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L'"obsolescence programmée" des produits pourra être punie comme une tromperie
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« L’obsolescence programmée, un concept creux qui traduit une peur du progrès »
« L’obsolescence programmée, un concept creux qui traduit une peur du progrès »
Condamner les entreprises qui mettraient au point « un stratagème par lequel un bien verrait sa durée normative sciemment réduite dès sa conception, limitant ainsi sa durée d’usage pour des raisons de modèle économique » (définition officielle de l’Ademe), voilà qui est louable. Mais est-ce que c'est le cas? L’obsolescence programmée ne relève-t-elle pas du fantasme collectif? C’est la question que nous avons posée à Alexandre Delaigue, professeur d’économie à Saint Cyr et auteur d’un blog sur l’économie.
FRÉDÉRIC BIANCHI
\ 08h00
FRÉDÉRIC BIANCHI
LSA: Les entreprises ont-elles un intérêt à réduire sciemment la durée de vie de leur produit?
Alexandre Delaigue: Non et ce pour plusieurs raisons. Parce qu'elles sont en concurrence entre elles et que celle qui s'amuserait à le faire serait immédiatement distancée. Mais si on se place sur le plan de la rentabilité: c’est plus intéressant pour une entreprise de produire par exemple un seul téléphone qu’elle vendra 1000 euros et qui durera 5 ans que d’en produire deux à 500 euros qui dureront chacun 2 ans et demi. Pourquoi? Parce que produire entraine des coûts et autant les limiter.
LSA: On cite pourtant souvent l’exemple du cartel des ampoules (condamné en 1951 pour entente) et des imprimantes qui contiendraient une puce qui les rendrait inutilisables au bout d’un certain nombre d’impressions...
A.D.: Alors concernant le fameux cartel, il a effectivement été condamné car les industriels qui se sont rencontrés pour standardiser les produits en ont profité pour se mettre d’accord sur les prix et se partager les zones géographiques. Mais ils n’ont pas du tout été condamnés pour s’être mis d’accord sur une limitation de la durée de vie des ampoules! Le rapport est très clair là-dessus.
En ce qui concerne les imprimantes, c’est encore la réalité économique qui montre que limiter leur durée de vie n’aurait aucun sens. Les industriels ne gagnent rien ou presque sur le matériel comme les imprimantes, voire pour certains vendent à perte. Le business, ils le font sur les consommables, les cartouches d’encre. Quel intérêt auraient-ils à saboter leur matériel? Pour vendre un produit sur lequel ils ne gagnent rien? Ou pire décevoir le client qui partirait acheter une autre marque et donc d’autres consommables? Ca n’a pas de sens.
LSA: Cet amendement si il est votée est-il une bonne mesure contre le gaspillage?
A.D.: C’est une loi symbolique qui dénonce un concept creux. C’est dommage car il y aurait des choses à faire pour réduire le gaspillage. Comme mettre en place des consignes de 100 euros par exemple pour l’achat d’un ordinateur. Somme qu’on rendrait à la personne qui ramènerait le produit en fin de vie afin qu’on le recycle. Ca existe déjà dans une certaine mesure sur les smartphones: Apple reprend les anciens smartphones qui continuent à marcher plutôt que les clients ne les jettent.
LSA: La réalité c’est tout de même que ça devient de plus en plus difficile de faire réparer un produit...
A.D.: Oui et pour la bonne et simple raison que nous vivons dans des pays riches où les gens sont bien payés et le coût du travail élevé. Grâce à l’automatisation, nous savons fabriquer des produits en très grande quantité pour pas cher. Nous avons donc atteint un point où racheter un produit neuf coûte moins cher que de le faire réparer car la réparation relève de l’artisanat.
Et les gens surtout ne veulent souvent plus faire réparer car ça prend du temps. Au cours d’un débat, le directeur marketing des valises Delsey me disait que leur société proposait des garanties jusqu’à 10 ans. Mais en réalité, quasiment personne ne la fait jouer. Les gens qui ont un problème avec leur valise vont en général dans la grande distribution qui la leur change contre une neuve, le magasin facture ensuite au fournisseur. Les gens n’ont en réalité pas envie de cette société de la réparation... Si on concevait une voiture garantie un million de kilomètres, est-ce que tous les gens voudraient acheter une voiture pour toute une vie? Idem pour un téléphone ou un téléviseur? Avoir un produit durable n’est pas la seule qualité exigée par les clients loin de là. Car le consommateur anticipe des changement de goût, de mode, de règlementation etc.
LSA: Pourquoi alors cette croyance en l’obsolescence programmée des produits est si ancrée dans l’imaginaire collectif?
A.D.: Parce qu’on est aujourd’hui soumis à un monde incompréhensible et que c’est rassurant de se dire que quelqu’un complote quelque part. On peut aussi faire le parallèle avec le fait que les objets sont de plus en plus complexes et impénétrables; on ne peut pas ouvrir le capot d’un smartphone pour voir ce qui ne fonctionne pas, donc ça nourrit le complot.
Mais aussi parce que le consommateur devient de plus en plus "enfant gâté". Lorsqu’il achète un produit, il veut qu’il ne soit pas cher, mais aussi beau, durable, qu’il induise le progrès à venir, qu’il soit sans cesse amélioré comme avec les mises à jour sur les smartphones. Or, ce sont des qualités qui ne peuvent pas toutes cohabiter ensemble, les industriels doivent faire des arbitrages. On dit qu’il y a une obsolescence programmée sur les smartphones, mais c’est faux. Le premier iPhone de 2007 fait toujours la même chose aujourd’hui (pour ceux qui l’ont encore...) qu’il y a 7 ans. L’invention de la voiture a rendu la charrette à cheval obsolète mais elle fonctionne encore très bien la charrette aujourd’hui! Bref, la condamnation de cette soit-disante obsolescence programmée est surtout une peur du progrès...
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