Ébullition autour du prix du lait
Semaine tendue pour la filière laitière. Pour répondre à la colère des producteurs, les distributeurs ont annoncé des hausses de 5%, soit 2 centimes d'euro par litre. Une mesure nécessaire, mais jugée insuffisante pour beaucoup.
Camille Harel
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Camille Harel
Des feux de paille, des chariots de supermarchés accrochés aux grilles, des explosions de pétards, des bennes de fumier déversées... Les producteurs laitiers ont fait entendre haut et fort, le 12 avril, leur mécontentement, à travers des manifestations qui se sont tenues dans 70 départements de l'Hexagone. « On est au bout du cycle, il nous faut des réponses concrètes. Si nous n'en avons pas, nous irons les chercher », scande un producteur laitier.
Les coulisses d'une crise structurelle
- La situation de la crise laitière, qui perdure depuis de nombreuses années, avec une hausse continue des coûts des matières premières pour l'alimentation du bétail, engendre une baisse de revenus des producteurs et une érosion des marges des transformateurs.
- La production laitière importante des autres pays européens (Hollande et Allemagne) est un concurrent de taille pour la France, qui enregistre une baisse de sa collecte et donc une dévalorisation du prix de son lait.
- Des négociations commerciales délicates avec les distributeurs, réticents à faire passer des hausses de coûts, afin de conserver leurs marges
Un avenir incertain
- Les produits transformés
Les produits transformés (fromages et ultrafrais) pourraient aussi être touchés par ces hausses qui doivent rester limitées pour que les consommateurs ne délaissent pas cette catégorie.
- La concertation
Des réunions de concertation sont encore prévues en mai afin de trouver une solution pour la viabilité de la filière qui est en jeu.
- La pérennité
Les hausses permettent de résoudre une partie des problèmes pour les producteurs, mais cette situation n'est pas pérenne. Ces derniers risquent de se tourner vers des activités agricoles plus rentables.
- La contractualisation
La contractualisation pourrait être une solution. 5% La hausse du prix d'achat par litre de lait de consommation, soit + 0,02 € pour le lait classique et + 0,45 € pour le bio Source : FCD
Les causes du malaise ? Entre la flambée des coûts des matières premières agricoles, la faible valorisation du prix du lait français due à une collecte peu importante et la concurrence accrue des pays européens comme la Hollande et l'Allemagne... les producteurs laitiers français se trouvent dans un état critique. Une situation similaire, déjà vécue en 2008, qui avait engendré une hausse des prix de près de 14% pendant six à neuf mois avant que le cours des matières premières ne reparte à la baisse.
Crainte pour l'avenir
Alors que la sonnette d'alarme a été plusieurs fois tirée, les négociations commerciales avec les distributeurs sont année après année très tendues. Si quelques efforts tarifaires ont été accordés par la distribution pour 2013, les producteurs les jugent pourtant insuffisants. « Les négociations annuelles se sont mal passées et la situation n'est pas pérenne. On craint pour l'avenir », indique Christèle Josse, directrice de la Fédération nationale des coopératives laitières (FNCL). Ainsi, ils continuent leur combat et, à force de persévérer, des propositions sont tombées à partir du 8 avril. La Fédération du commerce et de la distribution (Auchan, Carrefour, Casino, Cora et Monoprix) et Intermarché ont annoncé des hausses de 5%, soit 2 centimes d'euro par litre de lait de consommation. Leclerc, de son côté, a proposé la création d'un fonds d'urgence de 180 millions d'euros pour soutenir les producteurs laitiers, une mesure refusée par Xavier Belin, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), jugeant que cette déclaration a pour but « d'acheter la paix des paysans ». Si les hausses annoncées par la FCD ne devraient s'appliquer que sur les trois prochains mois, Intermarché s'engage, quant à lui, à les laisser de manière durable. « En février, nous avons déjà pris des mesures avec une avance de trésorerie de 2,5 centimes par litre de lait. Nous étions le seul distributeur à effectuer une telle action », déclare Philippe Manzoni, président d'Intermarché Alimentaire.
Des augmentations de tarifs qui ont pour vocation d'aller directement dans les caisses des producteurs. Les enseignes de la distribution n'achetant pas en direct leur lait aux producteurs, les industriels devront s'engager à reverser l'intégralité de cette « prime » à leurs fournisseurs, éleveurs laitiers, pour l'ensemble des marques. « Ces hausses sont bonnes pour aider les producteurs laitiers mais ça ne résout pas les problèmes de marges des transformateurs », ajoute Christèle Josse. Pour les distributeurs, qui comprennent l'urgence du problème, cette augmentation, ajoutée à celle des négociations annuelles, revalorisent ainsi des prix aux alentours de 6%. « Les tarifs publics vont être accentués. Le consommateur va en payer une partie, mais le reste sera à notre charge. De cette manière, le produit est valorisé », explique Philippe Manzoni.
Des annonces, mais peu de concret
Et pourtant, aujourd'hui, l'affaire est loin d'être terminée, car les mécontents sont encore nombreux. « On ne peut pas passer sans cesse des hausses de tarif, car si le produit devient trop cher, les consommateurs pourraient s'en détourner », prévient Philippe Manzoni. Des questions restent donc en suspens. Ces augmentations sur trois mois vont-elles suffire à sauver la filière ? « Ces 2-3 centimes supplémentaires sont nécessaires, mais pas suffisants. Ils doivent s'accompagner d'une restauration du prix de vente. Nous doutons que le cours des matières premières se calme. Nous espérons que ces annonces seront pérennes », déclare Giampaolo Schiratti, président de Syndilait et directeur général de Candia.
Face à cette situation de crise, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a assuré que, s'il le fallait, le gouvernement prendrait des mesures transitoires pour répondre à l'appel d'urgence des producteurs de lait. Des réunions de concertations sont encore prévues en mai pour tenter de trouver une solution. « Aujourd'hui, nous sommes sur des effets d'annonce et il n'y a encore rien de concret », regrette Giampaolo Schiratti. Car au-delà des producteurs, c'est toute la filière qui est en péril.
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Les hausses annoncées seront durables. Les prix publics seront augmentés, mais nous prendrons en charge une partie.
Philippe Manzoni, président d’Intermarché alimentaire
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