Course aux petits plus dans les rasoirs masculins
Cinq lames plus une d'un côté, avec Gillette Fusion. Quatre plus une de l'autre, mais avec une tondeuse en prime, pour Wilkinson et son Quattro Titanium Précision. Et toc, est-on tenté d'ajouter, tant la surenchère des « petits plus » donne un côté ambiance cour de récré au rasage masculin. Heureusement, c'est plus subtil. Le plein de consommateurs est fait depuis bien longtemps. Il est donc difficile de développer les ventes, qui stagnent à 350,4 millions d'euros en cumul annuel mobile à fin mars 2008. De tels lancements sont toujours les bienvenus. À condition, évidemment, qu'il s'agisse de vraies innovations, apportant une valeur ajoutée au rayon. Ces derniers temps, notamment en hygiène-beauté, où le marketing est roi, la chose est suffisamment rare pour être soulignée.
Place, donc, à la distribution des bons points. Le petit Gillette Fusion, quinze mois d'existence, se voit attribuer la mention « très bien avec les félicitations du jury » pour sa jolie percée, à 20 % du marché, sur le segment des systèmes (lames et rasoirs), en février 2008. À titre d'exemple, Mach3, le dernier gros lancement de Gillette avant Fusion, pointait à 25 % au bout de deux ans, en 2000. Le tout dans un marché plus facile à pénétrer à l'époque. La performance de Fusion est donc satisfaisante. Et les chiffres sont éloquents : 1,6 million de rasoirs écoulés, plus de 10 millions de lames vendues, et une contribution à 94 % de la croissance du marché en 2007.
Profitable à tous
Procter et Gamble, l'heureux papa, n'est pas peu fier de son rejeton, acquis en 2005 pour la bagatelle de 57 milliards de dollars (43,7 milliards d'euros de l'époque). « 70 % des hommes ayant utilisé Fusion ont ensuite acheté des lames », se réjouit Claire Caravel, chef de produits lames et rasoirs masculins chez Gillette. Francesco Tortora, directeur de la division beauté de P et G en France, préfère, de son côté, mettre en avant le fait que l'arrivée de Fusion a « bénéficié à tous les acteurs du marché ». À la marque et aux distributeurs, via l'augmentation du chiffre d'affaires en 2007. Et aux consommateurs, de par « la meilleure qualité de rasage » avancée, en dépit de prix supérieurs. Un Mach3 coûte 7,70 E, un Fusion 10 E, un Fusion Power - version vibrante et à pile de Fusion - 14 E environ. Jolie culbute, mais les clients suivent. La preuve, aujourd'hui, les ventes de Fusion Power sont supérieures à celle de Fusion tout court.
Stratégie de l'évitement et contre-attaque
Reste à analyser les conséquences d'un tel lancement - réussi - sur le marché des systèmes. Transfert de technologie oblige, Mach3 chute de 11,4 points en 2007. Il reste toutefois numéro un du segment, avec 44 % du marché. Mais le plus important pour P et G, c'est de voir que le succès de Fusion fait surtout souffrir la concurrence. Ainsi, Gillette, avec 81,6 % des ventes, gagne du terrain sur son rival Wilkinson, relégué loin derrière, à 15,5 %.
« Oui, mais les choses changent », clame-t-on du côté du challenger, bien décidé à ne pas se laisser faire. Wilkinson a su faire preuve d'intelligence pour affronter la déferlante Fusion tout au long de 2007. En l'occurrence, un plan en deux parties : 1, faire le dos rond ; 2, adopter la stratégie de l'évitement, mille fois éprouvée, et généralement très efficace. Gillette s'affiche généreusement en télévision, et se paie Roger Federer, Thierry Henry et Tiger Woods pour assurer la promotion de son petit dernier ? Wilkinson laisse passer l'orage, et prend son temps pour organiser la contre-attaque. C'est chose faite avec le lancement, mi-février, de Quattro Titanium Précision. « Nous reprenons la parole sur les systèmes, avec une volonté de rupture, en travaillant sur autre chose que le nombre de lames, se réjouit Catherine Brandenberger, directrice du marketing de Wilkinson. Il s'agit de sortir le rasage de son carcan, et faire en sorte que ce ne soit pas une corvée, ou un acte purement mécanique, mais l'occasion de se dessiner un nouveau look, d'une manière ludique. »
Accessibilité
Selon une étude européenne, interne à Wilkinson, 40 % des hommes, au moins de temps en temps, sont adeptes du rasage stylisé. Une touffe de poils sur le menton, un filet de barbe qui épouse l'ovale du visage, un effet baroudeur-barbe de trois jours, voire, pour les plus audacieux, un « trip revival » marquant le grand retour de la moustache, l'imagination n'a pas de limite en la matière. Sauf celles des lames, conçues pour raser au plus près, sans état d'âme. D'où l'intérêt de la tondeuse, insérée au bout du manche du nouveau rasoir Wilkinson. Les premiers résultats sont positifs, permettant à la marque de redresser la barre. Sur les systèmes, Wilkinson progresse de 3,2 % en avril 2008 (source : Nielsen, P4 2008) par rapport à mars 2008, reprenant quelques-uns des précieux dixièmes perdus face à Gillette.
Sur les jetables, les résultats sont meilleurs encore pour Wilkinson. « Nous y avons axé toute notre stratégie, car il était important de nous démarquer », explique Catherine Brandenberger. En septembre 2007, la version jetable de Quattro Titanium est sortie, avec comme mission de dynamiser le segment. Le tout avec succès. Wilkinson se permet même le luxe de prendre la première place à Gillette, avec 34,3 % du marché, contre 34,1 %, en cumul annuel mobile à fin mars 2008. La stratégie de l'évitement a bien fonctionné. Reste que Wilkinson ne peut faire l'économie d'une attaque frontale, face à Gillette, sur le marché phare des rechargeables.
Pour Bic, uniquement présent sur les jetables, la question ne se pose pas. Le troisième acteur du marché perd 5 % en valeur. Pour autant, Céline Boussougant, responsable du marketing des rasoirs Bic pour l'Europe, reste optimiste : « Nous sommes en progression sur les jetables 3-lames avec Bic3. Quand tout le monde lance des produits de plus en plus chers, c'est notre rôle de rendre la technologie accessible. » Le pack de huit Bic3 se négocie autour de 4,40 E, et mise sur son petit prix pour attirer les consommateurs. Malgré tout, Bic fonde surtout ses ambitions sur le rasage féminin, où vient de sortir Soleil Clic, le premier rechargeable de la marque. « On ne peut pas courir deux lièvres à la fois », concède Céline Boussougant.