Débat stérile
« Plutôt que de colporter les mêmes contre-vérités, les agriculteurs doivent parler modernisation, restructuration, valorisation et partenariat. »
PAR YVES PUGET,directeur de la rédaction
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PAR YVES PUGET,directeur de la rédaction
Des agricultures ont déposé des détritus dans quelque 200 supermarchés de l’ouest de la France. Ils réclamaient un partage des marges et une révalorisation du cours des viandes et du lait. Le monde agricole a besoin d’un coupable et, depuis des années, la distribution est son bouc-émissaire. Si les agricultures ont de réelles raisons de s’inquiéter, il convient pourtant de ne pas se tromper en livrant à la vindicte populaire un unique responsable. Il est juste de condamner la grande distribution lorsqu’elle ne respecte pas les lois, de pester lorsqu’elle se lance dans une guerre des prix dévastatrice, qu’elle abuse de déréférencements brutaux ou qu’elle réclame de la compensation de marge. En revanche, il est dommage de passer sous silence le travail réalisé ces dernières années, par exemple sur l’élaboration de filières et la valorisation des races, des origines, des terroirs ou des labels. Les grandes surfaces ont suffisamment de mauvaises habitudes pour ne pas les accuser de tous les maux.
Les commerçants ne décident pas des embargos à l’encontre d’un pays ou imposé par un autre, telle la Russie. Ils subissent, comme tous les acteurs, les crises sanitaires et constatent, eux aussi, la baisse tendancielle de la consommation de viande. On ne peut non plus rendre responsable la distribution des aléas climatiques, qui génèrent de la sous ou surproduction, ou de brusques à-coups dans la consommation.
Il faut également comprendre et admettre que la GMS n’est pas le seul débouché des exploitants agricoles. Il y a d’abord les multiples intermédiaires, comme les coopératives ou les grossistes ; les industriels de l’agroalimentaire et les restaurations commerciales et collectives ; et enfin les marchés, les boucheries indépendantes et les enseignes spécialisées. Autant d’acteurs économiques qui s’imposent comme les clients directs de l’amont agricole. Et pour ceux qui clament que la GMS est le mauvais élève du made in France, les données statistiques prouvent le contraire. Ainsi, sur le marché du poulet, les importations ne représenteraient que 13 % des ventes.
Reste l’épineuse question des marges. Selon l’Observatoire de la formation des prix et des marges, la marge nette après impôts des distributeurs sur les rayons frais n’est que 1,1% du chiffre d’affaires. Pire, celle des rayons boucherie, boulangerie-pâtisserie et marée est négative ! Il s’agit d’abord d’un problème structurel de filière. En France, les exploitations agricoles sont trop petites et trop nombreuses. Une consolidation amortirait sûrement les coûts et dégagerait de la marge. Sans oublier des intermédiaires trop nombreux, un marché au Cadran quelque peu désuet, des campagnes publicitaires guère valorisantes…
Pour toutes ces raisons, il est inquiétant de voir tant d’agriculteurs se réfugier dans un corporatisme daté. À l’inverse, il est vivifiant d’observer ceux qui font bouger les lignes, qui veulent travailler autrement. L’économie française a besoin de leur dynamisme, de leurs produits et de leur valeur ajoutée. Leur combat, juste, et leurs difficultés, réelles, ne seront compris qu’à condition d’avancer les bons arguments. Plutôt que de frapper d’anathème la grande distribution, de colporter les mêmes idées reçues et contre-vérités, ils doivent parler modernisation, restructuration, valorisation et partenariat. Seuls ou avec leurs représentants, certains empruntent déjà cette voie.