L'Afrique, prochain eldorado de l'e-commerce ?
Face à l’émergence d’une classe moyenne, à l’accroissement des internautes et à la hausse de population, le continent africain pourrait bien receler un incroyable potentiel commercial. Peu nombreux sont ceux à oser s’y lancer, et quelques acteurs se taillent la part du lion.
Les ventes en ligne sont-elles sur le point d’exploser en Afrique ? Depuis 2013, elles sont en constante progression : estimées alors à 7 milliards d’euros, elles pourraient atteindre 45 milliards d’euros d’ici à deux ans, selon les estimations de Deloitte. Le continent recense une population dépassant le milliard d’habitants, et se compose d’ores et déjà de 241 millions d’internautes répartis dans 54 pays, soit 21% de la population, et autant d’e-acheteurs potentiels. « L’Afrique assiste à l’émergence d’une véritable classe moyenne, composée de consommateurs qui ont le désir de consommer mais aussi de s’équiper », indique Olivier Nguyen-Khac, directeur général d’Africashop (groupe CFAO).
Peu à peu, les acteurs de l’e-commerce s’y intéressent, mais des craintes, liées notamment à une méconnaissance des marchés, subsistent. Cdiscount, propriété de Casino, a décidé de s’y lancer en 2014, et a opté pour des pays francophones, comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Sénégal. Plutôt discrète quant à ses performances commerciales sur le continent, l’entreprise a choisi un modèle consistant à embaucher peu localement et avec une plate-forme web très inspirée de l’existant français. Un parti pris qui, selon Thierry Barbaut, consultant, expert du digital et des nouvelles technologies en Afrique, pourrait ralentir sa réussite sur le continent : « Dans l’e-commerce, le meilleur est celui qui est capable de s’adapter aux spécificités locales des différents pays. »
Jumia, l’Amazon africain…
Africa Internet Group (AIG), mastodonte de l’e-commerce qui revendique une croissance de 200% entre 2014 et 2015, a opté pour une organisation très locale. « Tous nos sites sont gérés localement. Ils disposent de leurs propres entrepôts et de stocks dédiés, mais aussi d’équipes commerciales, etc. Nous avons près de 5 000 collaborateurs, et il y a des CEO dans chacun des pays où nous sommes présents », précise Jérémy Hodara, co-CEO d’AIG. Preuve que le modèle séduit, le groupe vient de lever 300 millions d’euros auprès notamment de l’incubateur de start-up Rocket Internet, mais aussi de Goldman Sachs, tandis que l’opérateur français Orange a ajouté 75 millions d’euros supplémentaires. Présent dans 26 pays à travers une centaine de sites depuis quatre ans et demi, AIG regroupe un écosystème de sites marchands et d’applications, dont la place de marché Jumia (134,6 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2015 et 1,6 million de commandes), considérée comme l’Amazon africain, numéro un de l’e-commerce au Nigeria et le site le plus visité après Google, Facebook, Twitter et YouTube. Au total, une centaine de sites sont ainsi opérés par le groupe, qui a su s’adapter aux spécificités locales pour se développer. « Les consommateurs ont une appétence pour les marques non alimentaires occidentales, notamment dans la mode, la cosmétique et les produits électroménagers », analyse Stéphane Rimbeuf, associé responsable consumer business chez Deloitte.
Cash et logistique, les clés
Particularité de taille que devraient prendre en compte les e-marchands désireux de fouler le web africain, les modes de paiement. C’est un fait, une majorité d’e-acheteurs sur le continent préfèrent payer à la livraison, et principalement en argent liquide. Une réalité qu’à bien comprise Africashop, entité du groupe CFAO installé depuis plus de cent ans en Afrique, et qui vient de lancer un site marchand en Côte d’Ivoire. Reposant sur un modèle de « centre commercial digital », Africashop accepte les paiements par carte bancaire, mais aussi en cash. Pour cela, l’internaute dispose de quarante-huit heures pour effectuer le paiement dans l’une des trois boutiques que possède Africashop à Abidjan.
La logistique est une autre particularité du continent. AIG sait qu’il faut faire sans les postes nationales, jugées trop peu fiables. L’entreprise a créé sa propre société logistique, AIGX, et travaille avec des centaines de sociétés logistiques locales – limitées parfois à quelques mobylettes et camions –, chargées de livrer les clients. Elles peuvent s’inscrire sur la plate-forme AIGX dédiée, utiliser les outils mis à disposition, les process, etc. Et AIG possède ses livreurs pour combler d’éventuels déficits d’entrepreneurs.
Cruciale dans l’expérience client, la livraison est notamment l’un des leviers de développement. Les consommateurs étant en effet confrontés à une distribution physique souvent éparse et difficile d’accès à cause d’infrastructures routières pas toujours adaptées. Selon Jérémy Hodara, « s’il existe bel et bien des plans de développement du retail traditionnel en Afrique, il n’arrivera jamais à suivre la hausse de la demande ». Course contre la montre à plus d’un titre, l’e-commerce en Afrique s’engage dans une stratégie de conquête très rapide de parts de marché sur la distribution traditionnelle.
Des forces qui grandissent très vite
"Les consommateurs ont une appétence pour les marques non alimentaires occidentales, notamment dans la mode, la cosmétique et les produits électroménagers, qui se prêtent bien au web."
Stéphane Rimbeuf, associé responsable consumer business chez Deloitte
"En Afrique dans l’e-commerce, le meilleur est celui qui est capable de s’adapter aux spécificités locales des différents pays. Mais aussi de construire une logistique fiable et solide adaptée aux infrastructures."
Thierry Barbaut, consultant, expert du digital et des nouvelles technologies en Afrique
"S’il existe bel et bien des plans de développement du retail traditionnel en Afrique, il n’arrivera jamais à suivre la hausse de la demande, en raison des difficultés à sécuriser des terrains, à construire et à créer des infrastructures routières adaptées. "
Jérémy hodara, co-CEO d’Africa Internet Group