L'habit fait l'enseigne
Loin d'être anodine, la tenue vestimentaire des salariés de la distribution a une utilité plus que pratique. Elle reflète les codes de l'enseigne. Souvent imposée dans le secteur de l'alimentaire, elle tolère plus de variantes dans le non-alimentaire.
MAGALI PICARD, AVEC CORINNE AZOULAI AUX ÉTATS-UNIS
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MAGALI PICARD, AVEC CORINNE AZOULAI AUX ÉTATS-UNIS
Dis-moi quel est ton look, je te dirai de quelle enseigne tu es. L'américain Abercrombie et Fitch ne doit-il pas une partie de sa célébrité à l'apparence débridée de ses vendeurs, en simple maillot de bain l'été, chemise grande ouverte et nez badigeonné de blanc pour éviter les coups de soleil ? Et impossible de confondre le quasi-uniforme du personnel d'Ikea aux couleurs du drapeau suédois, jaune et bleu, ou l'éternel gilet et cravate rouges du vendeur d'Auchan, avec les tenues bigarrées et hispanisantes d'une enseigne comme Desigual.
La vivacité des couleurs ne sert pas à la même chose. Chez Ikea ou Auchan, elles permettent aux clients de repérer immédiatement la personne dont ils ont besoin pour les aider ; chez le dernier, les robes vives et immédiatement reconnaissables des vendeuses ou les sweats colorés des vendeurs, habillés de pied en cap par Desigual, font partie intégrante du décorum. Et changent au gré des saisons. « Nous avons une garde-robe pour l'hiver et une pour l'été, signale Nathalie, responsable du rayon femme du magasin parisien, boulevard des Capucines. À chaque fois, trois ou quatre tenues nous sont envoyées d'Espagne. »
L'intérêt « d'aligner les symboles »
Un choix relatif donc, puisque pioché dans un éventail déjà préétabli. Outre le fait que les vêtements sont siglés Desigual, ils sont systématiquement retenus parmi les best de la saison. En filigrane, l'objectif est de susciter chez le client l'envie d'acheter.
L'habit, ultime partie d'un tout ? Au même titre que la tenue vestimentaire n'est pas à négliger dans n'importe quel entretien d'embauche, celle des employés de vente s'avère stratégique. La Fnac l'a bien compris. Le remplacement cet été du fameux gilet vert foncé et jaune moutarde par un gilet noir et beige parachève le travail de recherche graphique sur les sacs et le papier d'emballage effectué en amont. Un peu comme la flèche d'une cathédrale. « Il fallait aligner les symboles, explique Katia Hersard, directrice du marketing et de la marque Fnac. Le précédent gilet correspondait aux années 80-90. Nous avons sondé les salariés pendant plusieurs mois pour connaître leurs aspirations. » Verdict : un gilet plus ajusté, avec, pour le côté pratique, des poches à l'intérieur et à l'extérieur, le tout dans une matière équitable, puisque tous sont fabriqués en coton Max Haavelar. « Nous voulions aussi renforcer la fierté des vendeurs d'appartenir à la Fnac, et les rendre repérables. »
Même concertée avec les premiers concernés, la tendance va de plus en plus vers des vêtements d'image et imposés. Dans l'alimentaire comme dans le non-alimentaire. Monoprix va jusqu'à ajuster les vêtements de son personnel au type des magasins. Pas question par exemple d'habiller simplement en beige et rouge les 46 salariés du chiquissime Monoprix situé rue du Bac, dans le 7e arrondissement à Paris. Mieux vaut le blanc et le noir. « L'important, c'est que la tenue corresponde au cadre du magasin, souligne Christian Le Moulec, directeur du magasin. L'élégance est due aux couleurs. »
De la souplesse, mais dans une certaine limite
Dans l'habillement, la réflexion est aussi poussée. La plupart des enseignes vêtissent leur personnel à leur propre marque, histoire que les troupes ne déparent pas dans le décor. « C'est aussi une manière de gommer les barrières entre vendeurs et clients, analyse Éric Pestel, qui dirige depuis plus de dix ans Lookadok, une société spécialisée sur l'adéquation entre l'image professionnelle et la marque. Les enseignes qui souhaitent créer un état d'esprit, un style de vie, installent une convivialité en habillant à leur image leur personnel de vente. » Lorsqu'elles laissent de la souplesse à leur personnel, c'est souvent dans une certaine limite. Les vêtements doivent être discrets et ne pas montrer ostensiblement une autre marque... « On peut s'habiller comme on veut, tant qu'aucun logo n'apparaît », raconte un salarié de H et M. De « contraignant et obligatoire », le dress code est devenu « recommandé et conseillé ». À tel point qu'aux États-Unis on ne parle plus de « code », mais de « look policy ».
