Le gaspillage alimentaire (enfin) pris au sérieux ?

Plus de 10 millions de tonnes de déchets alimentaires sont produites en France chaque année. Mais le cadre législatif, et surtout les mentalités, évoluent pour trouver des solutions à ce gâchis. Les initiatives fusent dans le pays et dans toute l’Europe. Serait-ce le début d’une prise de conscience, à la fois économique et sociétale ?

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Le gaspillage alimentaire (enfin) pris au sérieux ?

Les images de produits encore comestibles passés à la Javel dans les poubelles de quelques supermarchés ont finalement eu un rôle positif, en faisant avancer très vite les débats autour du gaspillage alimentaire. Ce gâchis a du mal à être justifié alors que tout le monde ne mange pas à sa faim, en France et ailleurs. Et aujourd’hui, lutter contre le gaspillage ne se résume plus à donner les invendus aux banques alimentaires et associations.

Si ce débouché est le plus important, il reste soumis à de lourds impératifs logistiques, et surtout, il voit apparaître l’émergence de nouvelles solutions pour réduire le gaspillage plus en amont. Tout au long de la chaîne de production, une portion non négligeable de l’alimentation est perdue : légumes pas assez « beaux » pour être commercialisés, casse en rayon, DLC (date limite de consommation) trop courtes…

Ces invendus représentent, au final, une montagne de denrées alimentaires qui ne finissent pas dans les assiettes. Ce qui est source de problèmes, mais aussi de solutions.

La fin des bananes célibataires

À Bruxelles, le pain invendu par les magasins est ainsi récupéré par une brasserie en fin de journée, qui le fait fermenter pour obtenir de la bière. Et nous sommes loin de la potache blague belge, puisque plus de 300 000 bouteilles ont été ­commercialisées depuis le début du projet, en 2015.

Petit à petit, les circuits s’organisent pour redonner un deuxième souffle à des produits abîmés. Monoprix remet au goût du jour une solution courante dans les fruits, en donnant depuis quelque temps ses invendus à la marque de confiture Re-Belle. Et toutes les enseignes s’escriment à trouver des débouchés, avec un double enjeu à la clé : stratégique (réduire les invendus, et gagner quelques points de marge), et marketing, en affichant auprès du public ses efforts vertueux. Il y a quelques jours, Carrefour regroupait dans son hypermarché de Montesson diverses initiatives antigaspillage menées par le groupe dans le monde : mise sous vide de la viande au rayon boucherie (déployée en Argentine, pour lui faire gagner une semaine de durée de vie), réunion des bananes « célibataires » par lot de trois ou quatre en Belgique (détachées du régime par les consommateurs, elles se vendent beaucoup moins bien seules), etc. Pour Bertrand Swiderski, directeur de la responsabilité sociale et environnementale du groupe, le premier axe, « c’est comment faire pour réduire les invendus en magasins. Le deuxième axe, plus récent, c’est ­comment travailler avec nos fournisseurs et proposer une expérience antigaspi à nos clients ».

Sur le terrain, le distributeur compte huit coachs dédiés qui se déplacent dans toute la France, et viennent étudier sur le terrain les points noirs et les voies d’amélioration. Mathieu Ricou, directeur de l’hypermarché Carrefour de Montesson, est rodé en la matière, et témoigne des efforts entrepris en magasins avec ces fameux « coachs antigaspi » : « Ils regardent la casse par famille, essaient de voir le cadencier, si le flux est cohérent. Ensuite, nous travaillons en rayon pour ne proposer que deux à trois DLC maximum par produit. Et tous les jours, on sort l’état de casse par rayon et on regarde le top 10, pour repérer les familles problématiques. »

Diagnostics et formations

Les astuces pour limiter les pertes sont nombreuses. Fin 2015, plusieurs centaines de produits MDD Carrefour ont bénéficié de l’allongement de leur DLC ou de leur date de durabilité minimale à fin 2015. Pour favoriser l’écoulement d’aliments en fin de vie, certaines enseignes cassent les prix quand un produit frais approche dangereusement de sa DLC. Et quand il atteint cette date fatidique, il est généralement donné aux banques alimentaires et structures associatives, qui tirent la plus grande partie de leurs ressources de ces dons. En 2014, les banques alimentaires revendiquaient ainsi près de 34 000 tonnes collectées, dans près de 2 000 magasins. Avec le nouveau texte de loi voté en février, les distributeurs n’ont plus le droit de se débarrasser des produits alimentaires consommables, et les magasins de plus de 400 m² ont un an pour passer convention avec des associations de solidarité. L’initiative doit permettre de récupérer davantage de volumes, mais va créer des problèmes d’ordre logistique, pour assurer la récupération, l’acheminement et la préparation de ces denrées le jour J.

