Gare aux prophéties autoréalisatrices [Edito]
La situation est assez compliquée pour ne pas tomber dans le catastrophisme et exploiter le moindre chiffre pour clamer qu'un monde s'écroule. À l'inverse, des indicateurs sont suffisamment mal orientés pour ne pas rester inerte, les bras ballants. Tout est une question d'équilibre et d'interprétation, tant il est facile de balancer à ses collègues, ses concurrents, ses actionnaires ou aux médias des chiffres alarmistes sans trop savoir d'où ils viennent ni ce qu'ils montrent réellement. De ne voir que les marchés qui chutent sans indiquer ceux qui résistent ou sont en forte croissance.
D'oublier, par mégarde ou ignorance, de comparer des périodes… comparables, de ne pas tenir compte des effets calendaires, de la météo et de bien d'autres éléments qui compliquent des interprétations. Il est si facile de tirer des conclusions hâtives des faillites ou des mises en redressement judiciaire, sans indiquer que les enseignes ou sites concernés perdaient bien souvent de l'argent depuis des années. Alors attention de pas tomber dans l'amalgame facile et de penser que c'est tout le commerce qui est touché et qu'il est forcément sur le déclin. On peut même parfois parler d'un syndrome de prophétie autoréalisatrice, cette définition erronée d'une situation qui suscite de nouveaux comportements et finit par rendre réelle une situation qui n'était que supputée ! Par exemple, à force d'entendre que le bio ne va pas bien, des consommateurs en sont persuadés et n'en achètent plus. Mais il ne sert à rien d'accuser le client de tous ces maux. Il n'est pas l'unique coupable de la baisse des volumes. Industriels et distributeurs sont coresponsables de la situation. En proposant moins d'innovations et entaillant dans l'assortiment, les professionnels jouent parfois aux apprentis sorciers, avec l'espoir d'éviter les sortilèges lancés par quelques défaitistes. Changer de paradigme ou de logiciel ne signifie pas se lancer à marche forcée vers la paupérisation. On peut aussi parler de gains de productivité, de décomplexification des organisations, de développement ou de création de valeur.
« L'économie est une matière vivante, avec ses à-coups plus ou moins brutaux, vers le bas comme vers le haut. »
Bien évidemment, l'idée n'est pas de dire que tout va bien. Il est plus qu'urgent de bouger les lignes, de se remettre en cause, de travailler autrement, d'investir dans les outils de travail (usines, magasins et supply chain). Mais ces changements ne peuvent se faire dans la panique générale et dans un climat anxiogène permanent. L'économie est une matière vivante, avec ses à-coups plus moins brutaux, vers le bas comme vers le haut. Nous ne sommes pas en période révolutionnaire - souvent synonyme de violence ou d'opposition entre « jour d'avant » et « jour d'après » -, mais dans une nécessité de mutation ou de transformation. Ce qui demande une ligne directrice et de la sérénité. Un peu de pondération et de modération ne peut pas nuire à l'analyse et à la projection. Les équipes, en magasins ou en usines, ont besoin de cet optimisme pour tenir le cap et garder le moral. Et n'oublions pas que s'il est nécessaire de tenir un discours de vérité à ses équipes, elles ont aussi besoin d'espoir et de perspectives et pas seulement d'une litanie de mauvaises nouvelles plus ou moins prouvées.