[Édito de la semaine] La fin d'un rêve
Les enseignes d’hypermarchés partent plus que jamais à l’assaut des marchés du bio et de la parapharmacie. Ces combats n’ont rien d’anecdotique. En effet, le concept de l’hyper s’est construit autour de nombreux préceptes, dont le fameux « tout sous le même toit ». Le 15 juin 1963, à Sainte-Geneviève-des-Bois, Marcel Fournier et Denis Defforey, les fondateurs de Carrefour, ont eu la géniale idée de rassembler dans une même surface de vente un maximum de catégories de produits.
Au fil des années et de l’imagination des industriels, les rayons se sont multipliés. À tel point que dans les années 90, des enseignes ont essayé la vente de voitures et de maisons, et imaginaient distribuer de l’électricité ou du gaz. Elles rêvaient de tout vendre mais ont fini par baisser les bras en abandonnant certains marchés aux enseignes spécialisées et, depuis peu, à l’e-commerce.
La notion du « tout sous le même toit » s’est quelque peu vidée de son sens. Elle est dépassée, car, depuis plusieurs décennies, le groupe Auchan mise aussi sur ses enseignes spécialisées (Boulanger, Leroy Merlin, Kiabi. Decathlon…). Elle est dépassée puisqu’au milieu des années 80 Leclerc a sorti des rayons entiers de ses hypers pour créer dans ses galeries les Espace culturel ou Le Manège à Bijoux. Elle est dépassée parce qu’avec l’essor de l’e-commerce et du cross-canal la notion « du même toit » doit être remplacée par celle de « la même enseigne ». Enfin, elle est dépassée parce que les distributeurs sont de plus en plus dans l’obligation de faire des choix.
Aristide Boucicaut, créateur du Bon Marché, parlait des « produits qui se vendent et des produits qui font vendre ». Malheureusement, en hypers, certains ne répondent plus à aucun de ces critères. Ainsi, les grandes surfaces alimentaires ne pèsent plus que 8,1% des ventes de réfrigérateurs et congélateurs. Dans les années 50, le consultant Bernardo Trujillo expliquait quant à lui qu’il fallait – autre précepte – « créer un îlot de pertes dans un océan de profits ». Aujourd’hui, les îlots sont de plus en plus nombreux, l’océan de plus en plus petit.
Voilà pourquoi les distributeurs ont une double obligation. La première est de réaliser un arbitrage dans le portefeuille non pas des marques, mais des rayons. Donc de voir quelles sont les familles de produits qu’il faut abandonner, celles qui faut réserver à l’e-commerce ou aux points de vente et celles qui se doivent d’être cross-canal. Simultanément, il leur faut trouver de nouveaux relais de croissance. Ces produits qui sont attendus par les consommateurs et qui sont générateurs de marges et d’image. Les batailles autour du bio et la parapharmacie ne relèvent pas d’autre chose. Dans l’univers des produits de grande consommation, les relais de croissance ne peuvent venir que de la revitalisation de l’offre. Il faut réinventer les gammes en les creusant ou en les élargissant. On ne peut donc que se réjouir de voir des distributeurs conquérir de nouveaux territoires. C’est la preuve qu’ils n’ont pas perdu de leur « mordant », qu’ils ne se contentent pas de gérer un marché stagnant. Tout simplement, qu’ils savent que des préceptes se doivent d’évoluer, que les priorités d’aujourd’hui ne sont pas forcément celles de demain, que la « vision » d’un dirigeant est tout aussi importante que son opportunisme et que la réalité est parfois beaucoup plus passionnante que de vieux rêves surannés.