Derrière le secteur de la production et les ménages, qui sont les plus gros gaspilleurs en volume, la distribution représente entre 10 et 15 % des pertes alimentaires, en fonction des études et périmètres. Malgré les efforts des enseignes, le don n’est pas encore très institutionnalisé du côté des magasins de proximité, mais les lignes bougent. L’entreprise Phenix, spécialiste de la seconde vie des produits, met en place des diagnostics et actions de formation pour limiter le gaspillage en magasin, mais est surtout capable de mettre en relation un point de vente avec des associations, déstockeurs, etc., y compris à la dernière minute. Ces arguments ont plu à Franprix, partenaire de Phenix depuis peu pour la gestion des invendus de date courte des petits magasins urbains. Ils délèguent ainsi une partie de cette tâche de collecte, les produits étant ensuite « redistribués à des associations locales de quartier, choisies en partenariat avec Franprix », souligne Jean-Paul Mochet, directeur général de l’enseigne. Nicolas Piffeteau, chargé de projets chez Phenix, constate d’ailleurs que le contexte est porteur. L’entreprise, créée en 2014, travaille avec plus de 350 magasins aujourd’hui, de tous formats, et ouvre des filiales dans de nouveaux pays européens, avec des consommateurs de plus en plus sensibilisés, et à la recherche d’informations.

Moches et comestibles

En parallèle, il est très difficile de connaître le taux d’invendus, indicateur de la bonne tenue – ou non – d’un magasin. Chez Carrefour et ses concurrents français, c’est silence radio à ce sujet. Des rapports que LSA a consultés font état, chez le britannique Tesco, de 59 400 tonnes d’alimentation non vendables, soit 1 % des volumes vendus, avec 37 % de ce tonnage représentés par les produits de boulangerie, et 24 % par les fruits et légumes. Chez Colruyt, la part des produits frais perdus représentait 2,55 % du rayon en 2015, soit environ 2,39 % des volumes et près de 7 millions d’euros. Avec cependant des indicateurs en amélioration constante.

Parmi les initiatives de bon sens, l’ultramédiatisée opération des fruits et légumes moches chez Intermarché, qui sont, comme leur nom l’indique, des produits tout à fait comestibles mais biscornus, a permis d’en vendre 2 343 tonnes en deux ans. Et ce dispositif a été copié dans le monde entier, ce qui permet de valoriser des denrées qui auraient fini à la benne ou en alimentation animale. « Si on était dans l’aviation et que 30 % des avions n’arrivaient pas à destination, on se poserait des questions, non ? », déclarait récemment, avec une pointe d’humour, Denis Knoops, patron de Delhaize Belgique et Luxembourg, en pointant le fait que 30 % de la production alimentaire se perdait au fur et à mesure de la transformation et de la vente.

En réponse, les marques proposant des produits ayant quelques défauts visuels, et vendus moins chers, font leur trou, tout comme les applications mobiles permettant de repérer les produits en fin de vie commerciale . Ces derniers jours, suite à la journée nationale de lutte contre le gaspillage du 16 octobre, des publicités sont apparues à la télévision pour mobiliser le consommateur, qui est, in fine, le plus important gaspilleur dans la chaîne. La montée en puissance des systèmes de lutte antigaspillage est une bonne nouvelle vis-à-vis de ce gâchis écologique et économique. Mais elle pourrait avoir son petit revers de la médaille à long terme. À force d’optimiser les processus et de limiter les pertes, les associations de collecte, situées en bout de chaîne, auront moins d’invendus à se mettre sous la dent. Mais nous n’en sommes pas encore là.

La seconde vie des produits

Certains produits alimentaires en fin de vie ne sont pas perdus pour tout le monde. Avec de l’imagination, ils renaissent sous une forme tout aussi comestible.

