Grand et petit commerces cohabiteraient sans se nuire
Paix sur les commerces alimentaires. C'est la morale « iconoclaste » que l'on peut tirer de l'étude du cabinet Asterop, qui enterre - rien moins - que la vieille hache de guerre entre petit et grand commerces ! Christophe Girardier, PDG d'Asterop, a fait et revérifié ses calculs, les a soumis à un comité scientifique et éthique, et l'affirme haut et fort : « le postulat selon lequel le niveau de développement de la grande distribution entraînerait nécessairement le déclin du petit commerce est contraire à l'analyse objective des faits ». L'étude prenant comme base les commerces de bouche - boucheries, charcuteries, boulangeries, pâtisseries, cavistes, épiceries, hors supérettes -, selon le répertoire Sirene de l'Insee, démontre même que ces petits de l'alimentaire se développent plutôt mieux à l'ombre des grands, dans les zones où la grande distribution est la plus prégnante ! Certes, du milieu des années 60 à la veille des années 2000, les grandes surfaces alimentaires (GSA) furent « prédatrices » des commerces de bouche, exterminés à 70 % ! Mais, comme dans un écosystème où deux populations en lutte pour la vie finissent par trouver leur équilibre, depuis le début des années 2000, les petits commerces ne déclineraient quasiment plus.
Étonnante disparité Nord-Sud
Mieux, certains se développeraient, comme les cavistes, les magasins bio ou les étals de marchés. En revanche, boucheries et poissonneries continuent de couler, probablement en raison des crises alimentaires, mais aussi de problèmes de successions.
Asterop, découpant le France en 629 zones de vie (aires d'attraction qui rendent compte de la consommation et de la mobilité des habitants), établit une cartographie détaillée du petit commerce. Et relève une surprenante disparité entre le Nord et le Sud où se trouvent la majorité des zones offrant la meilleure couverture en petits commerces (15 à 50 % plus élevée que la moyenne). Ce qui traduirait la propension des petits commerçants... à s'installer sous les meilleurs climats, également appréciés des seniors en quête de commerces de proximité. Béziers, Nîmes, Marseille, Saint-Étienne font ainsi partie des grandes agglomérations les mieux équipées, par contraste avec Brest, Nantes, Orléans, Reims, Nancy..., sous-équipées. Mais le résultat le plus surprenant concerne la corrélation entre le niveau de développement du petit commerce et celui des GSA. La théorie des forces antagonistes devrait montrer le premier faible, là où les secondes sont fortes. Et réciproquement. Or « contrairement aux idées reçues, la présence des petits commerces n'est pas négativement impactée par celle de la grande distribution, au contraire même : le petit commerce est plutôt légèrement plus développé là où la distribution l'est aussi ». Dans 62 % des zones de vie, les équipements dans les deux formes de commerce sont, au regard du potentiel de consommation, de niveau équivalent. Par exemple, sur la zone de Caen l'indice de couverture est respectivement de 118 pour les GSA et de 122 pour les petits commerces ; de même à Nîmes (113 et 143) ou Marmande (172 et 195). Autrement dit, le petit commerce est fort là ou les GSA le sont.
Des arguments pour la LME
Situation tout aussi égalitaire pour des villes sous-équipées dans l'une et l'autre formes de commerce, comme Chartres (90 et 57) ou Grenoble (69 et 75). Seules 38 % des zones montrent des déséquilibres en faveur de l'un ou l'autre de ces types de commerce. Y compris des villes où à un sous-équipement en GSA répond un suréquipement en petits commerces, comme Marseille (indices respectifs de 90 et 130), Montpellier (89 et 109), ou Lyon (74 et 106), métropoles régionales fortement urbanisées il est vrai. « Les deux formes de commerce peuvent donc se développer et prospérer de façon indépendante, sans que l'une prenne le pas sur l'autre », conclut Christophe Girardier. Qui ne manque pas de faire de son étude une pièce à conviction dans l'élaboration de la LME : « Voilà qui apporte des arguments concrets aux intéressantes intuitions du rapport Attali sur la libre concurrence des commerces. »
Les primeurs font mieux que les épiciers
On ne l'entend - évidemment - pas de cette oreille à l'UNFD (Union nationale des syndicats de détaillants en fruits, légumes et primeurs), qui rassemble quelque 14 100 adhérents. « Certes, je confirme la résistance des petits commerces les plus innovants, reconnaît Anaïs Guiraud, la juriste de l'UNFD. Ainsi quelque 200 entreprises se sont créées depuis 2005, capitalisant sur le bio, les préparations fraîches ou la livraison à domicile. Mais les commerces d'alimentation générale - représentés aussi par l'UNFD via le Sefag (Syndicat de l'épicerie française et de l'alimentation générale) - s'en tirent beaucoup moins bien et ne peuvent subsister dans un contexte de guerre des prix, avec 300 à 500 E de chiffre d'affaires hebdomadaire. La force économique reste du côté de la grande distribution, et sera même accentuée par la nouvelle loi. Quant aux conséquences, chaque semaine en apporte un exemple local, comme ce boulanger de Seine-Maritime condamné à baisser rideau face à Carrefour et Casino, et qui laissera la place à un institut de bronzage... ». Et pourtant, toujours selon l'Insee, la France compte, en treize années, une hausse de 423 % des magasins de « cuisson de produits de boulangerie ». La guerre et le débat ne sont décidément pas clos...
