Emmanuel Macron, de Piketty à l’entreprise porcine Gad dans la même journée
Le ministre de l’Economie devait visiter, ce vendredi 23 janvier comme il s’y était engagé, les salariés de l’entreprise Gad rachetée par Intermarché, après des propos qu’il avait regretté. Après avoir fait un discours à Bercy sur les «inégalités », en présence d’un aéropage de haut vol dont l’économiste Thomas Piketty… et sans oublier d’évoquer sa loi qu’il va défendre à l’Assemblée nationale...
Sylvain AUBRIL
\ 15h30
Sylvain AUBRIL
La promesse d’Emmanuel Macron aux salariés de Gad, l’entreprise d’abattage de porc reprise par le groupement des Mousquetaires (Intermarché), aura été tenue. Il devait leur rendre visite pour s’excuser, lors d’une de ses premières interviews en tant que ministre de l’Economie, en parlant des salariées "illettrées" de l'abattoir breton. Juste après avoir évoqué les « inégalités croissantes et la fragilisation des sociétés » devant un aéropage de politiques et d’économistes de réputation mondiale…
« Il n’y a plus d’avenir chez Gad »
Alors que l’entreprise, filiale de la coopérative Cecab, se trouvait en dépôt de bilan, avec la suppression de centaines d’emplois à la clé, il déclarait "il y a dans cette société [Gad], une majorité de femmes, il y en a qui sont pour beaucoup illettrées, pour beaucoup on leur explique: 'Vous n'avez plus d'avenir à Gad ou aux alentours. Allez travailler à 50 ou 60 km !' Ces gens-là n'ont pas le permis de conduire, on va leur dire quoi?"
889 salariés licenciés
Il avait rapidement présenté ses "excuses les plus plates", exprimé ses "regrets" lors des questions au gouvernement au Parlement et promis de se rendre sur place pour s'excuser directement, mais sans que les médias soient présents. Surs 889 salariés licenciés, seuls 193 auraient retrouvé un emploi, et les syndicats estiment que les propos du ministre « ont eu des conséquences sur les éventuelles embauches».
Avant la visite chez Gad
Il ajoutait qu’Emmanuel Macron ne serait sans doute pas applaudi. Pas si sûr : le ministre qui fut maladroit est aussi connu pour son habileté et sa sincérité. Il ouvrait, avant sa visite chez Gad, au ministère de l’Economie, les «Entretiens du Trésor », sur le thème «quelles politiques publiques pour quelles inégalités au 21e siècle » et sa prestation sur les effets des inégalités sur la croissance mondiale, fort argumentée, a été chaudement applaudie. Les salariés de Gad s’y seraient peut-être reconnus. Leur destin n’est sans doute pas étranger au creusement de ces inégalités au niveau mondial.
« Nous sommes en échec »
«Nous sommes en échec, c'est la cruauté des constats que Thomas Piketty a établi, il faut bien le constater, a déclaré Emmanuel Macron, devant l'économiste, dont le livre «Le Capital au XXe siècle» connait un succès planétaire. Les inégalités ralentissent la croissance, en augmentant la concentration du capital aux mains d’un petit nombre, en sapant le dynamisme, l'innovation, les ressorts de l'investissement. Il y a une fragilisation de nos sociétés, un couvercle qui est mis sur la réussite collective», a-t-il ajouté. Parmi les invités, le directeur adjoint du FMI, Jonathan Austry, le brillant ancien ministre turc de l’Economie, Kemal Devis, la ministre des Finances du Portugal, le secrétaire d’Etat au Budget de Grande Bretagne, l’homme en charge des politiques sociales de l’OCDE, Michaël Forster….
De la macro-économie à la micro-économie…
De la macro-économie à la micro-économie, il n’y avait qu’un pas. Avant qu’Emmanuel Macron ne saute dans un avion pour rejoindre Gad, il a tout de même évoqué la loi sur la croissance et l’activité qu’il va défendre tout au long de la semaine prochaine, à partir du 26 janvier 2014, à l’Assemblée nationale, avec ouverture du dimanche et réforme des professions du droit au menu
« Des intérêts structurés ont capturé la régulation »
«Une vraie politique de lutte contre les inégalités, c’est de lutter contre le fait qu’il y a ceux qui sont dans le système et ceux qui n’y sont pas. C’est vrai sur énormément de marchés. Il faut redonner des accès aux outsiders. La loi que je présente y contribue, de manière insuffisante pour les uns, abusivement brutale pour les autres. Elle consiste à dire quand on a le même niveau de diplôme, pourquoi est-il interdit à vie de s’installer ? Parce que des intérêts stucturés, protégés, ont capturé la régulation, comme c’est le cas des professions du droit. Pourquoi à a-t-on empêché que se développe la mobilité à bas coût ? Il y a tout un tas d’inégalités d’accès, qui empêche de revenir dans le jeu»… Thomas Piketty acquiescait, mais l'économiste frondeur, qui vient de refuser la légion d'honneur, indiquait que « libérer la circulation des autocars » pour lutter contre les inégalités, lui semblait quelque peu insuffisant…