Interview de Delphine Ernotte-Cunci, directrice exécutive d’Orange France : « Le low-cost concernera 15% des utilisateurs »
C'est dans le plus grand point de vente du groupe (470 m2) à Marseille, que Delphine Ernotte-Cunci dresse, pour LSA, le bilan de ces quelques mois passés et évoque les grands chantiers d'avenir de l'opérateur.
FRÉDÉRIC BIANCHI
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FRÉDÉRIC BIANCHI
De ce début d'année, Delphine Ernotte-Cunci, la directrice exécutive d'Orange France, s'en souviendra longtemps. Accusé par Xavier Niel, le patron de Free, de prendre ses clients pour des « pigeons », pointé du doigt pour ses marges plus que confortables dans le mobile, l'opérateur a dû subir un opprobre rarement vu pour un secteur de la grande consommation. Comme Bouygues et SFR, Orange a dû ajuster ses tarifs (surtout ceux de son offre Sosh) et expliquer pourquoi il resterait plus cher. Ensuite, l'opérateur a laissé passer l'orage (perdant tout de même 200 000 clients dans le mobile) pour mieux profiter aujourd'hui des couacs et faiblesses de Free. D'ailleurs, partenaire de ce dernier via un contrat d'itinérance, Orange menace de le suspendre momentanément, agacé par les pannes de réseau de Free...
Mais c'est sur l'absence de boutiques de son concurrent qu'insiste Orange, alors qu'il inaugurait la semaine dernière, à Marseille, sa seizième Très Grande Boutique en France, 470 m² de high-tech dans laquelle il met justement en avant son savoir-faire en matière de services et de conseils.
LSA - Votre Très Grande Boutique inaugurée à Marseille est aussi la plus importante des quinze magasins préexistants. C'est votre réponse à l'arrivée de Free ?
Delphine Ernotte-Cunci - Non, ce n'est pas lié à l'arrivée de Free dans le mobile. Nous sommes l'opérateur de tout le monde, et c'est notre rôle d'accompagner les clients dans ces nouveaux territoires de la technologie que sont les smartphones, les tablettes, la 4G... D'où l'idée d'avoir des espaces services dans la boutique pour dépanner les clients et les aider à se servir d'un appareil. Une assistance qui peut aussi se déplacer à domicile d'ailleurs.
LSA - Vos services expliquent la différence de prix avec Free. Mais quand vous avez vu l'engouement autour de son offre, ne vous êtes-vous pas dit que votre stratégie n'était pas la bonne et que les consommateurs voulaient des tarifs bas avant tout ?
D. E.-C. - Certains clients veulent effectivement un prix minimal, mais il n'y a pas qu'un client. Pour ceux qui demandent le tarif le plus bas, nous avons lancé notre opérateur Sosh. Ce public qui n'a pas besoin de conseils et qui recherche les prix les plus bas, nous l'estimons à 15 % du marché du mobile. Nous nous devons de leur répondre, certes, mais il ne faut pas oublier que la majorité des clients veulent du service, du conseil et de la fiabilité... Nous l'avons vu récemment avec les problèmes de Free.
Et puis il y a la question du business model des ventes de téléphones. Les clients sont-ils prêts à payer 700 E pour un iPhone ? En Belgique, par exemple, il n'y avait pas de modèle de subvention opérateur [comme chez Free, NDLR], résultat : les téléphones haut de gamme ne se sont guère développés là-bas. Et au-delà de l'acquisition du terminal, il y a les SAV : chez Orange, nous changeons le téléphone dans les quarante-huit heures. Après, avec notre opérateur Sosh, nous proposons, comme Free, des offres d'étalement de paiement pour ceux qui voudraient acheter leur mobile sans engagement.
LSA - Quid de la qualité du réseau ? Cela va-t-il devenir un argument commercial pour les opérateurs historiques ?
