L'avenir de Marseille écrit dans son schéma commercial
Frédéric Dubessy
\ 00h00
Frédéric Dubessy
En ce temps-là, Marseille se défiait encore du grand commerce. La loi du 5 juillet 1996 introduit la notion de schéma de développement commercial (SDC), et conduit les municipalités à s'engager sur une gestion prévisionnelle et concertée de l'équipement commercial intégrée dans une logique d'aménagement du territoire. Le schéma d'organisation commerciale de la cité phocéenne, qui porte aujourd'hui le renouveau marseillais, s'inscrit dans cette démarche. Non seulement il dresse un état des lieux, mais il pointe du doigt les manques et les orientations. Redynamiser le maillage de proximité, renforcer l'attractivité commerciale du centre-ville, travailler sur des noyaux de quartiers véritables lieux de vie, resserrer et relancer la dynamique des pôles de quartier hors centre-ville, conforter l'attractivité commerciale générale de la ville, veiller à maintenir un bon équilibre entre les formes de distribution. Ce sont pas moins de six enjeux repérés par le schéma d'organisation commerciale phocéen. Et fil conducteur des projets actuels...
Un virage à 180° de sa stratégie en matière d'urbanisme commercial. C'est ce qu'a opéré Jean-Claude Gaudin, maire UMP de Marseille, au cours de son deuxième mandat, et alors qu'il en brigue un troisième. Il est loin le temps où, il y a près de quinze ans, posant la première pierre du centre Marseille Grand Littoral voulu par son prédécesseur, il lâchait, dans son discours, sa réprobation pour l'édification d'un tel mastodonte ! Seuls les énormes dédits, qu'il aurait alors dû payer au promoteur, lui interdiront de revenir sur le projet.
En 1995, Jean-Claude Gaudin avait en effet axé sa campagne sur le thème « Il faut sauver le petit commerce », en réponse à la paupérisation de l'hypercentre. « Penser protéger les commerces de proximité en évacuant les centres commerciaux loin du centre-ville a été une erreur que les commerçants payent aujourd'hui », souligne Thomas Chavane, président de Terre de Commerces, la fédération des commerces et services de proximité des Bouches-du-Rhône. Quatre à cinq ans plus tard, comprenant que sa politique enfonce plus encore le petit commerce, la municipalité change, de fait, son fusil d'épaule.
Entre-temps, les grandes enseignes rejetées sont parties prospérer en périphérie, vers Plan de Campagne, le centre Barnéoud Aubagne et autres Grand Vitrolles, gonflant l'évasion commerciale qui atteint jusqu'au milliard d'euros par an. Les centres intra-muros - Carrefour Bonneveine, Carrefour le Merlan, Centre Bourse, Auchan Saint-Loup et la Valentine - ne peuvent plus lutter, faute de renouvellement de leur offre. Et le tout récent Grand Littoral ne trouve pas encore sa clientèle.
Des préconisations suivies à la lettre
Face à un tel désastre, la prise de conscience des erreurs du passé va se concrétiser noir sur blanc dans un nouvel outil : le schéma d'organisation commercial de la ville de Marseille. Publié à la fin 2003, ce document, terreau sur lequel va croître la nouvelle offre, devient la feuille de route de Solange Biaggi, adjointe au maire, déléguée aux relations avec les commerçants. Projetant la période de 2004 à 2010, le schéma fixe les orientations futures : implantations nouvelles, transferts ou extensions dans le cadre de la CDEC. Il dessine l'organisation commerciale spatiale du territoire, avec le maillage du service de proximité, la fonction commerciale de chaque pôle et son rôle vis-à-vis de la population.
Depuis, la cité phocéenne profite de chaque édition du Marché international des professionnels de l'immobilier commercial (Mapic) pour claironner ses grands projets, jadis inexistants. En novembre 2007, Jean-Claude Gaudin égrenait avec fierté les nombreux dossiers en cours. « Notre ambition est de faire de Marseille la tête de pont de nouvelles offres commerciales porteuses de rayonnement sur l'ensemble du Bassin méditerranéen », soulignait l'édile. Tout en présentant les futurs centres commerciaux des Terrasses du Port (37 600 m2) et du pôle de la Capelette (25 000 m2), représentant 63 000 m2 de nouvelles surfaces qui ouvriront à l'horizon 2010.
Destinés à redynamiser un centre-ville élargi, ces nouveaux centres commerciaux ne comporteront pas d'hypermarché, comme le préconise le schéma, qui les juge « non nécessaires au maillage du territoire et risquant de déséquilibrer encore un peu plus un tissu commercial et de proximité fragilisé ». Mais, toujours selon les orientations du précieux document, ces deux centres comprendront chacun un supermarché (3 000 et 2 000 m2). Autre donnée exploitée à partir de l'incontournable sésame, « les domaines culture-loisirs et équipement de la personne présentent des potentialités supplémentaires significatives ».
L'écrin de la rue de la République
Cette volonté se traduit explicitement par les arrivées, ces dernières années, à l'est de la cité, d'un second magasin Fnac (à La Valentine), de Cultura (Les 3 Horloges), de Leroy Merlin et d'Ikea. Tandis qu'Alain Pinatel, directeur de Grand Littoral, appelle de ses voeux la venue d'une enseigne de culture-loisirs, ce qui conforterait le schéma en contrebalançant l'offre au nord de Marseille. Quant au renouvellement en équipement de la personne, il est assuré par la renaissance de la rue de la République (60 000 m2 de surfaces), avec des travaux engagés en 2004 et livrés à l'été 2007. Ce nouvel écrin accueille, ou va accueillir prochainement, Monoprix, Mango, H et M, Puma, Esprit, Sephora, Hylton, VertBaudet, Celio...
« Mauvaise stratégie ! », critique Christophe Lopez, candidat sur la liste conduite par le socialiste Jean-Noël Guérini. « On trouve là les mêmes enseignes que sur la rue Saint-Ferréol ou au Centre-Bourse. On ne fait que déplacer les flux sans créer de nouvelle offre. Au lieu de s'attaquer aux vrais problèmes - la propreté, le stationnement, la circulation - et de mettre en place une politique de revitalisation et de synergie entre quartiers. »