La grande distribution plébiscitée par les fonds
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A priori, le réseau anglais d'électroménager Comet et le spécialiste du dépôt-vente troc.com devraient avoir peu en commun. Le premier vient d'être bradé, pour deux livres sterling, par Kesa (Darty), tandis que le second a été vendu, par son fondateur, en octobre. Pourtant, rien n'aurait été possible sans l'aide d'un fonds d'investissement, OpCapita dans le cas de Comet, ou Saphir Capital Partners pour troc.com. Ces investisseurs sont de plus en plus présents dans la grande distribution.
Blue Capital chez Carrefour, Apax Partners chez RueDuCommerce, Buttler Capital chez Virgin Megastore... En 2010, la grande consommation était en tête de leurs investissements en France, 1,78 milliard d'euros, dans 258 entreprises. Un début. « À l'avenir, je crois que les fonds vont gagner en importance, estime Bruno Candelier, associé chez Apax Partners. La Bourse est inconfortable, chronophage, les banquiers sont frileux. La dernière solution, ce sont les fonds propres. Notre rôle devrait augmenter. » Un bon point pour le secteur ? À condition de savoir où l'on va.
Au-delà de l'image de mercenaires qui leur colle à la peau, prêts à tout pour s'enrichir, les fonds représentent une opportunité intéressante pour les entreprises en développement, et pas seulement financièrement. Éric Belmonte, le président du groupe de bijouterie Thom Europe, a découvert le « LBO » (leverage buy-out, achat par effet de levier) en 1996, alors qu'il effectuait une mission d'audit, puis de redressement, chez Histoire d'Or. À l'issue de son contrat, Apax Partners lui a proposé d'entrer au capital pour en assurer la direction. « À l'époque, nous pesions 80 millions de francs, (12,2 millions d'euros). Aujourd'hui, notre chiffre d'affaires consolidé est de 440 millions d'euros, explique-t-il. La puissance du fonds m'a permis de fusionner avec Marc Orian pour devenir le leader, avec 8% de part de marché. J'ai aussi profité du réseau d'Apax pour échanger avec les gens d'Alain Afflelou ou d'Aigle. »
Les managers comme argument marketing
Mais avant d'accéder au panthéon des LBO, comme Histoire d'Or, il faut triompher du décalage culturel entre les distributeurs de terrain et la finance anglo-saxonne. « Les fonds aiment les managers avec un beau parcours académique, et des succès probants par le passé, analyse Édouard-Nicolas Dubar, du cabinet de recrutement Job Dubar associés, spécialiste de la grande distribution. Ce sont eux qui ont remis en question les parcours traditionnels de collaborateurs fidèles, issus du terrain. La promotion interne était un dogme. Les fonds ont apporté de l'ouverture, du renouvellement et une exigence plus forte. » L'équipe de direction devient alors un argument marketing en prévision de la revente de l'entreprise. Plus son profil sera prestigieux et internationalement reconnu, plus elle aura de chance de séduire des investisseurs étrangers.
Concrètement, cela se traduit par un recrutement qui favorise les grandes écoles (HEC, Essec, MBA...) et l'expérience des multinationales et de l'étranger. Un apport positif... jusqu'à un certain point. Sous la pression du fonds Blue Capital, l'actionnaire principal désireux de gonfler le cours en Bourse, Carrefour a constitué une sorte de « dream team » autour de Lars Olofsson, ex-numéro deux de Nestlé, qui a fait long feu. James McCann, un anglais de 40 ans, directeur général Hongrie, Malaisie et Pologne, chez Tesco, a tenu à peine plus d'un an en tant que directeur exécutif France. Tandis que Vicente Trius, un américain, ex-patron de Wal-Mart en Amérique latine, n'a tenu que neuf mois à la direction Europe (hors France)... Depuis, les cadres « historiques » ont été rappelé à la rescousse !
Le gain pour supporter les contraintes
Autant le dire toute de suite, il faut des managers aux épaules solides pour supporter la pression des objectifs. « Le but est d'atteindre au moins 15% de rentabilité sur les capitaux investis par an, c'est-à-dire doubler la somme de départ en cinq ans », témoigne le patron d'une grande enseigne française dont un fonds est actionnaire. Alors, pour s'assurer de leur motivation, ces investisseurs ont l'habitude d'impliquer les managers dans le « deal », à hauteur, en général, d'une année de rémunération fixe, plus des bonus. Pour le directeur général d'une enseigne de taille moyenne (entre 200 millions et 500 millions d'euros de chiffre d'affaires), cela représente autour de 300 000 €. Une somme... qu'il peut multiplier par 10, voire 15, si tout se passe comme prévu. « Nous avons tous mis de l'argent, reconnaît Régis Schultz, directeur général de But. Les gens sont actionnaires, nous sommes responsabilisés. Nous sommes descendus jusqu'au directeur régional, mais, si c'était à refaire, je descendrais jusqu'au directeur de magasin. »
Attention, la perspective du gain aide à supporter les contraintes du LBO, aussi sûrement qu'elle peut démotiver ceux qui n'en ont pas. « Les collaborateurs non impliqués dans le LBO souffrent souvent d'une stratégie axée sur le visible, d'une direction parfois déstabilisée, d'un sentiment de colère en vivant mal les rémunérations potentiellement gonflées des dirigeants de passage, par rapport à une pression très forte sur la gestion et les salaires », témoigne Édouard-Nicolas Dubard. Car, pour augmenter la valeur d'une entreprise en peu de temps, la solution consiste autant à augmenter le chiffre d'affaires que la rentabilité. Une stratégie synonyme d'ouvertures de magasins, de lancement de nouveaux concepts, de création de filiales à l'étranger, mais aussi de réorganisation, de réduction des coûts et de disette salariale...
Du cash à profusion, des dirigeants recrutés dans l'élite, des stratégies élaborées avec les meilleurs cabinets de conseil... Le LBO est pourtant loin d'être une science exacte. Rien qu'en 2010, Morgan, acheté, en 1998, par Apax Partners, a été revendu pour une bouchée de pain à Beaumanoir, et Sport 2000 a frôlé la faillite à cause des 100 millions d'euros, mal employés, injectés par Activa Capital. Les managers de terrain ont encore de beaux jours devant eux...