Chez Labeyrie, l'activité repart sous surveillance
Avec 50 % de son chiffre d’affaires réalisés dans le foie gras et un seul bassin de production, le Sud-Ouest, le numéro un du foie gras se montre déterminé à construire une filière d’avenir. Reportage dans son usine de Came, dans les Pyrénées-Atlantiques.
Ce jeudi 31 août, tous les salariés sont à leur poste. Nous sommes à Came, dans les Pyrénées-Atlantiques, où se situe le principal site d’abattage et de transformation de canards de Labeyrie. En 2014, le numéro un français du foie gras a investi 7,3 millions d’euros pour rénover et agrandir l’unité, qui s’étend désormais sur 7 000 mètres carrés, emploie 240 personnes et affiche une capacité de production de 4 millions de canards par an.
Mais depuis 2016, près de 2 millions d’euros supplémentaires ont été déboursés pour optimiser les équipements de biosécurité du site. En cause, les deux épizooties d’influenza aviaire qui ont durement secoué la filière – entre 2015 et 2017, le nombre de canards élevés est passé de 38 à 23 millions – et contraint, en 2017, l’ensemble des acteurs à cesser progressivement leur activité. Le 26 avril, c’était au tour du site de Came, l’un des derniers abattoirs du Sud-Ouest à fermer. « Cette seconde crise a été l’occasion de franchir de nouvelles étapes. Il faut accepter l’idée qu’il y aura sans doute un autre virus mais, cette fois, on aura les moyens de l’identifier et de casser la chaîne de transmission », explique Emmanuel Chardat, le directeur industriel du site. À l’extérieur, on peut assister au ballet des camions qui, chaque semaine, livrent près de 60 000 canards. Depuis la reprise de l’activité, le 23 août, la réglementation concernant la circulation sur le site a été renforcée et sécurisée. Dans la zone de réception des animaux vivants, un opérateur contrôle l’état sanitaire des volatiles et dispose d’une fiche récapitulative de leur naissance à leur abattage.
L’activité foie gras de Labeyrie
- 23,2 % de part de marché en valeur sur le foie gras en 2016
- 115 M € de chiffre d’affaires sur le foie gras
- 750 salariés
- 2 usines de production
- 250 éleveurs
- Source : Labeyrie, 2016
Lumières tamisées
Dans les salles d’accrochage et de saignée, entièrement rénovées en 2014 et désormais tamisées d’une lumière bleue destinée à calmer les volatiles, les ouvriers s’activent. Équipés d’un masque, d’une surblouse et de surchaussures, « ils se montrent très impliqués dans le respect des règles de biosécurité », assure Emmanuel Chardat. Il y va de leur emploi. Pendant dix-sept semaines, les 240 salariés de Came se sont retrouvés en activité partielle, ne percevant que 84% de leur salaire brut. Au cours de cette période, certains ont pu rejoindre d’autres sites de Labeyrie, et plusieurs se sont vu proposer une formation. « Nous avons géré au cas par cas », glisse le directeur.
Une fois vidées, les caisses passent au lavage. Le système mis en place en 2014 a été optimisé en 2016. Les caisses lavées à l’eau chaude et au détergent sont désormais entièrement immergées. « Des quatre abattoirs contrôlés par les autorités sanitaires, celui de Came est le seul à avoir un process de décontamination des caisses efficace à 100%, validé par les autorités sanitaires », affirme Emmanuel Chardat. À la sortie, les piles de caisses sont contrôlées par un opérateur qui traque la moindre trace de fiente.
Pendant ce temps, le camion rejoint la station de lavage et de désinfection. L’opération, qui dure au minimum vingt minutes, suit un strict protocole : nettoyage à l’eau chaude à haute pression et au détergent, moussage, rinçage du plateau. Depuis la seconde crise aviaire, un équipement a été installé pour laver le châssis du camion. Enfin, pas question pour le véhicule de quitter l’aire de lavage sans passer sous une arche flambant neuve pour une ultime opération de brumisation d’un virucide. « Auparavant, les camions étaient lavés à l’eau froide », reconnaît Séverine Laban, ingénieur chez Labeyrie.
Mis en cause par la direction générale de l’alimentation et par l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail dans la propagation du second virus, le maillon du transport a mobilisé l’interprofession. Séverine Laban, tout comme cinq autres ingénieurs des principaux opérateurs de la région, a été détachée fin 2016 auprès du Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (Cifog) afin de participer à un audit sur les systèmes de lavage et de désinfection. « Nous avons fait le tour des sites », indique-t-elle. L’occasion d’échanger sur les pratiques et de déterminer aussi les points d’amélioration. « Même si tous les opérateurs ne sont pas au même niveau et ne disposent pas de la même expertise, tout le monde a vite compris que la biosécurité est l’affaire de tous. Dans ce domaine, être fort tout seul ne sert à rien », souligne Séverine Laban.
DANS LE RESPECT DES RÈGLES
Fermé le 26 avril, le site de production de Came a rouvert le 23 août. Quelque 250 employés travaillent à l’abattage et à la transformation du foie gras. La cuisson est réalisée à Saint-Geours-de-Maremne (Landes), à 35 kilomètres de là.
Bientôt des ateliers neufs
Détenu à 50% par la coopérative Lur Berri, Labeyrie, qui n’a pas de bassin de production en dehors du Sud-Ouest, doit convaincre ses fournisseurs d’investir à leur tour. « L’activité est repartie. On y croit. Nous sommes prêts à accompagner nos éleveurs et gaveurs dans la construction d’une filière d’avenir », insiste Emmanuel Chardat. L’objectif est clair : d’ici à 2018, 1 million de canards en élevage devront être hébergés dans des ateliers neufs où les animaux pourront être confinés en cas de risque élevé et qui seront dotés d’équipements automatisés pour faciliter le travail des éleveurs. La solution clé en main d’Ax’el, filiale de Lur Berri spécialisée dans la commercialisation de produits et de services pour les élevages, représente un investissement de 200 000 € pour un bâtiment de 800 mètres carrés. Alors que 27 bâtiments de ce type ont déjà été construits, le but est d’en équiper 110 d’ici à 2018. « Actuellement, 900 mètres carrés sont construits chaque semaine », note Emmanuel Chardat. Pour convaincre les éleveurs, Labeyrie s’est engagé à répercuter auprès de ses fournisseurs la hausse du coût de production – de l’ordre de 15% – et a constitué avec Lur Berri un fonds pour financer l’investissement à hauteur de 30 %, sous la forme d’un crédit accordé sur sept ans. De quoi rassurer les banques frileuses de s’engager à leur tour.
Ce 31 août, à Sallespisse, à une quarantaine de kilomètres de Came, Ax’el organise une journée portes ouvertes dans l’exploitation de Thomas Marty et de sa mère, dotée d’un bâtiment neuf. À l’intérieur, on trouve différents stands de fournisseurs de solutions technologiques et d’équipement. « On a arrêté d’élever des canards il y a plus de vingt ans. Mais les turbulences de la filière peuvent aussi se transformer en opportunité. Nous, on y croit », déclare Thomas Marty. Visiblement, il n’est pas le seul. Ce jour-là, près de 200 éleveurs ont fait le déplacement dans son exploitation.
M. C.