Le commerce chahuté comme jamais par la pandémie
Le classement 2020 des 100 premières enseignes en France établi par la rédaction de LSA traduit les énormes tensions traversées par le commerce pendant cette année de pandémie. Si l’alimentaire a fait mieux que résister, d’autres secteurs se sont retrouvés dans le dur.
- 325,5 Mrds € : le CA TTC (avec carburant) estimé du Top 100 du commerce de détail en France en 2020
- Source : LSA
- 45 : le nombre d’enseignes en croissance en 2020, contre 66 en 2019 et 67 en 2018. Elles étaient 71 en 2017, 65 en 2016 et 66 en 2015
- 53 : le nombre d’enseignes, dont le chiffre d’affaires a baissé en 2020. Elles étaient 32 en 2019 et 2018, 28 en 2017, et 33 en 2016 et en 2015
- - 0,75 % : l’évolution moyenne en valeur des 82 enseignes françaises du Top 100 en 2020 (contre + 0,95 % en 2019). Elles représentent 84,3 % des ventes totales du classement
- + 1,94 % :l’évolution moyenne en valeur des 18 enseignes étrangères du Top 100 en 2020 (contre + 9,4 % en 2019). Elles représentent 15,7 % des ventes totales du classement
Chaque année, le Top 100 réalisé par LSA prend le pouls du commerce. Mais la réalisation de la dernière édition en date, qui porte sur les revenus de 2020, était un exercice ô combien délicat, et particulier. Car la pandémie a entraîné des mesures radicales et a eu des répercussions inédites à partir de la mi-mars de l’année dernière sur tout le commerce. De quoi chambouler par la même occasion les équilibres de nombreuses chaînes de distribution.
Pendant que les grandes (et surtout petites !) surfaces alimentaires étaient prises d’assaut, des pans entiers de l’économie, déclarés non essentiels, n’avaient d’autre choix que de baisser le rideau. Textile, soin de la personne, sport, ont dû serrer les dents. Ensuite, les commerçants ont fait face à l’imbroglio de la fermeture sélective de certains rayons dits non essentiels au sein même de magasins restés essentiels, entraînant incompréhensions et colère. En se projetant sur des données purement économiques (tout en gardant à l’esprit l’extrême tension sanitaire et sociale), jamais le commerce n’avait été confronté à une telle situation, à l’exception peut-être des guerres. Signe de l’âpreté de l’année écoulée, les entreprises ont été beaucoup moins nombreuses à nous répondre que d’habitude. Pour passer à autre chose, ou peut-être par volonté de ne pas trop lever le voile sur une annus horribilis. Selon les informations qu’elles ont bien voulu nous divulguer, ajoutées à nos propres estimations et informations, les 100 premières enseignes ont généré un chiffre d’affaires global toutes taxes et carburants compris de 325,5 milliards d’euros. Un chiffre en recul de 0,3 % par rapport à 2019, mais qui conjugue des logiques diamétralement opposées entre les enseignes alimentaires et le non-alimentaire, qui a incontestablement payé les pots cassés de la crise.
Le secteur alimentaire, qui représente les deux tiers des ventes de ce classement, progresse de près de 1 %, à 220 milliards d’euros. Ce qui peut sembler faible, lorsque l’on met en regard les ventes de PGC qui ont bondi de 8,3 % l’an dernier selon Kantar, la fermeture des restaurants et les confinements ayant été de puissants leviers de report vers les repas à domicile. Lors de la publication des résultats annuels, la modestie était d’ailleurs plutôt de mise du côté des dirigeants d’hypermarchés, de supermarchés et de magasins de proximité, personne n’ayant envie d’apparaître comme un profiteur de crise.
Mais en raisonnant à périmètre comparable, et hors carburant, les GSA ont connu une année exceptionnelle par la force des choses. Et dans les chiffres publiés ici, cette progression est largement masquée par la chute des ventes de carburant, liée à la limitation, voire à l’arrêt brutal des déplacements durant les confinements et autres couvre-feux. Des ventes que nous intégrons au chiffre d’affaires généré par Intermarché, Carrefour et autres, et qui sont loin d’être négligeables. La consommation de carburant a en effet baissé de 14,9 % l’an dernier selon les chiffres de l’Insee. Chez Auchan, à l’échelle du groupe, le manque à gagner a atteint 1 milliard d’euros tous pays confondus. Un montant à réviser en tenant compte du poids de la France, qui est d’environ la moitié de l’activité, soit un peu plus de 500 millions d’euros. Chez E. Leclerc, le carburant génère plus de 9 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Et si on le rapporte à la baisse globale chiffrée par l’Insee, le manque à gagner de l’enseigne sur cette activité dépasse largement le milliard d’euros. S’y ajoute, comme l’a indiqué l’enseigne, un recul exceptionnel d’environ 400 millions d’euros de l’activité voyages, quasiment à l’arrêt durant toute la période.
