Le plan de La Redoute pour « sortir du rouge en 2017 »
La Redoute lutte pour sa survie et, avant d’entrevoir le bout du tunnel, entend déjà commencer par arrêter l’hémorragie. Et quelle hémorragie ! Quasi 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2011 et, l’année dernière… seulement 935 millions. Près de 30% du chiffre parti en fumée en à peine deux ans. Ce qui ne serait rien – ou peu – sans, surtout, des pertes récurrentes : 50 millions par an, environ, depuis des années.
JEAN-NOËL CAUSSIL.
\ 17h28
JEAN-NOËL CAUSSIL.
On comprend, dans ces conditions, pourquoi Kering (ex PPR) tenait tant à vendre l’activité… Le projet de cession maintenant avalisé, avec Nathalie Balla et Eric Courteille enfin aux manettes, pour de bon, en qualité de co-présidents et non plus de futurs repreneurs, place donc, désormais, au projet de redressement.
Baptisé « plan 2017 », il est censé permettre à La Redoute de « sortir du rouge en 2017 », et était présenté ce matin, au siège de Roubaix, par les deux dirigeants. Une sacrée gageure, on en conviendra.
Rajeunir la clientèle
Pour réussir ce pari, La Redoute a un atout, largement mis en avant par les deux co-présidents. Qui est ? Sa notoriété, pardi. « 99% de notoriété pour notre marque », insiste Nathalie Balla. On peut certes objecter qu’il devrait assez facilement se trouver, parmi la population de Français, un pourcentage pas si éloigné pour citer dans les mêmes proportions Félix Potin, Prisunic ou Mammouth, toutes des enseignes disparues, mais bon… Reconnaissons que c’est une base intéressante.
A condition, évidemment, de considérer que cette notoriété suscite l’attente et non le rejet. La cliente type de La Redoute est en effet une femme de 40 ans et plus – prière d’insister sur le « et plus » - et tout l’enjeu est ainsi de rajeunir cette cible. Pas facile du tout. D’autant moins si l’on considère que, sur ce créneau, la concurrence va aller d’Amazon à Asos par exemple. Mais, là encore, reconnaissons que c’est une force.
La Redoute, en effet, en dépit de ses difficultés, reste « le premier site de vente en ligne pour l’habillement et la maison avec, chaque mois, 7 millions de visiteurs uniques », ainsi que le rappelle Nathalie Balla. Son activité à l’étranger (Russie, Angleterre, Belgique, Suisse, Portugal, Espagne, Suède et Norvège), qui pèse à hauteur de 25% du chiffre d’affaires, est « rentable », comme le souligne Eric Courteille. Et si, en France, c’est loin d’être le cas, ses 700 millions d’euros de ventes en font malgré tout un acteur de poids du e-commerce (85% du chiffre se fait maintenant via le site). Avec d’ailleurs, dans le détail, un partage à 50/50 environ, entre la mode et l’ameublement-décoration.
En valeur, s’entend. Car, en volumes et, donc, pour ce qui est de l’attractivité, la mode est bien sûr l’élément clé du business model de La Redoute. Les offres pour la femme et l’enfant forment ainsi les deux piliers majeurs de la stratégie, tout de suite suivies par le linge de maison et la maison-décoration.
Une centaine de stylistes, en interne, pour créer la différence
A ces quatre catégories « cœur », ainsi qu’elles sont dénommées en interne, s’en ajoutent quatre autres, périphériques, mais sur lesquelles La Redoute entend être bien présente : la lingerie, la chaussure, l’homme et le petit électroménager. Les jouets, le sport, la beauté et le gros électroménager complètent quant à eux l’offre, mais ne sont aujourd’hui plus travaillés qu’en marketplace. « Notre objectif est, d’ici 2017, de tripler notre volume d’affaires en marketplace, sur laquelle sont déjà présents plus de 700 vendeurs », précise Eric Courteille.
Pour autant, il est évident que La Redoute n’a pas pour vocation à n’être qu’une plateforme pour les autres vendeurs. C’est même tout le contraire. Au centre de la stratégie figurent les marques propres, Softgrey et Mademoiselle R. notamment, qui rassemblent déjà 73% des ventes.
