La Communauté urbaine de Bordeaux enfin à l'oeuvre
Patrice Jayat
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Patrice Jayat
À Bordeaux, l'intercommunalité - l'exercice en commun de compétences entre plusieurs communes - a de la bouteille. Créée en 1968, parmi les quatre premières en France, la Communauté urbaine de Bordeaux (Cub) regroupe 27 communes représentant 660 000 habitants, au sein d'une agglomération frôlant le million d'habitants. La ville centre, Bordeaux, ne compte que 230 000 habitants. Pas assez pour conférer à son maire, Alain Juppé, la présidence « automatique » de la Cub qu'il souhaiterait. Tandis que l'agglomération, entité multipolaire, compte de puissantes communes périphériques où s'imposent les grands centres commerciaux. En outre, la Cub est politiquement divisée, à l'image de l'assemblée communautaire née des municipales de 2001, partagée en un nombre égal d'élus de gauche et de droite, et qui a vu se succéder trois présidents. D'où un équilibre instable, cause du retard de certains dossiers, et de l'incapacité, jusqu'ici, de bâtir une politique concertée d'urbanisme commercial. Sacré défi à relever. Pourquoi pas en 2008 ?
Où va-t-on construire la grande salle de spectacles que Bordeaux appelle de ses voeux ? La question divise, autant qu'elle éclaire sur la marche de l'intercommunalité locale. La fracture est politique et territoriale, à l'image d'une agglomération toujours prompte à s'enflammer sur les questions commerciales. Deux projets s'affrontent : d'un côté, un Zénith bâti à Bordeaux-Lac, avec financement public ; de l'autre, une Arena (salle polyvalente) construite à Floirac - mairie de gauche de la rive droite -, financée par le promoteur Bouwfonds MAB. Cela en « échange » de l'installation 50 000 m2 de commerces d'équipement de la maison à proximité. Un dossier sur lequel les élus semblent avancer à front renversé, puisque Alain Juppé soutient le projet... 100 % public, tandis que la gauche milite pour le partenariat avec un investisseur privé !
L'affaire symbolise bien les difficultés et ambiguïtés de la Communauté urbaine de Bordeaux (Cub) pour réussir à établir une doctrine concertée d'aménagement commercial. Avec, à son « palmarès », une accumulation de grandes intentions jamais abouties : volonté de cantonner la grande distribution à quatre centres commerciaux dans les années 80 ; charte d'urbanisme commercial en 1997 ; schéma de développement commercial en 2006... qui n'obtinrent jamais l'aval unanime des élus. L'agglomération se trouvant minée par ses égoïsmes communaux, attisés par les tensions politiques.
Désabusée, la Cub s'est alors souvent contentée de jouer les Ponce Pilate, suivant systématiquement, en CDEC, le vote de la commune d'implantation. D'où l'inflation des projets (près de 200 000 m2). « Je me demande si laisser le marché se réguler seul n'aurait pas mené à un résultat équivalent, s'interroge Jean-Charles Bron, adjoint au maire de Bordeaux, en charge du développement économique. D'autant que les rares projets refusés en CDEC sont repêchés en CNEC. »
Un dialogue enfin noué
Mais, fin 2005, Alain Rousset, président de la Cub, décide un moratoire des implantations et lance des études sur l'urbanisme commercial. Un dialogue se noue. Élus de gauche et de droite s'accordent à dénoncer la surdensité commerciale bordelaise (1 212 m2 pour 1 000 habitants), comparée à Toulouse (1 053 m2) ou à Nantes (1 010 m2). Ils définissent les principes d'une politique communautaire : préservation du commerce de proximité, renouvellement mesuré des pôles existants, rééquilibrage des implantations en faveur des zones fragiles...
Fin 2007, le moratoire sur les grandes surfaces étant reconduit pour tout dossier supérieur à 20 000 m2, Apsys retire son projet à Bordeaux-Lac, de 45 000 m2, et le promoteur de l'Arena de Floirac est invité à trouver une formule allégée en commerces. Du coup, Alain Juppé se déclare prêt à ne plus faire obstacle au projet, débarrassé de sa démesure commerciale. Pour appuyer cette « vision commune » qui se dégage enfin, la Cub planche sur de nouveaux outils d'aide à la décision. S'inspirant de l'exemple Lillois, elle envisage de créer une « conférence permanente du commerce » qui réunirait élus, chambres consulaires, consommateurs. « Cette instance de discussion - il n'en existe encore aucune - pourrait recevoir les promoteurs très en amont et s'appuyer sur un observatoire chargé de suivre les évolutions de l'offre et de la demande », explique André Delpont, directeur général du pôle développement économique de la Cub.
Cette nouvelle organisation, qui pourrait être votée en mai 2008, bénéficiera de l'expertise technique de l'Agence d'urbanisme et de la chambre de commerce et d'industrie de Bordeaux, où l'optimisme est de rigueur : « C'est la première fois que ces questions sont abordées sous l'angle technique d'abord. Les précédentes tentatives n'étaient pas corroborées par des chiffres incontestables. »
De nouvelles armes
La possible disparition des CDEC incite aussi les élus de la Cub à fourbir de nouvelles armes pour imposer leur volonté aux promoteurs. L'intercommunalité est bien décidée à jouer de sa maîtrise du foncier - avec les meilleurs emplacements de périphérie -, de la voirie, du transport ou de l'affection commerciale des zones économiques urbaines. De même, en centre-ville, Alain Juppé entend user du droit de préemption des fonds de commerce, enfin applicable, pour ne pas laisser le coeur de Bordeaux aux seules banques et assurances. Reste à préciser l'aire balayée par cette nouvelle politique. « Un moratoire peut avoir des effets pervers, prévient Jean-Charles Bron. Il peut inciter les investisseurs à déplacer les projets là où nous n'aurons pas notre mot à dire. » Enfin, se pose la question de la représentation du commerce traditionnel bordelais, qui n'a jamais réussi à parler d'une seule voix.
Et la grande salle de spectacle dans tout ça ? Le lieu et les conditions de sa création serviront de baromètre à la politique d'urbanisme commercial qui s'amorce... si les municipales et leurs débordements ne mettent à terre ce fragile consensus.