Kodak, chute d’un colosse trop sûr de lui
Inventeur par inadvertance de l’appareil photo numérique, Kodak n’a jamais voulu abandonner la très lucrative pellicule photo. Ce qui le conduira à sa perte.
Peu de gens le savent : c’est Kodak qui a inventé l’appareil photo numérique. Un jour de 1976, l’ingénieur électronicien Steve Sasson présente un prototype d’appareil photo qui capture des images pour les diffuser sur la télé. « Pourquoi des gens voudraient-ils voir leurs photos sur la télé », l’interroge alors le PDG de l’époque. Sans réponse, l’ingénieur range son appareil dans les cartons. On connaît la suite : balayé par le numérique dans les années 2000 et placé sous le régime des faillites pendant plus d’un an, Kodak ne doit sa survie qu’à la faveur d’une vente de ses brevets et la cession de l’ensemble de ses activités grand public. Du grand Kodak d’antan, il ne reste aujourd’hui qu’une marque et des souvenirs.
Pourtant précurseur
Souvenirs qui jaunissent aussi comme une vieille photo. Car qui se souvient que Kodak fut, au XXe siècle, un mélange d’Apple (pour la créativité) de Samsung (pour le gigantisme) et de Google (pour la culture d’entreprise forte) Créée en 1881 par George Eastman, gratte-papier dans une banque mais passionné de photo, la société Eastman Dry Plate Company commercialise les premiers films souples de photos. Une révolution qui va entraîner une démocratisation de l’usage. Rebaptisée Kodak en 1888 (Eastman qui cherchait un nom qui se prononce dans toutes les langues), la société lance un appareil avec une pellicule préchargée. Il suffit pour l’utilisateur de prendre la photo et d’envoyer le boîtier au siège de Kodak à Rochester (État de New York). Il reçoit en retour ses photos et son appareil de nouveau chargé. Et un premier slogan mythique : «You press the button, we do the rest.»
EN DATES
Source : LSA
- 1881 Création par George Eastman (en photo ci-dessus) de l’Estman Dry Plate Company (rebaptisée Kodak en 1888)
- 1935 Premier film couleur Kodachrome
- 1976 Développement du premier appareil photo numérique qui ne sera jamais commercialisé
- 2013 Sortie du régime américain des faillites d’Eastmann Kodak désormais spécialisée dans l’impression BtoB
Le succès est immédiat. Kodak vend des millions d’appareils et surtout de pellicules. Car, comme l’explique François Sauteron, ancien cadre de Kodak France, dans son livre La Chute de l’empire Kodak : « Nous ne gagnions rien sur la vente d’appareils, mais la pellicule était la vache à lait de Kodak. » Une vache à lait qu’il traira avec succès durant tout le XXe siècle : Brownie, Kodachrome, Instamatic… Kodak révolutionne la photo et devient un mastodonte industriel après le rachat du français Pathé, en 1927.EN CHIFFRES
Source : LSA
- 145 000 Le pic de salariés atteint par Kodak à la fin des années 80
- 7 Mrds $ Le montant des dettes de Kodak en 2012
Le virage raté du numérique
Dans la seconde partie du siècle, si les succès sont toujours là, des premiers couacs se font entendre. La marque éconduit, début 1950, un certain Edwin Land qui lancera en solo sa marque d’appareils instantanés : Polaroid. Dans les années 70, elle rachète à tour de bras des sociétés dans la chimie, la pharmacie, qu’elle surpaie pour au final les revendre moins cher… Dans les années 90, sentant que le numérique va s’imposer, Kodak débauche le patron de Motorola, lance un graveur de CD et un appareil numérique… à cartouches (toujours ce lucratif consommable). Peine perdue… Les géants japonais (Sony, Canon, Nikon, Panasonic) ont déjà dégainé leur numérique. Kodak sera balayé en quelques années. La boîte de Pandore a sans doute été refermée un peu vite en 1976.