Hors-série LSA Boissons – Juin 2021
Voici quelques années, on parlait beaucoup de binge drinking. Autrement dit, en bon français, de beuveries ou, littéralement, d’alcoolisation frénétique. Un phénomène qui touchait plutôt les jeunes lesquels, en un temps record, engloutissaient des boissons alcoolisées en vue de se désinhiber rapidement. Le phénomène était inquiétant et les fabricants de spiritueux et de bières y avaient répondu en menant des stratégies de premiumisation de leurs élixirs et mousses. Plus les produits étaient chers, moins ils s’adressaient à la tranche d’âge concernée : difficile de « binger » un Dom Pérignon…
Le phénomène semble derrière nous. Au binge drinking a succédé le no/low. No pour pas d’alcool. Low pour peu d’alcool. Une tendance radicalement opposée à la précédente. La nouvelle a un lien certain avec le Dry January (« janvier sec ») que les Anglais, soutenus par les ligues contre l’alcoolisme, ont inventé voici quelques années pour se remettre des excès de fin d’année. On aurait pu penser que, de ce côté-ci de la Manche, ce janvier sec ne soit pas adopté. Qu’il allait être vu comme une injonction de plus, ce qui ne s’accorde pas bien avec l’esprit gaulois. C’était sans compter sur les réseaux sociaux, qui ont rendu cette incitation à la privation presque tendance en proposant de la vivre comme un challenge. Bien vu.
Ce Dry January – les Belges ont eu la bonne idée de le déplacer en février, le lecteur comprendra pourquoi – est en train d’entraîner des transformations dans la consommation des boissons alcoolisées. Autrefois, quand il fallait se résoudre à diminuer sa consommation, les Français inventaient. À l’instar de l’écrivain Ernest Hemingway, un Américain mais qui a passé beaucoup de temps à Paris. La légende raconte qu’il a créé le cocktail bloody mary pour camoufler sa vodka sous un torrent de jus de tomate. Une astuce comme une autre pour échapper aux remontrances de son épouse, Mary, qui ne voulait plus que son haleine sente l’alcool. Le grand-père d’un ami que son médecin avait incité à moins lever le coude versait systématiquement de l’eau dans un joli verre à vin. Sa cuvée spéciale ! Un millésime un peu plat mais qui faisait illusion.
À l’époque, il n’y avait quasiment pas d’offre pour faire illusion, justement. Mais, les temps changent. Déjà, à côté des Pacific ou Mister Cocktail, des gins qui, faute d’alcool, ne sont pas des gins, les boissons au profil « pinot noir » ou « muscat », qui ne peuvent se revendiquer vin – pour cela, il faut titrer au moins 8,5° d’alcool –, tentent de se faire une place dans les rayons. Et cela avec des prix presque identiques à ceux des élixirs classiques alors qu’ils n’ont pas à acquitter de taxes. Malin !
SYLVIE.LEBOULENGER@LSA.FR
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