Au-delà de cet exemple, les dépenses des Français ont été complètement réorganisées sous la contrainte. Selon les données de l’Insee, en 2020, la dépense de consommation finale des ménages a chuté de 7,1 %, après une hausse de 1,8 % en 2019. « Une chute sans précédent dans l’histoire des comptes nationaux français, établis depuis 1949 », explique l’Institut national des statistiques et des études économiques. À l’échelle du Top 100, les acteurs étrangers au monde de l’alimentaire sont en recul moyen de 2,5 %, avec de fortes disparités d’un univers à l’autre. En première ligne, le marché du textile et de l’habillement, déjà en crise structurelle, a ainsi lourdement chuté de 17 % l’an dernier selon les chiffres de l’Institut français de la mode. Face aux magasins fermés, les consommateurs n’ont pas mis la main au portefeuille pour renouveler leur garde-robe. Le sport ou la beauté ont, eux aussi, été mis entre parenthèses pendant des mois. Decathlon, d’ordinaire en croissance régulière, a affiché un recul de 5,5 % l’an dernier. Et même de 9 % en comparable, puisque 2020 intégrait les entités Alltricks et Decapro, qui n’étaient pas prises en compte précédemment. « Mais il faut bien sûr avoir en tête le contexte, avec trois mois de fermeture dans l’année », indiquait le groupe.
Les réseaux de pharmacies en forme
Le repli des foyers sur leurs domiciles a, en revanche, eu un effet accélérateur pour les travaux d’intérieur et de décoration. « Aménager et améliorer son habitat est devenu une priorité pour nombre de Français », résumait Jean-Luc Guéry, président de l’Inoha (Union nationale des industriels du bricolage, du jardinage et de l’aménagement du logement) lors de la présentation des données du marché. Des données marquées notamment par une envolée des ventes pour le bricolage (+ 13 %), du jamais vu qui a succédé à une année 2019 réussie et qui avait déjà établi un record depuis 2007. L’embellie se lit dans les performances de Bricomarché ou Mr Bricolage, avec des hausses à deux chiffres. Signalons aussi, parmi les événements notables du classement 2020, la très bonne forme des réseaux de pharmacies qui, outre le fait qu’elles ont gardé pendant toute la crise leur caractère de commerce essentiel, s’explique également par des effets d’agrandissement de parc. Les grands magasins, eux, n’ont pas eu cette chance et enregistrent un recul d’activité sans précédent, compte tenu des longues fermetures et faute de clientèle étrangère.
Entre les difficultés des uns et les effets d’aubaine des autres, la crise sanitaire et commerciale a surtout agi comme un électrochoc pour l’e-commerce. En quelques semaines, voire en quelques jours, beaucoup de distributeurs ont mis en place des solutions de click & collect ou de vente en ligne. Les drives ont aussi fleuri sur les parkings, bien au-delà de leur vocation initiale tournée vers l’alimentaire. Jouets, électroménager, vêtements, tout le monde, ou presque, s’y est converti. La Fevad (Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance) rapporte que les ventes en ligne des enseignes magasins ont bondi de 53 % sur l’année avec des pics à + 100 % pendant les confinements. « L’année 2020 fut unique. Le digital en sort grand gagnant. Les confinements auront porté des marchés de biens de consommation (alimentaire, électronique, hygiène, média, maison…), comme ils en auront bousculé d’autres (voyage, restauration, beauté, mode…). Au sein de chaque marché, les acteurs les plus digitaux, les plus offensifs et les plus solides financièrement ont profité de la crise pour prendre des parts de marché mais aussi pour accélérer leur transformation », constatait Philippe Nobile, directeur du Boston Consulting Group, dans notre série de tribunes consacrées à 2021, et confiées à des experts du retail.
Ainsi Carrefour, qui depuis l’arrivée d’Alexandre Bompard a beaucoup accéléré sur le digital et le drive, a su tirer les marrons du feu lors de la ruée digitale des clients. « L’e-commerce s’est traduit par une croissance d’1,3 million de nouveaux clients en 2020, une augmentation des volumes et de notre productivité, ce qui a amélioré notre modèle. Demain, ce sera un actif de la plus haute valeur, d’autant plus que nos clients omnicanaux sont nos meilleurs clients », a déclaré le PDG en mars dernier. Chez E. Leclerc, les épisodes de confinement ont fait gagner quatre ans sur les objectifs prévus en matière de digital, le drive étant qualifié de « révélation de l’année 2020 », avec 42 % de hausse de l’activité. Un chiffre énorme compte tenu de l’avance de l’enseigne en la matière. Pour d’autres, la progression a atteint par moments trois chiffres, avec la mise en place de solutions express sur tous les formats, comme chez Casino. Et partout, le recrutement de nouveaux clients a fonctionné à plein.