La bière babylone

  • Le pain, à durée de vie très limitée, fait partie des produits les plus « gaspillés » par la grande distribution. Cela arrangerait presque Babylone, une bière belge dont le procédé de fabrication repose sur la fermentation du pain (l’équivalent d’une tranche et demie par bière). Depuis son lancement, en février 2015, 1 040 hectolitres de Babylone ont été brassés.

Le supermarché The real junk food project

  • Dans la banlieue de Leeds, ce magasin propose des produits dont la DLC approche de son terme… Voire, est dépassée de quelques jours. Ils sont récupérés auprès de distributeurs traditionnels (Sainsbury’s, Morrisons), d’associations, etc. Les fondateurs veillent au bon aspect des denrées. Comme l’indique l’un deux, un produit ne devient pas mauvais après 23 h 59, quand la DLC est écoulée.

Et aussiBon et Bien,

  • le social business (partenariat entre Thomas Pocher, adhérent E. Leclerc dans le Nord, McCain et Randstad) qui transforme des légumes abîmés en soupes, par ailleurs créatrices d’emploi… La méthanisation pour transformer les déchets en énergie.

Des produits imparfaits, mais moins chers

Le client est prêt à faire des concessions pour des produits qui n’ont pas tous les canons de la fraîcheur ou de l’esthétique : les offres à prix cassés se multiplient donc. En association avec les Restos du Cœur

Lidl s’est associé aux Restos du Cœur

  • Des cagettes de fruits et légumes défraîchis ou abîmés (3 à 5 kg de produits), qui n’ont plus leur place en rayon, sont vendues 1 €, avec 50 centimes reversés à l’association.

Promouvoir les produits en fin de DLC

  • Carrefour propose des lots lorsque les produits sont à trois jours de la fin de leur DLC. Dans des bacs spécifiques, viande, charcuterie ou saurisserie sont bradées, avec deux produits pour le prix d’un.

Vendre les produits moches

  • Intermarché a frappé un grand coup en 2014 avec ses fruits et légumes moches. L’initiative a été copiée par Delhaize, et Tesco propose aussi ses produits « perfectly imperfect ». Enfin le collectif Les Gueules cassées, en partenariat avec Carrefour, est à l’origine de Tous AntiGaspi, des produits 30 % moins chers.

Quand digital rime avec antigaspillage

Les applications mobiles s’appuient sur un principe simple : mettre en relation un vendeur et un acheteur pour écouler à prix réduit une marchandise en fin de vie.

Optimiam en soutien des commerces de proximité

  • Cette appli a pour mission « d’aider les commerces de proximité à vendre leurs excédents alimentaires ». Via la géolocalisation, les utilisateurs sont informés des promotions sur les denrées proches de leur date de péremption (sandwichs, produits frais), sous forme de ventes flash exclusives. Optimiam travaille déjà avec Casino, Spar, Carrefour City et Monoprix.

Too Good To Go met en valeur les invendus

  • « Un repas dans ton assiette, un geste pour la planète. » L’accroche donne le ton. Cette appli permet aux commerçants de proposer leurs invendus juste avant la fermeture, à prix réduits. Les consommateurs s’appuient sur la géolocalisation pour trouver la bonne affaire.

« Fusions, le projet mené par Deloitte Développement durable, a confirmé l’ampleur du phénomène du gaspillage alimentaire : un tiers des produits agricoles n’arrivent pas dans les assiettes. »

Olivier Jan, associé de Deloitte

Le contexte

  • La loi contre le gaspillage alimentaire a été adoptée en février. Les distributeurs ont un an pour passer convention avec des associations pour donner les denrées qui finissent à la poubelle. Elles ne pourront plus jeter ou détruire de la marchandise consommable.
  • Les initiatives publiques, comme privées, se développent à grande vitesse (recyclage, seconde vie des produits) pour transformer les déchets en vivier de ressources.

Les chiffres

  • 10 millions de tonnes : le poids du gaspillage alimentaire en France, soit 16 Mrds €

Source : Ademe

  • 20 kilos : le poids, par personne, de produits gaspillés par an, dont 7 kilos de produits alimentaires non consommés encore emballés, soit une perte de 159 € par personne

Source : Ademe

  1. 88 millions de tonnes : le poids du gaspillage alimentaire à l’échelle européenne

Source : Deloitte

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