La bière accompagne toutes les tendances de consommation
Bio, artisanale, sans alcool… La bière s’inscrit dans l’air du temps. C’est particulièrement vrai cette année lors de laquelle les acteurs de cette catégorie très dynamique innovent de façon sans doute plus pragmatiqueque les années précédentes.
Sylvie Leboulenger
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Sylvie Leboulenger
- + 11,8 % : l’évolution du CA des bières, à 4,43 Mrds €
- + 8,8 % : ’évolution en volume
- + 2,8 % : l’évolution du prix moyen
- 8,1 % : le poids des MDD en valeur
- 14,3 % : le poids des MDD en volume
- 80,3 % : le taux de pénétration de la bière en 2020, contre 78,6 % en 2019. Ce chiffre n’avait pas été atteint depuis 2003
- 243 millions : le nombre de passages en caisses avec une référence de bière en 2020, contre 224 millions en 2019 ou encore 180 millions en 2010
- 83,30 € : le budget annuel par acheteur, soit + 88 % versus 2008 (44,30 €)
- 10,7 : le nombre d’actes d’achat par an, soit1 acte de plus en dix ans
- + 29,9 % : l’évolution du CA des bières sans alcool, à 149,46 M €, soit 3,3 % du total des bières
- + 22,1 % : l’évolution en volume
- + 6,5 % : l’évolution du prix moyen
- + 17,9 % : ’évolution du CA des bières de spécialités, à 1,94 Mrd €, soit 44 % du total des bières
- + 15,8 % : l’évolution en volume
- + 1,8 % : l’évolution du prix moyen
- + 9,1 % : l’évolution du chiffre d’affaires des bières blondes, à 1,93 Mrd €, soit 43,5 % du total des bières
- + 8,2 % : l’évolution en volume
- + 0,9 % : l’évolution du prix moyen
Une Fischer à la mirabelle ? Voici quelques années, c’était le boom des aromatisations au rayon bières. Chaque acteur y allait de son fruit, de sa fleur ou de sa plante. Des nouveautés qui ont animé le rayon, mais sans que cela ne se traduise forcément par une explosion des ventes. Alors, cette année, celle des 200 ans de Fischer, la marque lance une version bio de sa recette traditionnelle. « Il se passe quelque chose sur le bio dans l’univers des bières craft, a remarqué Antoine Susini, directeur marketing chez Heineken Entreprise. Fischer est une marque régionale, bien référencée dans sa région, en Alsace. La version bio nous permet de la proposer au national. »
Une innovation dans l’air du temps, très porteur pour le bio. La bière y voit là un relais de croissance, car le segment est encore sous-représenté, captant moins de 2 % des ventes. Il sera de fait l’un des relais de croissance dans une catégorie qui s’est très bien comportée en 2020, une année dominée par les chamboulements que l’on sait.
Spécialités très riches
« Les bières sont incontestablement les grandes gagnantes de 2020 en grande distribution, analyse Éric Marzec, directeur de clientèle de l’univers liquides chez Iri. Avec une progression de 11 % de leur chiffre d’affaires, elles sont la catégorie la plus dynamique de l’univers des liquides (à + 3 %). Elles sont toujours tirées par les bières de spécialités, le segment qui apporte les plus gros gains aux PGC sur l’année écoulée, juste derrière les gels hydroalcooliques. De leur côté, les bières spéciales (notamment les blondes, NDLR) ont été les septièmes contributrices à la croissance des PGC en 2020. Les panachés et les sans-alcool ne sont pas en reste et représentent presque 5 % du marché avec une croissance très rapide. »
Globalement, tout va bien pour cette énorme catégorie. Deux des trois principaux acteurs ont même gagné du terrain. Ainsi d’Heineken, qui a capté 29,5 % du marché en valeur, en hausse de 0,3 point, grâce notamment au dynamisme des marques Desperados (7,7 % du marché, + 0,8 point) et la bière d’abbaye Affligem (2,1 %, + 0,4 point).
