La folle ruée vers les objets connectés
Les objets connectés vont-ils envahir la grande consommation ? Industriels et distributeurs réunis lors d’une conférence de LSA, le 24 mars, sur ce sujet, font le pari de ces nouvelles technologies.
Fabricants de produits high-tech, d’électroménager, laboratoires pharmaceutiques, enseignes de grande distribution, de biens culturels, ou encore producteurs de vins et spiritueux… Tous sont fans de produits connectés. De Carrefour à Darty, de Pernod-Ricard à Novartis, de la Fnac à Parrot, et de Philips à Terraillon… Toutes ces entreprises, et bien d’autres encore, de la grande consommation sont venues expliquer le 24 mars, lors d’une conférence LSA, en quoi les objets connectés allaient transformer leur activité à l’avenir. Depuis l’invention du micro-ordinateur à la fin des années 70, rarement une technologie n’avait porté autant de promesses. Qu’il s’agisse, pour les enseignes, de transformer la relation client, le service après-vente, ou, pour les fabricants, de proposer de nouvelles fonctionnalités ou services... Ces objets ressemblent à un eldorado vers lequel tous doivent se précipiter.
Un engouement qui peut paraître démesuré tant les ventes sont, pour l’heure, confidentielles. Ainsi, si on laisse de côté les smartphones, PC et tablettes, les objets connectés n’ont généré que 150 M€ de chiffre d’affaires en 2014. C’est certes deux fois plus qu’un an plus tôt, mais cela reste petit comparé aux smartphones (5 Mrds €). Il s’est, en effet, vendu l’année dernière 100 000 drones, 50 000 appareils d’électroménager connectés et 7 000 thermostats. Mais ce sont les « wearables », qui génèrent le plus de recettes. L’année dernière, 190 000 montres, 200 000 bracelets ou 250 000 montres de sport ont trouvé preneurs, générant 90 M € de CA. Et avec la sortie de l’Apple Watch, GfK estime que le marché des montres devrait exploser en 2015, avec 700 000 unités vendues et 120 M € de CA. De quoi éduquer le marché et préparer les consommateurs au tout-connecté.
« Surtout, note Jean-Marie Philipp, consultant sur le sujet chez GfK, les objets connectés permettent de toucher d’autres catégories de produits qui sortent du champ du high-tech pur, comme la santé, la maison, et qui pèsent 20 Mrds €, soit plus que tous les marchés de l’électronique réunis. » Dans l’équipement de la maison, par exemple, les objets connectés pourront enfin donner corps à la domotique, qui n’a jamais décollé. « Ce marché ne représente que un milliard d’euros en France, car c’est complexe, coûteux et réservé à une cible de propriétaire immobilier, ajoute-t-il. Or, la maison connectée devrait lever ces freins, car les produits sont abordables, intuitifs et grand public. »
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Une réelle curiosité, mais freinée
Et si les Français ne se ruent pas encore sur tous ces produits en magasins, ils sont au moins curieux et intéressés par leurs possibilités. Selon un sondage Toluna, 96% d’entre eux en ont déjà entendu parler – principalement des montres (71%) et des bracelets (70%) –, et 81% croient que ces technologies vont se développer. C’est dans l’équipement de la maison que les attentes sont les plus fortes, avec 31% des Français qui espèrent voir l’offre croître, devant le multimédia (26%) et la santé-bien-être (26%). Si la curiosité est réelle, les freins restent néanmoins nombreux. Ainsi, 53% des Français jugent ces produits trop chers pour leur utilité, et 46% font état de craintes sur la sécurité des données collectées par ces appareils. Une frilosité dont les industriels ont, pour la plupart, conscience. « Il ne faut pas les survendre et proposer un futur fantasmé bourré de gadgets », pense Christophe Leblan, directeur marketing du Groupe Seb.
Fait par des passionnés pour des passionnés
Pour que ces produits marchent, il faudra proposer de vraies fonctionnalités nouvelles et ne pas se contenter de mettre des puces dans n’importe quel objet du quotidien. « Le problème des objets connectés aujourd’hui, c’est qu’ils sont conçus par des passionnés de technologie pour des passionnés de technologie, reconnaît Alain Dufossé, directeur général de Breakthrough Innovation Group (BIG) de Pernod-Ricard. Le grand public n’y trouve pas son compte. » Et pour éviter cet écueil, les entreprises doivent souvent revoir leur manière de concevoir des produits. C’est le cas de Pernod-Ricard, qui a créé BIG, une sorte de start-up en interne, dont la mission était de « créer le futur de la convivialité. » La cellule a mis au point Gutenberg, un projet de bar connecté pour préparer des cocktails depuis sa tablette ou son smartphone. Il suffira de télécharger l’application et de commander les diverses recharges en forme de livres sur le site de Pernod-Ricard. L’idée est d’en faire le « Nespresso » des cocktails. Un produit de rupture donc, qui suscite curiosité et doutes. Tout comme en suscitait Nespresso avant que Nestlé en fasse le géant qu’on connaît aujourd’hui.
