Le festival des injonctions contradictoires [Edito]
L’expression est le parfait reflet du monde dans lequel nous vivons. Plus que jamais, notre quotidien n’est qu’une somme d’injonctions contradictoires. Autant de logiques différentes qui nous sont imposées par les politiques, la situation économique, les associations, les réseaux sociaux ou que nous nous infligeons à nous-mêmes, comme autant de paradoxes.
On veut du made in France tout en buvant un bon café du Brésil. On critique les politiciens de métier, qui sont généralement des énarques, tout en vilipendant ces nouveaux élus qui n’y connaissent rien. On investit dans les start-up à la rentabilité incertaine et on néglige la distribution au modèle éprouvé. On rejette les multinationales et on le claironne fièrement sur Twitter ou Facebook. On se replie sur soi tout en voulant communiquer avec le monde entier. On raconte son quotidien sur internet et on bataille quelques minutes plus tard pour préserver sa vie personnelle. On peste contre la société de consommation puis on se précipite pour acheter le dernier iPhone. On veut travailler moins tout en gagnant plus. On interdit les dark stores, favorisant ainsi les Uber Eats ou Deliveroo. On veut que les Français baissent leur consommation d’électricité tout en les incitant à s’équiper de voitures électriques. On parle beaucoup de RSE mais on ne se demande guère quel est le statut du livreur qui frappe à notre porte ni quel est le bilan carbone de ce service. On réglemente les horaires d’ouverture des magasins tout en acceptant les livraisons à domicile tous les jours de la semaine et en dix minutes chrono. On veut parvenir à zéro émission nette de CO2 d’ici à 2050, mais on ne garantit aucune stabilité réglementaire aux entreprises pour qu’elles s’y préparent. On peste contre le commerce de périphérie mais on fait tout pour que les habitants fuient les centres-villes.
On veut manger mieux ou « responsable », mais on court après les bonnes affaires et les prix bas. On exige de la transparence dans les négociations commerciales, mais on veut préserver le secret des affaires. On réclame des produits bio et sains mais Ferrero trône bien souvent en tête des innovations et la bouteille de Ricard est la référence générant le plus de chiffre d’affaires. On doute de la qualité du jus d’orange de telle ou telle marque, parce qu’il est forcément industriel, et on idolâtre le jus d’orange pressé de son magasin d’à côté sans savoir d’où viennent les oranges et la dernière fois que la machine a été nettoyée. On ne jure que par le bio, même si certains fruits et légumes bio viennent de bien loin… On soutient le circuit court et le made in France alors que pour un Lillois, le circuit court, c’est aussi la Belgique…
Ces injonctions contradictoires ne sont que le reflet de notre société. Celle du débat permanent, où l’immédiateté prime sur la réflexion, où la gestion des contradictions est le pain quotidien. On peut, à juste titre, s’émerveiller d’un tel foisonnement d’idées, mais aussi s’inquiéter du manque de ligne directrice, de l’absence d’ambitions communes. Et malheureusement, il en va de même pour bien des stratégies d’entreprises… Bravo à celles qui parviennent à garder leur cap dans ce tourbillon incessant.
ypuget@lsa.fr
@pugetyves