Le numéro trois du rayon, AB InBev (marques Leffe, Bud, Hoegaarden, Corona, Cubanisto, etc.), a gagné 1 point en valeur, à 17,7 %. Reste Kronenbourg, le numéro deux, qui a « été lourdement pénalisé par la réduction entre mars et mai de la production de notre brasserie d’Obernai, en Alsace, une région très touchée par le Covid-19 », rappelle Philippe Collinet, son directeur de la communication. Avec des ruptures d’approvisionnement, Kronenbourg recule de 2,1 points en part de marché en volume, à 24,5 %. Ses signatures Grimbergen (4,4 % de part de marché en volume, + 0,1 point) et Tourtel (1,8 %, + 0,2 point) ont continué de progresser, tandis que Kronenbourg (8,2 %, - 1,6 point) et 1664 (9,3 %, - 0,4 point) ont peiné.
De garde mais pas du Nord
Sans nul doute, la bière est la catégorie des boissons alcoolisées qui a réussi à compenser dans le circuit alimentaire une partie des ventes qui n’ont pu se faire dans les cafés, hôtels et restaurants (CHR). Il ne faudrait pas pour autant penser que les brasseurs n’ont pas souffert : la fermeture des bars, restaurants, discothèques et autres lieux recevant du public a été terrible pour ce secteur. À la montagne, la Brasserie du Mont-Blanc, en Haute-Savoie, a ainsi souffert de la fermeture du CHR (environ 40 % de son chiffre d’affaires), mais aussi de l’arrêt des remontées mécaniques dans les stations de ski qui ont à la fois tué la saison touristique et mis au ralenti la GMS locale. « C’est la double peine », déplore Sylvain Chiron, président de la Brasserie Distillerie du Mont-Blanc. Difficile, dans ces conditions d’anticiper la production car, comme de nombreuses brasseries artisanales, Mont-Blanc fait maturer ses bières pendant vingt-sept jours au minimum, contre quinze pour d’autres brassins moins artisanaux. Ce sont donc des bières de garde, ce qui n’est pas mentionné sur les étiquettes « pour ne pas dérouter les consommateurs qui associent bières de garde avec bières du Nord », détaille le patron. Néanmoins, Sylvain Chiron a mis cet hiver si particulier à profit, en passant du temps dans son laboratoire. « Il faut être inventif », plaide-t-il.
Outre un approfondissement de la maîtrise de la « déglutinisation » – toutes les bières de cette brasserie sont labellisées Afdiag, l’Association française des intolérants au gluten –, ses recherches ont fait naître une Cristal IPA, le nom de l’IPA de cette brasserie, en version non alcoolisée et bio. « Ce sera l’une des premières offres craft en sans-alcool », assure Sylvain Chiron. C’est dans un esprit durable que cette brasserie veut lancer Sylvanus bio et sans gluten : l’entreprise savoyarde a en effet choisi de la proposer en canette en aluminium, un matériau léger et recyclable à l’infini. « Ce format n’est pas assez valorisé », pense le président, qui confie la distribution de ses bières en GMS à IBB.
IBB, ce spécialiste des bières de spécialités, s’est montré « résilient face à la crise », annonce son patron, Jean-Luc Butez. Parce que IBB est peu dépendant du CHR mais aussi grâce à un portefeuille porteur de marques artisanales. Comme Mont-Blanc et ses bières multimédaillées, mais aussi Brewdog, signature très en vogue créée voici douze ans par la brasserie écossaise du même nom. Celle-ci a déjà ouvert une centaine de bars à travers le monde et va dépasser le million d’hectolitres en 2021. Brewdog a participé à l’émergence des IPA (India Pale Ale), ces bières houblonnées fortes en goût. « La Punk IPA de Brewdog est la première IPA au monde ! », s’enthousiasme Jean-Luc Butez. Pour rester à l’avant-garde, l’écossaise va lancer deux nouveautés : une Neipa (pour New England India Pale Ale), une bière douce, titrant à 5 °, élaborée avec des grains crus de blé ou de froment, non filtrée, raison pour laquelle le liquide est trouble, tout comme la Hazy (flou ou brumeux en anglais) Wonder IPA, la dernière-née de Lagunitas (Heineken). Ces bières non filtrées sont moins amères que certaines IPA, et très aromatiques. Voici qui devrait plaire aux palais peu adeptes des IPA et des IBU, les indices d’amertume, élevés. La tendance des bières troubles va peut-être naître en 2021.
