères sont très présentes
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Tous les ménages français ont achetée au moins une fois de la charcuterie en 2014 |
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Le budget par an et par foyer consacré à la cochonnaille, en moyenne |
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Le poids de charcuterie acheté en moyenne par ménage |
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Le nombre d’actes d’achat d’un ménage dans ce rayon sur un an |
Source : Kantarworldpanel, 2014
À qui profite le jambon
Les distributeurs margent le plus
Composition du prix moyen annuel en € par kg de jambon cuit moyen au détail en GMS (LS et coupe) en 2014
Source : OFPM ; origine : FranceAgrimer-RNM, Insee, FICT, Kantar Worldpanel
La part de la marge qui revient aux GMS reste la plus importante sur le jambon cuit. Elle progresse de 0,15 point par rapport à 2013.
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