Des codes imposés tout en finesse
Abercrombie & Fitch, qui a bâti sa stratégie de communication sur l'allure délurée et sexy de ses vendeurs, a assoupli les règles. Une souplesse toute relative. Les employés peuvent porter des vêtements d'autres griffes... À condition que cela ne se voit pas bien sûr, et moyennant une liste précise de principes : les tongs ou les espadrilles doivent être siglées Converse ; le piercing, les vernis à ongles trop foncés, le violet et le noir sont proscrits, comme d'ailleurs dans toutes les collections Abercrombie. Pour inciter le personnel à rester dans le droit chemin, l'enseigne va jusqu'à leur offrir 50 % de ristourne dans les boutiques ! Cas unique, parisien cette fois, celui des employés de vente du temple parisien de la « branchitude » Colette, rue du Faubourg Saint-Honoré (VIIIe). Ils ont droit, eux, à une liberté quasi-totale, le tout étant d'éviter la « faute de goût ». En fait, il s'agit d'une manière d'imposer des codes tout en finesse.
Dans tous les cas, rien de mieux que de consulter les troupes avant de trancher. Celles qui les portent tous les jours ont leur mot à dire. « Nos tenues bleues d'avant étaient plus faciles à entretenir, mais l'acrylique, la matière dominante, collait un peu », témoigne Patricia Virfolet, déléguée syndicale CFDT chez Monoprix, vingt-deux ans au compteur dans l'enseigne. Avant de modifier l'uniforme de ses hôtesses de caisse, Carrefour a organisé un casting de tenues dans quatre magasins pilote. Moderne, pratique, adaptée à tous en fonction de la morphologie (pantalons et jupes), à toutes les saisons (manches courtes et longues), leur garde-robe a été savamment étudiée avec l'aide d'un cabinet de style.
Une prime pour l'entretien des vêtements
Pour que les équipes puissent revêtir les habits de leur monastère, encore faut-il qu'ils leur soient accordés à des prix avantageux ou, mieux, fournis gratuitement. La majorité des enseignes offrent le vestiaire et versent à leurs salariés une prime pour assurer l'entretien des vêtements. Appelée « prime d'habillage » chez Monoprix, l'obole équivaut à 0,60 E par jour. Soit, au total, une somme d'une grosse centaine d'euros par an pour porter et entretenir trois pantalons et six chemises, l'uniforme standard des caissières. Inchangé depuis 2004, il devrait être renouvelé dans les prochains mois.
Auchan va jusqu'à rembourser une partie du budget lessive à ses salariés. Une prime d'entretien d'autant plus utile que dans l'alimentaire, les tenues varient autant que les corps de métiers. « Aux produits frais par exemple, nous avons entre 7 et 11 tenues par personne », explique Emmanuel Zeller, directeur du magasin Auchan à Vélizy, en région parisienne. Là, l'habit fait l'enseigne... et le métier.
Le même uniforme imposé pour tous
- Les règles Une garde-robe obligatoire (pantalons, chemises) avec juste une variante selon les rayons et les saisons. Dans l'alimentaire, les salariés de l'univers frais changent tous les jours. De même, l'été, le tee-shirt à manches courtes remplace la chemise. Chez Ikea, les vendeurs sont tout de bleu et de jaune vêtus. Au rayon déco, le gris et le blanc remplacent les couleurs maison. Le personnel de Sephora est connu pour sa légendaire tenue noire, une couleur adoptée depuis peu au Printemps.
- Les exemples Carrefour, Monoprix, Sephora, Printemps, Ikea...
Juste un gilet
- Les règles : Un simple élément de la garde-robe (le plus souvent un gilet) permet la reconnaissance. Le salarié s'habille comme il veut pour le reste. Le gilet doit être pratique, avec des poches pour pouvoir ranger stylos et cutter.
- Les exemples : Fnac, Décathlon, La Grande Récré...
- Les règles : Quoi de mieux que de montrer l’exemple et de porter les vêtements que l’on vend ? C’est souvent le cas dans l’habillement. Les vendeurs (euses) disposent d’une garde-robe complète qui reprend les must de la saison. Une manière d’achever l’identité de l’enseigne.
- Les exemples : Desigual, Gap…
La liberté totale
- Les règles : Il n'y en a pas ! « Être propre et respecter les règles de bon goût » chez Colette, « ne pas arborer de marques trop voyantes » chez H & M. Tout est permis, dans la limite du raisonnable.
- Les exemples : H & M, Colette...
Combien ça coûte ?
Le budget vêtements est pris en charge quasi-systématiquement par les enseignes. Ces dernières gardent en mémoire des procès intentés par les salariés pour les avoir obligées à acheter et à porter les vêtements de leur marque. C'est le cas par exemple d'Abercrombie et Fitch aux États-Unis, qui a dû leur verser 2,2 millions de dollars il y a sept ans, après un arrêt de la Cour de l'État de Californie. Pour inciter les troupes à porter l'habit, et aussi pour payer le coût d'entretien, souvent à la charge de l'employé, rien ne vaut une prime. Mais la prime est modeste. 0,60 € par jour chez Monoprix, par exemple ! Dans le textile, le calcul est plus intéressant. Desigual « offre » une tenue d'un montant de 400 à 500 € par saison à ses salariés pour qu'ils délivrent les bons codes de l'enseigne.