La planète à sauver
L’autre nouveauté signée Brewdog s’inscrit dans sa démarche RSE très volontaire. Rappelons que ce brasseur plante une forêt de 8 kilomètres carrés en Écosse et qu’il se met en ordre de marche pour devenir « carbon free » (lire LSA n° 2624). Afin de sensibiliser à sa politique RSE, Brewdog lance une Lost Lager doté d’un « Bogot », ce qui signifie Buy One, Get One Tree. Un jeu de mots avec « Bogof », la fameuse promotion anglo-saxonne qui signifie Buy One, Get One Free. Pour chaque pack de Lost Lager acheté, ce brasseur plantera donc un arbre dans sa forêt. Au printemps, 4 millions de packs seront mis en vente sur le marché mondial. « L’idée sera de dire au consommateur : quand vous buvez une Brewdog, vous êtes carbone négatif », complète Jean-Luc Butez. Il apprécie la fougue de ce brasseur craft : « James Watt, cofondateur, dit toujours que c’est maintenant qu’il faut sauver la planète. Pas dans dix ans ! » Brewdog fait, lui aussi, souvent le choix de la canette, qui pèse environ 20 % des volumes en France, marché où la bouteille est reine.
Longtemps adepte de la canette pour sa signature 8.6, Swinkels Family Brewers a lancé les versions 8.6 Original et 8.6 IPL (India Pale Lager) en bouteille. Une révolution qui « s’est placée à la troisième place des meilleures innovations bière de 2020 », se réjouit Matthieu Ribeyron, directeur marketing France et responsable monde de la marque 8.6 chez ce brasseur néerlandais. Ce format sera fortement soutenu en 2021 avec 2 000 journées d’animation – ce qui est inédit pour 8.6 – , une série de plusieurs campagnes en affichage au niveau national, un plan sur le digital et des mécaniques incitatives, notamment en hypermarchés et en supermarchés. En proximité, circuit important pour 8.6, les équipes réfléchissent à la manière d’animer ces points de vente qui ont peu d’espace à dédier. Le premier pack « 8.6 en verre » est un 6x33 cl auquel s’ajouteront bientôt un 3x33 cl et une bouteille de 66 cl. « Le petit pack de 3x33 cl est intéressant pour inciter à l’essai, tandis que la grande bouteille est un format de partage », poursuit Matthieu Ribeyron.
Des versions AB
Nous l’avons dit précédemment : Fischer (Heineken) se décline désormais en bio. Ce ne sera pas la seule marque, loin de là, à choisir des ingrédients soumis à ce mode cultural. Jenlain propose une ambrée, sa deuxième référence siglée AB.
La Brasserie Goudale (6 % du marché des bières de spécialités) capitalise sur la puissance de sa marque du même nom, « qui a enregistré une croissance de 45 % en 2020 », souligne Jean-François Guisnel, directeur commercial de cette brasserie des Hauts-de-France. Elle a choisi d’abandonner Grain d’Orge, sa marque bio, et compense cet arrêt par une Goudale bio, une blonde légèrement cuivrée qui titre à 7,2 °. Celle-ci, au packaging vert pâquerette, se verra bien dans le rayon. Tourtel Twist, succès de Kronenbourg dans le segment des mousses non alcoolisées, lance deux références bio mais aussi plus fruitées que les Tourtel Twist classiques. « Les grosses marques se lancent. C’est le signe qu’il y a du potentiel pour le bio », note Jean-François Guisnel. Reste que les enseignes devront choisir entre rassembler ces versions bio ou les « fondre » dans les blocs-marques. Tout dépendra si le segment devient, en cette année d’accélération, une clé d’entrée pour le consommateur.
