Essensis vire du rose au rouge
emmanuel botta
\ 00h00
emmanuel botta
Essensis peine. Lancé avec tambours et trompettes il y a tout juste un an, le premier yaourt cosmétique du marché français se fait nettement plus discret aujourd'hui. L'effervescence autour du petit pot rose, présenté à l'époque comme un futur blockbuster à la hauteur d'un Actimel ou d'un Activia, n'aura pas dépassé le stade de la curiosité. « Le lancement a été réussi, rappelle Béatrice de Raynal, présidente du cabinet de conseil Nutrimarketing. Mais les gens n'ont pas adopté la consommation sur le long terme. Les deux principaux freins sont le goût trop sucré, et la contrainte de la consommation quotidienne pour que le produit soit efficace. » Selon un adhérent Intermarché, Danone est tout simplement « allé un peu trop loin un peu trop vite ». Sans compter que ce nouveau geste beauté est coûteux. Pour une utilisation efficace, le groupe préconise 2 pots par jour. À près de 2,30 E le pack de 4, la facture devient rapidement indigeste...
Des déréférencements attendus
Bilan, les ventes d'Essensis ont chuté de 60 % entre février et décembre 2007. Selon Gabriella Colletti, porte-parole de Danone France, ce chiffre s'explique « par le départ tonitruant du produit ». Tout juste reconnaît-elle que la marque « est aujourd'hui un peu en deçà des attentes ». Un doux euphémisme selon la grande majorité des distributeurs et des industriels, qui parlent d'un échec pur et simple. « Pour moi, c'est plié, les produits vont sortir des linéaires petit à petit au premier semestre 2008, lance un adhérent d'une enseigne d'indépendants. D'ici à quelques mois, Essensis sera déréférencé par l'ensemble du réseau, faute de résultat. D'ailleurs, s'il n'y avait pas eu Danone derrière, cela aurait été fait depuis longtemps. »
Déréférencement : le mot est lâché. Plusieurs grandes enseignes s'apprêtent à retirer tout ou partie de la gamme Essensis. Cora serait en train de passer à la trappe 3 références - nature par 8, pêche-framboise, et litchi-raisin blanc - sur les 6. Géant supprime le nature par 4 et le pêche-abricots, quand les supermarchés Champion vont se passer des services du nature par 4 et du litchi-raisin blanc. Un vrai coup de massue pour la marque, que la porte-parole de Danone ne souhaite pas commenter, se bornant à souligner que cela « fait partie des négociations commerciales ».
Sous-entendu, le groupe français ferait aussi les frais de ses récentes hausses de tarifs, jugées prohibitives par les distributeurs. Ces derniers accusent Danone de profiter de la crise des matières premières pour gonfler ses marges. La première vague de déréférencement peut ainsi également se lire comme un avertissement des distributeurs, qui se servent d'Essensis comme d'un moyen de pression. Quoi qu'il en soit, la marque n'a pas su trouver son public et elle aurait certainement déjà disparue des rayons français si Danone n'avait pas joué de sa position de large leader de l'ultrafrais (37 % du marché en valeur).
Un groupe patient
Qu'importe, Franck Riboud croit fermement au succès, et ne compte pas abandonner son dernier-né. En novembre 2007, devant les premiers doutes des professionnels, le PDG de Danone avait rappelé à la communauté financière réunie à Moscou qu'Actimel avait mis plusieurs années à s'imposer, avant de devenir une référence planétaire qui pèse aujourd'hui plus de 1 milliard d'euros.
La porte-parole de Danone souligne que le taux de pénétration d'Essensis (10,6 %) est « bien supérieur à la moyenne des succès du groupe, qui est de 8 % au bout de un an ». Danone indique d'ailleurs fourmiller de projets pour la marque. Après avoir lancé fin 2007 le blanc sans sucre ajouté, afin de répondre aux reproches d'un yaourt au goût trop sucré, de nouvelles saveurs devraient arriver rapidement. Et après avoir investi plus de 9,2 millions d'euros en publicité sur 2007 (le plus gros lancement en ultrafrais depuis Danacol en 2004), Danone remet la main au pot en 2008 avec une nouvelle campagne d'envergure, pour expliciter le bénéfice produit. Elle sera accompagnée d'une importante campagne promotionnelle pour soutenir les ventes.
Aujourd'hui, la question est donc : Essensis est-elle simplement en retard sur son plan de marche, ou la marque se dirige-t-elle lentement vers la sortie, sachant que les résultats en Belgique, en Espagne et en Italie ne semblent pas meilleurs ? Pour Béatrice de Raynal, « le produit finira par s'imposer. À terme, je pense même que la dermonutrition sera plus efficace que la cosmétique ». Et, par le passé, Danone a su se montrer patient lorsqu'il pensait tenir un produit d'avenir.