Coronavirus : les professionnels sous tension

En magasins, dans les usines et les entrepôts, le personnel reste le maillon crucial pour continuer de faire tourner un univers de l’alimentation en surchauffe avec la crise liée au Covid-19. Tout le secteur travaille dur pour gérer et protéger cette précieuse ressource. Mais les entreprises doivent encore renforcer leurs efforts face à une inquiétude grandissante.

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Coronavirus : les professionnels sous tension
Les enjeux
  • Répondre aux inquiétudes des salariés.
  • Organiser leur protection et sécuriser les approvisionnements de matériels en conséquence.
  • Réaménager les espaces de travail et les plannings.
  • Pallier l’absentéisme en réaffectant les missions de chacun et en recrutant.

Ils se disent « inquiets », parlent d’une « boule au ventre », du « nœud à l’estomac ». « Les hôtesses de caisses entendent chez elles les mêmes remarques que lorsqu’il y a des braquages. Leur entourage dit que cela ne vaut pas le coup de risquer sa vie pour ce salaire », renchérit un patron d’hyper. Les salariés de la grande consommation sont loin d’être tous sereins en se rendant à leur travail, alors que le coronavirus apporte chaque jour son lot de nouveaux cas et de nouvelles victimes en France. « Plus les mesures de confinement appliquées à la population sont fortes, plus l’inquiétude de ces salariés est grandissante », constate Renaud Giroudet, directeur des affaires sociales à la fédération du commerce et de la distribution (FCD). Nouveau coup dur ce week-end, le chef de la sécurité du centre commercial O’Parinor, à Aulnay-sous-Bois (93) est décédé des suites de sa contamination au Covid-19.

« Le sentiment d’inquiétude est réel, mais les collaborateurs ont aussi l’impression de participer quasiment à une mission de service public », souligne Marc Grosser, DRH d’Auchan Retail International. Protéger ce maillon humain est essentiel, alors que les commerces alimentaires et toute la chaîne pour les approvisionner restent l’un des derniers pans de l’économie encore en action dans un pays au ralenti. « Il est de notre responsabilité collective de protéger la santé de nos salariés », soutient ainsi Jérôme Nanty, DRH de Carrefour Groupe, premier employeur de France dans le privé avec plus de 100 000 salariés. Si les débuts de la crise ont révélé des disparités flagrantes selon les magasins, les dispositifs commencent à se roder… de façon disparate : « Il reste un système à deux vitesses, déplore Carole ­Desiano, secrétaire fédérale FGTA-FO spécialisée dans la grande distribution, avec, d’un côté, les intégrés et, de l’autre, les franchisés. Ces derniers sont davantage des gestionnaires de stocks et ont moins la culture de l’humain. » FO soulève notamment la question des primes exceptionnelles de 1 000 € qui ont été très majoritairement attribuées dans les groupes intégrés.

Rassurer les employés

Mais dans tous les cas, il faut continuer à travailler, avec des méthodes différentes. C’est la condition sine qua non pour limiter la possibilité d’une contamination au Covid-19. Premier défi pour les acteurs de la grande consommation, sécuriser le personnel en place. Les enseignes alimentaires ont reçu cette semaine les premiers arrivages massifs de masques et de gants, réquisitionnés il y a encore peu de temps pour les soignants et jugés non-indispensables par les autorités pour se protéger. Car la règle d’or, martelée partout, c’est de se tenir à distance (un mètre minimum) des autres collaborateurs comme des clients.

En conséquence, le flux de la clientèle est limité. Aux caisses, les vitres en plexiglas protègent les hôtesses. Certains développent des méthodes plus artisanales : îlots de caisses enrubannés de film alimentaire chez Les Nouveaux Robinson, cette matière est même ajoutée au-dessus des vitres en plexiglas dans un Intermarché de l’Est… Ces mesures louables sur le papier se heurtent parfois à une réalité du terrain plus complexe : difficile de respecter le mètre de distanciation sociale entre les employés qui remplissent les rayons en même temps, les gants sales, dans ce Carrefour Market du 17e arrondissement de la capitale. Difficile, aussi, de rassurer des caissières quand les protections ne sont pas toujours au rendez-vous : « Aujourd’hui, nous portons des masques, mais il n’y en a plus pour demain… », nous explique, résignée, cette employée du Franprix Bolivar, à Paris.

Même constat côté entrepôt. Amazon, toujours en activité, assure mettre en place un maximum de mesures pour limiter les croisements des collaborateurs, les regroupements lors des pauses… mais les syndicats pointent les limites : « Nous avons posé un droit d’alerte le 20 mars dernier car nous estimons qu’avec 500 personnes qui se croisent dans l’entrepôt, les conditions sanitaires ne sont pas respectées. Depuis, la direction a mis un marquage au sol, supprimé les fontaines à eau avec poussoir, mieux réparti le gel… ça reste insuffisant », estime Jean-François Bérot, délégué syndical Sud Solidaires à l’entrepôt de Saran, dans le Loiret. « Il y a une très grande différence selon la taille des entrepôts. Dans les grosses structures, ce n’est pas évident d’avoir du gel et des gants pour tout le monde », souligne Michel Enguelz, responsable Force Ouvrière pour Carrefour.