D. E.-C. - C'est fondamental à plus d'un titre. Savez-vous, par exemple, que 85 % des appels d'urgence sont passés depuis un mobile ? Si on ne capte plus, on fait comment ? Là-dessus, nous sommes très confiants chez Orange. La grosse panne que Free a connue il y a quelques jours [le 20 mars, NDLR] n'était pas due à notre itinérance, qui fonctionnait parfaitement, mais à un problème de signalisation sur leurs installations. En ce qui concerne la qualité du réseau, Orange couvre 98 % de la population en 3G, avec des débits, et c'est l'Arcep [Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, NDLR] qui le dit, cinq fois plus élevés que ceux de Bouygues et deux fois plus que ceux de SFR... Et nous ne nous arrêtons pas à la 3G. Le 5 avril, nous allons lancer le H+ pour le grand public, qui, moyennant 10 E par mois, va permettre d'avoir un débit de 42 Mo, soit trois fois plus que la 3G actuelle. Aujourd'hui 50 % de la population est déjà couverte. Et nous lançons en juin notre premier réseau 4G. À Marseille d'abord, puis dans d'autres villes courant 2012 avant d'être étendu, début 2013, au niveau national. Bref, nous sommes capables de faire évoluer notre réseau...
LSA - Quelque chose qui n'évolue pas vite, en revanche, c'est le multicanal. Est-ce normal, lorsqu'on commande un mobile sur le Net, d'être obligé d'aller le chercher dans un point relais de type pressing ou cordonnier plutôt qu'en boutique ?
D. E.-C. - Tout d'abord, les points relais peuvent être utiles, et ça n'interdit pas aux clients de venir demander ensuite du conseil en boutique Orange. Mais nous mettons aujourd'hui en place un service qui permet de réserver un produit sur internet et d'aller le chercher en magasin. Ça va se mettre en place progressivement au long du premier semestre. Si nous ne sommes pas allés plus vite, c'est à cause de la gestion des stocks. Mais ça devient possible avec les nouveaux outils informatiques, comme les ERP [des progiciels qui intègrent les différentes fonctions de l'entreprise, NDLR].
LSA - Avec vos 1 200 points de vente, vos boutiques de plus en plus grandes et une montée en puissance d'internet, votre présence en distribution concurrentielle a-t-elle encore un avenir ?
D. E.-C. - Oui, c'est indispensable pour nous d'être présents dans des milliers de points de vente. Les ventes de mobiles dans la distribution concurrentielle représentent tout de même 25 % du total en France. Nous ne pouvons pas prétendre être un opérateur grand public sans être chez Carrefour ou Auchan, des enseignes fréquentées chaque jour par un million de clients...
PROPOS RECUEILLIS PAR F. BI.
En chiffres
1 200 points de vente (dont 650 en propre)
22,5 Mrds € de chiffre d'affaires en 2011 pour Orange France
12 000 collaborateurs en boutiques
16 Très Grandes Boutiques (400 m² et plus)
Source : Orange
UN PUR PRODUIT FRANCE TÉLÉCOM
Elle a tout connu ou presque au sein de feu l'opérateur national, Delphine Ernotte-Cunci. Entrée en 1989 dans un monopole d'État au service R et D après de brillantes études d'ingénieur à Centrale Paris, elle est aujourd'hui directrice exécutive France d'un des géants mondiaux du mobile et de l'internet. Entre-temps, elle a occupé des fonctions commerciales, dirigé la région Centre de France Télécom et a même occupé le poste de directrice de la communication en 2006, au moment du « rebranding » de France Télécom en Orange. Nommée dans la foulée directrice commerciale puis directrice générale adjointe du groupe en charge de la France par Stéphane Richard, cette passionnée de théâtre de 45 ans dirige aujourd'hui la plus grande division de l'opérateur, soit une entité de 100 000 salariés, 1 200 boutiques et plus de 22 milliards d'euros de chiffre d'affaires.