Potentiel du sans-alcool
Autre segment à développer : le sans-alcool, qui ne capte que 3,3 % des ventes en valeur. Mais les croissances ont été telles en 2020 (+ 29,9 % en valeur et +22,1 % en volume) qu’elles suscitent des hectolitres d’espoir. La Brasserie de Bretagne tente de faire d’une pierre deux coups avec une Dremmwel bio et sans alcool. Et Desperados complète son offre avec une deuxième référence inspirée du cocktail Virgin Mojito. Desperados Virgin, la première référence sans alcool, bénéficie « d’un très bon taux de réachat », assure Antoine Susini. Outre Desperados Virgin et Virgin Mojito, Heineken dispose aussi dans son portefeuille sans alcool d’une Heineken et d’une Affligem. Des références qu’il met en valeur dans des meubles réfrigérés habillés de la mention Zéro Zones.
AB InBev mise, lui, sur Leffe (11,7 % du marché de la bière en valeur, + 0,4 point en 2020) pour développer son offre sans alcool. Après la Leffe Blonde 0.0, la filiale française d’AB InBev propose Leffe Ruby 0.0. « Ruby est la deuxième variété de la marque Leffe, précise Thibaut Vleminckx, directeur commercial GMS chez AB InBev France. La Leffe Ruby 0.0 répond aux besoins de bières fruitées sans alcool. Elle a le même goût que la Leffe Ruby classique. »
Reste que le rayon doit faire de plus en plus de place à la cave à bières. Un segment ultravalorisé où les bières sont vendues à l’unité. Un rayon dans le rayon en quelque sorte. C’est là que la brasserie belge Duvel Moortgat va fêter ses 150 ans, notamment avec la nouvelle Duvel 6,66. Ce qui est son taux d’alcool mais aussi le chiffre du diable (lire L’Apocalypse de Jean de Patmos, chapitre 13, verset 18) ! Il faut savoir que « diable en flamand se dit duvel, indique Patrick Grevendonk, directeur général France de Duvel Moortgat. La 6,66 sera plus accessible que notre Duvel classique qui titre à 8,5 °. Nous la mettrons en avant pour ouvrir la marque au plus grand nombre ». Notons que Duvel est une signature réputée chère, ce qui s’explique par un processus de fabrication long et une garde de quatre-vingt-dix jours.
C’est aussi pour la cave à bière qu’AB InBev a proposé aux acheteurs du rayon une nouvelle marque, Victoria, elle aussi quelque peu « diabolique ». Son packaging est illustré par un saint Michel – le saint qui protège Bruxelles – pointant son sabre sur un Satan, maintenu à terre par un pied de l’Archange sur son inquiétante tête. L’illustration est très gothique, sur fond noir, et se repérera dans la cave à bière. « C’est une belge blonde forte, qui titre à 8,5 °, détaille Thibaut Vleminckx. Ses ingrédients, dont trois houblons, sont tous d’origine naturelle. »
Kronenbourg se met à l’IPA
Pas de nouvelle marque cette année pour Kronenbourg, mais trois déclinaisons de la signature 1664 pensées aussi pour la cave à bière. Inédit pour une marque qui certes est déclinée dans plusieurs recettes, mais qui est sagement associée à la bière blonde ou blanche. Sauf qu’en matière de bières, la sagesse n’est pas un critère d’avenir. « Les consommateurs mixent de plus en plus bières blondes et bières craft, remarque Fanny Céré, chef de marque 1664 chez Kronenbourg. C’est pour ces mixers que nous avons lancé 1664 Créations. » Cette gamme compte trois recettes, aux « univers organoleptiques différents ». Une French Style IPA, la première IPA de l’histoire de Kronenbourg ; une Hoppy Lager qui met en avant deux houblons, le citra et le mosaïc. « C’est une bière fraîche et aromatique, avec un IBU de 21, ce qui n’est pas fort », décrit Fanny Céré.
Mais également une French Gold Lager, brassée avec des orges de printemps cultivés dans le Grand Est de la France. « Elle met en avant le malt d’orge », poursuit-elle. À n’en pas douter, les mousses signées 1664 Créations attireront une cible plus jeune que les 15 références actuelles de 1664. La relève est donc assurée...