Ultime défi, tous doivent anticiper le pire : la contamination d’un salarié. Le groupement des Mousquetaires a envoyé un dossier sur la procédure à mettre en place à tous ses adhérents, nous indique l’un d’entre eux. Chez Picard, plusieurs magasins ont fermé leurs portes quarante-huit heures afin de désinfecter les lieux après la détection d’un salarié touché par le coronavirus. Plusieurs cas sont déjà relayés dans les Lidl, au siège d’Auchan… Dans l’Indre, le Carrefour Contact de Reuilly est fermé depuis le 23 mars, pour quatorze jours, en raison d’une suspicion de Covid-19 au sein de l’équipe. « En région parisienne, un magasin intégré a vécu la même situation et un manager d’un autre magasin est venu. Nous profitons de la capacité de mutualisation du groupe », précise Jérôme Nanty, DRH de Carrefour.

Et même sans malades dans les équipes, les fermetures d’activité et les pics de vente dans l’alimentaire sont des changements tellement importants qu’ils supposent de repenser le travail. « On suit l’exemple italien, qui a la même courbe d’évolution que la France avec une dizaine de jours de décalage. Avec l’absentéisme amené à s’accélérer, nous travaillons en mode dégradé avec une organisation logistique et un assortiment centré sur les 20/80 », avance Moez-Alexandre Zouari, président de Prodistribution (Franprix et Monop’).

Le non-alimentaire, encore ouvert chez certaines enseignes, est volontairement délaissé, tout comme certaines niches. Les équipes sont réaffectées pour gonfler les troupes dans l’alimentaire, et aider au nettoyage et à la désinfection, tâches très chronophages, mais nécessaires. En interne, les agents changent de poste : chez Carrefour, 200 collaborateurs du siège « descendent » chaque jour prêter main-forte pour préparer les commandes du drive. Même logique chez Andros, par exemple, où les cols blancs aident à la production et ont été formés en ce sens depuis deux semaines.

Limiter les contacts

De nouveaux process émergent également. Certains magasins de proximité (Au bout du champ, Le champ des rêves, magasins bio…) ont fait le choix d’abandonner le LS, « tant pour la sécurité des collaborateurs que pour simplifier le travail. Nous qui sommes habituellement très polyvalents, on affecte un homme par tâche », explique Xavier Ranoux, cofondateur de Kilogramme, supérette du nord-est parisien. Une solution en passe de se développer si la crise s’intensifie ? Dans les drives et chez livreurs, de nouveaux gestes sont mis en place pour respecter les gestes « barrière ».

Côté usines, la réorganisation affecte tous les flux : « À Vergèze, des groupes de travail de notre usine Perrier ont été mis en place afin d’évaluer toutes les options pour une nouvelle organisation des lignes d’embouteillage, des expéditions. Les croisements des équipes sont limités et le nombre de personnes présentes ensemble dans l’usine a été revu à la baisse », avance Françoise Bresson, directrice RSE de Nestlé Waters. Certains groupes transforment même leur activité pour fournir du matériel de sécurité, comme le font Ricard, LVMH et Tereos avec le gel hydroalcoolique.

Changer de casquettes

Surcroît d’activité pour les uns, modification des comportements de consommation pour les autres : d’un bout à l’autre de la chaîne alimentaire, il faut s’adapter. En amont, l’industrie agroalimentaire tourne souvent à plein régime. Dans ses usines, Alpina Savoie, qui produit des pâtes et du couscous, a augmenté ses plages horaires de production. « Les collaborateurs des ateliers font des heures supplémentaires, rapporte Jean-Philippe Lefrançois, le directeur général. Et ceux des services support vont, sur la base du volontariat, faire de la préparation de commandes. » En aval, dans les magasins, les pics de fréquentation ne sont plus les mêmes. Chez Carrefour, comme chez Picard Surgelés, tous les points de vente ferment désormais à 19 heures. « Les centres urbains se vident en fin de journée, constate Jérôme Nanty, DRH de Carrefour Groupe. Nous devons nous adapter en temps réel. »

Sur la table, la question de l’ouverture le dimanche, à laquelle les syndicats sont opposés. « Nous préférons que les journées soient moins longues, mais les magasins ouverts toute la semaine… sauf le dimanche, pour que les salariés puissent se reposer », explique Michel Enguelz, responsable FO chez Carrefour. Un combat que le gouvernement ne partage visiblement pas. Le code du travail sera assoupli pendant cette crise et le repos compensateur entre deux journées de travail abaissé à neuf heures, contre onze normalement. Face à des salariés qui risquent de s’épuiser, le danger de l’absentéisme pointe, comme en Italie, où il atteindrait jusqu’à 40 %. « Au niveau national, le taux d’absentéisme est parfaitement maîtrisable, affirme-t-on à la Fédération du commerce et de la distribution. Les DRH que nous avons encore vus hier soir nous l’assurent. » Dans les semaines qui viennent, les entreprises vont pouvoir s’appuyer sur le levier du chômage partiel.

