L'urgence et la limite de la transparence [Edito]
« Lors d'une négociation tarifaire, les deux acteurs auront toujours leurs secrets, et le box gardera ses mystères. »
La menace de « name and shame » (exposition publique) lancée par Bercy à l'encontre des industriels n'est que l'écume des vagues. Car cette passe d'armes médiatique est avant tout révélatrice du grand manque de transparence qui règne dans le secteur des produits de grande consommation. Il est plus que jamais nécessaire de se demander jusqu'où aller entre travailler à livre ouvert et conserver le secret des affaires. Mais là, contrairement à certaines idées reçues, il faut différencier la négociation commerciale stricto sensu du quotidien des métiers et des process.
En France, la négociation est historiquement un ring de boxe où l'on s'affronte plus que l'on construit. Il s'agit d'un rapport de force où chacun aiguise, objectivement ou non, ses arguments. Dans de telles conditions, il est illusoire de croire que la transparence peut être de mise. Le secret des affaires a des raisons que les législateurs feignent d'ignorer et que notre société de l'information rejette. Ce sera en vain. Car un industriel n'a aucun intérêt à révéler son modèle économique (ingrédients, quantités, coûts) à ses clients distributeurs, qui pourraient très vite s'en inspirer pour faire fabriquer leurs produits. D'ailleurs, dans quel secteur un vendeur donne-t-il tousses chiffres à un acheteur ? Seulement dans le cas des marques de distributeurs, car ici il y a un donneur d'ordre et non un rapport fournisseur/ distributeur. La MDD est le résultat d'un contrat, avec ses coûts et un prix final. Alors qu'une marque exprime autre chose, la fameuse valeur de marque, quine peut évidemment être mentionnée dans un contrat annuel… Idem pour le distributeur qui a, lui aussi, son savoir-faire et son image. Lors d'une négociation tarifaire, les deux acteurs auront donc toujours leurs secrets, et le box gardera ses mystères. L'Observatoire de la formation des prix et des marges ou l'utilisation d'un tiers de confiance entre les deux parties (une possibilité inscrite dans la loi Egalim 2) n'y changeront rien tant la maîtrise des bons ratios reste le nerf de la guerre d'un secteur hyperconcurrentiel.
«Lors d’une négociation tarifaire, les deux acteurs auront toujours leurs secrets, et le box gardera ses mystères.»
En revanche, la transparence peut s'accroître dans les plans d'affaires, avec des indicateurs non critiquables et partagés (par exemple sur l'évolution des cours de matières premières). Elle peut être renforcée sur les promotions. Elle doit s'imposer dans la réalité des services proposés et des pénalités logistiques imposées. Sans oublier la question du développement durable, en travaillant en commun sur les scopes 1, 2 et 3. Il ne faut donc pas faire d'amalgame et rejeter en bloc la notion de transparence. Dans l'amélioration des process et des métiers, elle est indispensable. Plus que jamais, industriels et distributeurs doivent partager des données, par exemple pour réduire les ruptures en magasins, analyser les ventes ou faire de la prévision. Pour y arriver, la confiance s'impose. Mais aujourd'hui, l'insatisfaction mutuelle règne, avec une défiance réelle et persistante. Ce constat est historique et des menaces de « name and shame » n'y changeront rien. Plus que la transparence des coûts et des marges, c'est donc sur la transparence des process et des métiers qu'il faut plancher. Et il y a urgence.