Créer des petites structures pour ne pas brider la créativité des développeurs. C’est aussi la stratégie adoptée par Philips. « Dans les grands groupes, nous savons très bien faire des extensions de gamme, mais pas beaucoup de produits de rupture », avoue Marc-Antoine Hennel, directeur de la stratégie et du développement de Philips France. Résultat, le groupe a connu beaucoup de ratés avec son projet d’ampoule qui change de couleur. Avant de trouver la bonne formule en créant une petite structure rassemblant les compétences des différentes divisions. L’ampoule connectée Hue adapte la lumière à celle des téléviseurs de la marque et permet aussi de faire évoluer les couleurs dans une approche de luminothérapie. La suite, ce sera aux développeurs indépendants de l’inventer. « Et c’était ça qui a été difficile à accepter en interne : faire de cette ampoule un écosystème ouvert pour que des développeurs indépendants proposent de nouvelles applications (300 à date), confie Marc-Antoine Hennel. C’est une prise de risque énorme car, notre culture, c’est de proposer des produits finis. Or, avec Hue, on sait que nous devions lancer sur le marché une version bêta… »
Enjeu d’image, de trafic et de service
Et il n’y a pas que les fabricants qui s’interrogent sur les objets connectés. Les distributeurs aussi se demandent où et comment les vendre. La Fnac et Carrefour apportent la même réponse : les rassembler pour éduquer le marché avant, dans un second temps, de les proposer dans les divers rayons concernés. « Il faut avant tout créer de l’attractivité et du trafic, note Enrique Martinez, directeur général Europe du Sud de la Fnac. Mais, à terme, sans doute nous faudra-t-il réintégrer ces produits dans le parcours clients classique, pour plus de cohérence. » Idem chez Carrefour qui a parié très tôt, en 2012, sur les produits connectés dans ses magasins. « C’est un enjeu d’image et de trafic pour une enseigne comme la nôtre, indique Sébastien Mesnil, directeur produits et services numériques. Pour le moment, nous proposons une large gamme sur notre site et mettons les best-sellers en magasins. »
Mais pour les commerçants, les objets connectés sont aussi un enjeu de service. C’est ce qu’ont compris Darty et Chronodrive qui ont respectivement lancé le Bouton et Hiku, consacrés au SAV et à la commande en ligne. Pour ces enseignes, la problématique est un peu différente, il ne s’agit pas de faire de l’activité, mais plutôt de générer des ventes supplémentaires en améliorant le service ou en facilitant l’achat. À l’image d’Amazon qui va lancer dans les prochains jours aux États-Unis ses « Dash Boutons », des interrupteurs connectés à coller sur divers appareils (lave-linge, cafetière…) pour commander lessive, café et autres paquets de couche d’un simple clic. Pour l’heure, une vingtaine de marques sont partenaires. Chronodrive, Darty, Amazon… L’avenir du commerce va ressembler à la guerre des boutons.
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L’ampoule connectée Hue de Philips dispose de 300 applications mobiles dédiées. |
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Le concept Fnac Connect, entièrement dédié aux objets connectés, a ouvert en mars à Angoulême. |
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Les drones Parrot, leaders d’un marché de 100 000 pièces en 2014. |
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Vendu 25€ avec un abonnement à 3 ou 8€, le Bouton Darty transforme le service client. |
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Avec 17 boutiques, Lick s’est imposée en un an comme la 1re enseigne des objets connectés. |
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Les Connectez-vous! de Carrefour seront bientôt présents dans 55 magasins. |
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Le service Izy de Chronodrive est un service de commande en ligne via un objet connecté. |
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Le bar à cocktails connecté Gutenberg sera-t-il le « Nespresso » des alcools ? |
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Terraillon a créé tout un écosystème d’objets connectés, tel ce pèse-personne. |
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La cocotte Cookeo connectée de Seb se contrôle depuis son smartphone. |
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Pourquoi ils y vont tous
- Pour prendre position sur de nouveaux marchés à fort potentiel de croissance.
- Pour améliorerla relation client pourles distributeurs, comme Darty avec son Bouton.
- Pour créer du trafic en magasins avec des produits qui suscitentla curiosité (Apple Watch).
- Pour soigner son image technophile et dans le coup, à l’instar de la Fnac ou Carrefour avec leurs corners dédiés.
- 150 M€ Le chiffre d’affaires des objets connectés vendus en France en 2014, multiplié par deux en un an
- 700 000 montres connectées qui pourraient se vendre en 2015, pour un CA de 120 M€
- 2 milliards d’objets connectés, tous secteurs confondus,qui pourraient se vendreen France d’ici à 2020, soit30 par foyer en moyenne
Source chiffres : GfK
96% des Français ont entendu parler des objets connectés
Source : Toluna