Dans le non-alimentaire, le digital n’aura pas permis de compenser les longues fermetures de magasins, mais il aura permis de limiter la casse dans de nombreux cas. Chez Decathlon, la progression des ventes en ligne a atteint 32 %, le numérique pesant désormais 15,6 % des ventes en France. L’intérêt général étant d’avoir un effet cliquet et des consommateurs désormais convertis au digital. Avec un canal qui réussit aux pure players, mais aussi aux enseignes historiques, pour peu qu’elles aient pris le virage numérique en amont. Pour les grandes surfaces de bricolage, les ventes en ligne ont progressé de 111 % l’an dernier, et pour Leroy Merlin, son poids (600 millions d’euros) et sa vitalité expliquent une bonne partie de la croissance des dernières périodes.
Pas de raz-de-marée de faillites
La conversion digitale, parfois à marche forcée, n’a évidemment pas touché les pure players dont c’est le modèle depuis des années. Amazon, le premier d’entre eux, solidement installé en huitième place de notre classement et premier représentant du non-alimentaire, a évidemment tiré profit de la pandémie, avec une progression des ventes que nous estimons à 17 % en France. Les chiffres officiels du groupe, sont, eux, de + 38 % pour l’activité d’Amazon dans le monde, qui a atteint 320 milliards d’euros toutes branches confondues l’an dernier. Ce qui représente, par le jeu du hasard et à quelques milliards près, le chiffre d’affaires de ce Top 100 ! Veepee (croissance à deux chiffres), La Redoute (+ 8 %) ont aussi bouclé un très bon exercice, Cdiscount marquant un peu le pas par rapport à ses concurrents (+ 3,8 %).
L’addition du recrutement massif de nouveaux clients par le digital et de la recrudescence des commandes passées à distance a fait bondir le poids de l’e-commerce dans le total des ventes de détail en France. Selon la Fevad, il est désormais de 13,1 % (chiffre 2020), mais surtout affiche un gain de 3,3 points en un an seulement. Le tout digital n’est pas encore pour demain, mais 2020 marquera le calendrier d’une pierre blanche pour la transformation des entreprises. Parmi les conséquences attendues de la pandémie, le raz-de-marée de faillites annoncé n’a pas eu lieu. Certes, des difficultés ont touché les enseignes déjà fragilisées en raison de leur positionnement, difficultés accentuées par les blocages liés aux « gilets jaunes » qui ont marqué les exercices précédents. Ainsi, au premier semestre 2020, André, Orchestra, La Halle, Camaïeu et Naf Naf ont été placées en redressement judiciaire. Autant d’enseignes qui étaient déjà dans la tourmente ces dernières années. Et d’autres secteurs que la mode ont été touchés, avec Alinéa, Parashop, Pacific Pêche, 5 à Sec et Tie Rack, qui ont, eux aussi, subi le même sort. « Les groupes entrés en procédure de sauvegarde, ou ceux en redressement judiciaire sont tous des acteurs qui, à moyen terme, étaient voués à sortir du marché. Car ils sont généralement en retard sur le digital, sur les services. La crise ne fait qu’accélérer le processus », estimait Clément Genelot, analyste chez Bryan, Garnier & Co, lorsque cette cascade de défaillances prenait du volume jour après jour.
Quant aux acteurs lorgnant des locaux que la crise aurait rendus disponibles, en espérant une recomposition massive des centres-villes, ils en seront pour leurs frais, car la vacance commerciale, bien qu’élevée, n’a pas été démultipliée par les défaillances. Le filet de sécurité offert par les prêts garantis de l’État et les aides au chômage partiel ont permis, semble-t-il, de limiter la casse. Après cette année hors du commun et extraordinaire, au sens premier du terme, les chantiers en magasin ont repris, avec le déploiement de corners et de shops-in-the-shop. Et l’élan des drives piéton et autres solutions digitales est renforcé par l’explosion des commandes. La pause contrainte du Covid, loin d’avoir stoppé les réflexions sur le rôle du magasin et l’hybridation du commerce, les a au contraire intensifiées.
- Une hausse sans précédent des ventes de PGC-FLS (+ 8,3 % selon Kantar) liée au maintien à domicile et au report des repas habituellement pris à l’extérieur.
- Une chute énorme des ventes de carburant de 14,9 % en 2020 (source Insee).
- La fermeture des magasins pour les biens considérés comme non essentiels (16 mars- 11 mai), la mise en place de jauges de fréquentation et la fermeture de certains rayons non alimentaires au deuxième semestre.
- La très forte poussée de l’e-commerce alimentaire à + 46,5 % en 2020 (source Iri).
- L’accélération du digital et de l’e-commerce, qui ont recruté un nombre inégalé de nouveaux clients.