L’intérêt de ces gammes « maison » est dans la différenciation ainsi permise : des marques créées par et pour La Redoute, et uniquement trouvable chez La Redoute. Un atout évidemment primordial mais, car il y a forcément un mais, à condition, encore une fois, de savoir susciter l’attente sur ces marques. Pour essayer de titiller ainsi l’envie de ses clientes, Nathalie Balla évoque les vertus du « rapport style qualité prix », en insistant sur la centaine de stylistes qui, en interne, s’échine à renifler les bonnes tendances, au bon moment.
Un effort louable, loin de nous l’idée de dire le contraire. Mais sera-t-il suffisant ? Après tout, on tient ce même discours, quasi mot pour mot, chez Kiabi, chez Beaumanoir ou chez Vivarte. Ce triptyque « style qualité prix » est dorénavant le b.a.-ba.
Passer à dix collections par an et mieux gérer ses stocks
Même sentiment quand on se penche sur la volonté affichée d’accroître le rythme des collections. « Nous sommes passés de deux collections par an à huit, pour maintenant faire grimper le curseur jusqu’à dix », indique Nathalie Balla. Une manière de revenir dans les standards du marché. Nécessaire, là encore, pour revenir dans la course, mais suffisant pour faire la différence ?
Disons qu’il faut au moins en passer par là avant d’envisager quoi que ce soit d’autres. « Aujourd’hui, détaille Eric Courteille, 75% de l’offre d’une saison sont mises en place en début de période, pour accompagner le big book qui va maintenant disparaître, à compter de l’automne 2015. Cela ne nous laisse guère de souplesse, ni sur la gestion des stocks, ni sur la communication et le marketing, ni sur les prix. En clair, pour s’en tenir aux stocks, cela signifie que l’on a forcément six mois de stocks, payés dès le mois de décembre, pour une collection qui ne va commencer à se vendre qu’à partir d’avril. »
N’importe quel apprenti logisticien est, à lecture de ces lignes, passé en hyperventilation… Le surcoût est en effet par essence même considérable. Demain, avec ces rythmes de renouvellement de gammes plus soutenus, ce ne sera plus que 40% de l’offre d’une saison qui sera mise en service en décembre, pour progressivement grimper ensuite jusqu’à 100% en mai, pour s’en tenir à cet exemple pris sur une période de six mois. « On a besoin de cette souplesse et cette agilité », assène Eric Courteille.
Livrer le jour même et fédérer les équipes en interne
Ce qui est vrai pour les gammes l’est aussi pour la l’organisation logistique, qui se doit de suivre le mouvement. « Nous traitons les commandes en un jour et demi, nous devons le faire demain en 2h », explique Eric Courteille. L’idée est ainsi, complète Nathalie Balla, « de pouvoir livrer le jour même, dans les grandes villes, pour toute commande passée avant 14h, et le lendemain partout ailleurs. »
Pour cela, La Redoute dispose d’un outil, Relais Colis qui, dans cette perspective pourrait s’avérer précieux : « Plus de 4000 points relais, dont 1000 en région parisienne, insiste Eric Courteille. Peu de nos concurrents disposent d’une telle structure. Nous devons développer ce modèle. » Un modèle qui, jusqu’en 2013, « gagnait de l’argent »… Et un modèle qui, surtout, en a perdu, ce l’argent, pour cause de lourds investissements pour le rendre plus fort dans les années à venir.
En clair, si La Redoute reste évidemment au pied du mur, elle s’organise néanmoins pour entamer son redressement. Ce sera long et difficile, assurément, sur un parcours semé d’embûches et avec une concurrence qui ne l’attendra pas mais au moins l’ascension est-elle tentée, et c’est bien là l’essentiel. « Nous sommes dans une situation d’urgence pour l’entreprise, rappelle Eric Courteille. Notre mission est d’accélérer sa transformation et de fédérer toutes les équipes, en interne, pour qu’ensemble nous y parvenions. »