Le nouveau rôle du commerce? [Edito]
Un centre commercial de plus, diront ceux qui conspuent ces « temples de la consommation ». Les Ateliers Gaîté, qui viennent d’ouvrir à quelques pas de la gare Montparnasse, à Paris, méritent pourtant qu’on s’y arrête. Bien sûr, ce centre de 28 800 m² « coche toutes les cases » des tendances, avec son grand pôle restauration, ses 60 commerces ou cette rénovation respectant l’environnement. Mais le plus important n’est peut-être pas là et il restera sans doute invisible aux yeux de ceux qui s’y arrêteront pour déjeuner, réparer leur vélo, aménager leur balcon ou remplir leur réfrigérateur.
Les dirigeants d’Unibail-Rodamco-Westfield ont en effet cherché à inventer une nouvelle destination parisienne, intégrant dans un même lieu l’ensemble des fonctions d’une ville. On y trouve une bibliothèque municipale, des logements sociaux, un centre de santé, des bureaux, une crèche, un hôtel, un centre de conférences, des commerces, du loisir et de la restauration. Certes, cet exemple n’est pas unique en son genre. Et si des distributeurs jouent encore la fuite en avant et bradent leur immobilier (quitte à poser de sérieuses difficultés sur les comptes d’exploitation des magasins qui doivent alors verser des loyers plus importants que jamais), d’autres décident de s’installer durablement dans les quartiers et dans le quotidien de leurs habitants. Ils ne se contentent pas d’ouvrir un magasin. Ils bâtissent quasiment un écosystème.
Et si tout le monde ne peut pas se permettre un tel projet (cinq ans de travail et 500 millions d’euros d’investissement), des enseignes s’y essaient à une moindre échelle dans de plus en plus de cas. Comme Lidl à Nantes qui, au-delà de ses 992 m² de surface de vente et 100 places de parking, compte au-dessus de lui 90 logements avec une toiture végétalisée. Des dirigeants ont saisi que cette activité peut devenir une activité en soi avec ses revenus et sa rentabilité. Mais de tels projets assurent d’autres choses. D’abord, ils aident à obtenir de bonnes relations avec la mairie et les élus. Il est ainsi plus aisé d’obtenir son autorisation d’ouverture (le passage en CDAC), les élus comprenant vite qu’il s’agit d’un programme ambitieux qui peut valoriser leur ville et satisfaire bien des électeurs.
Le second intérêt est un pari sur l’avenir. Cette stratégie garantit que la zone de chalandise ne va pas péricliter. Que les habitants ne vont pas déserter l’endroit faute de modernité. Que le quartier sera toujours attractif en fixant ici des habitants et de l’emploi, et en attirant de nouveaux consommateurs. Le commerce et les foncières, souvent conspués, pourraient ainsi trouver les lettres de noblesse qui leur font parfois défaut. Et celui qu’on accuse, souvent à raison, d’avoir détruit les entrées de villes pourrait être celui qui participera à la revitalisation de zones en désuétude ou à l’émergence de nouveaux quartiers. Bien loin des constructions dans les « champs de patates » en périphérie dans les années 60, puis du gigantisme des centres dans les années 70 et 80, la troisième génération sera peut-être celle du social et du sociétal. Vœu pieux depuis des lustres, le commerce pourrait alors réellement se qualifier de « lieu de vie ».
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