A contrario, certaines, confrontées à une hausse d’activité, doivent muscler leurs effectifs et aimeraient pouvoir faire appel à des salariés dont l’activité est par ailleurs réduite pour le moment. De fait, le taux d’absentéisme et la suractivité ont contraint la grande conso à trouver de nouvelles méthodes de recrutement. Pour l’amont, Bercy a donné un coup de pouce avec la mise en place d’une plate-forme pour dénicher des volontaires pour les sites de l’agro­alimentaire et les récoltes qui débutent.

Piocher de l’aide chez les voisins

Chez Casino, l’appel aux étudiants et aux intérimaires est relayé dans les points de vente. Les groupes regardent aussi du côté de leurs « cousins » : le service juridique d’Intermarché planche sur les contrats pour que les enseignes fermées de son groupe (Bricomarché, Bricocash…) viennent alimenter les besoins des Intermarché et des Netto. Même logique chez Auchan : « En réserve, nous avons la possibilité de recourir, si besoin, à nos confrères de Leroy Merlin ou ­Decathlon situés dans la même zone qu’un Auchan. Les patrons se connaissent bien au local. Juridiquement, on est en train de le mettre en place, c’est compliqué, on doit se blinder », admet Marc Grosser, DRH Auchan Retail International.

Un écosystème de start-up vient en outre aider à ses besoins ponctuels. Plusieurs drives E. Leclerc se servent par exemple de l’outil de Joby­Pepper pour recruter des préparateurs de commande « prêts à l’emploi ». En Allemagne, les restaurants McDonald’s ont incité leurs employés à travailler pour l’enseigne Aldi. Aux États-Unis, Jeff Bezos a lancé un appel aux barmen et serveurs pour embaucher dans ses entrepôts ! « Mais attention, tempère Carole Desiano (FO) un nouveau collaborateur est aussi à former pour respecter les process spécifiques mis en place dans le cadre du ­Covid-19. Il ne faut pas prendre à la légère ces nouvelles arrivées », prévient-elle. Cette situation exceptionnelle, et les mesures trouvées pour y répondre, donne en tout cas déjà des idées à certains patrons pour l’après coronavirus…

Renforcer la sécurité des collaborateurs
  • 100 % des caisses sécurisées avec du plexiglas chez E. Leclerc, 12 000 chez Carrefour, 11 000 chez Lidl, déploiement dans toutes les enseignes alimentaires contactées
  • 10 millions de masques arrivent pour les équipes de Carrefour, Casino reçoit aussi ses premiers arrivages massifs
Source : enseignes
Réorganiser le travail
  • 200 collaborateurs du siège chez Carrefour renforcent les effectifs en entrepôt pour soutenir l’activité du drive
  • Deux tiers des effectifs du siège d’Andros prêts à aider en production pour doubler notamment les postes clés
Source : entreprises
Le temps de travail chamboulé
  • 10 à 30 % d’absentéisme selon les magasins chez Carrefour Source : FO
  • 25 à 30 % chez Auchan, 15 à 20 % chez Lidl
Source : distributeurs
Les nouvelles pistes de recrutement
  • Suractivité de 30 à 40 % chez Auchan, drives en surchauffe…100 000 recrutements recherchés pour Amazon US, 150 000 pour Walmart
Source : presse américaine
Plus de flexibilité dans le droit du travail
À crise exceptionnelle, changements exceptionnels. Trois textes modifient donc le code du travail et ne s’appliqueront que temporairement. Il sera possible de travailler jusqu’à soixante heures par semaine, contre quarante-huit heures aujourd’hui maximum. Et ce dans des secteurs en prise avec un surcroît d’activité et « nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale ». La logistique et l’agroalimentaire en font partie, au même titre que l’énergie et les télécoms. Les employeurs pourront également y faire travailler leurs équipes le dimanche. Ces heures pourront être payées en heures supplémentaires. Le repos minimum entre deux phases de travail est ramené de onze à neuf heures. Autre aménagement : une semaine de congés payés pourra être imposée par l’employeur, à condition qu’il y ait un accord de branche ou d’entreprise. Enfin, le recours au chômage partiel va être facilité. Les conditions du « système le plus protecteur d’Europe », assure-t-on au ministère du Travail, seront précisées par ordonnance. Les personnes travaillant déjà à temps partiel percevront 100 % de la moitié du Smic, au lieu de 84 % comme c’est le cas aujourd’hui.

Julie Delvallée et Magali Picard, avec la rédaction

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