
D’un même constat, pour une fois, pas le même résultat. La Halle, Kiabi et Gémo, enseignes historiquement implantées en périphérie, se cherchent toutes les trois une place au cœur des grands centres commerciaux et des centres-villes. Mais si leurs stratégies sont concomitantes, elles s’avèrent largement divergentes.
Le premier sujet d’étonnement a trait au timing. Voilà plus de seize ans que H & M a rejoint Zara dans nos centres-villes, initiant par là même le mouvement de mutation. Pourquoi maintenant, alors ? « Cela fait six ans que le marché de l’habillement est en recul, pointe le consultant Frank Rosenthal. Si, au début, on pouvait encore se dire que ce serait ponctuel, il est évidemment clair, désormais, que la crise est structurelle. » Cela complique donc la tâche pour aller chercher de la croissance. D’autant qu’il ne faut pas compter sur un quelconque effet parc : le plein, en périphéries, est presque réalisé pour chacune d’entre elles – 354 Kiabi, 1 300 La Halle et 500 Gémo… « Pas d’autre choix, alors, pour conquérir des parts de marché, que de le faire au détriment de la concurrence », observe le consultant. Donc sur son terrain.
Contrarier la concurrence sur son terrain
Des trois enseignes, assurément, c’est Kiabi qui paraît la mieux armée. « Kiabi ne peut faire abstraction du combat avec Primark, relève Frank Rosenthal. Et s’il est illusoire d’empêcher le développement de sa rivale, au moins peut-elle prendre pied dans les mêmes zones d’implantation, pour la contrarier. » Cela tombe bien, Kiabi Kids est là pour cela. Un premier magasin a ouvert à Qwartz (92), au printemps dernier. Au même endroit que Primark et dans un grand centre commercial où, jusqu’à présent, Kiabi n’était pas présente. « Mécaniquement, de par nos implantations, la moitié de la part de marché potentielle nous échappe, indique Jean-Christophe Garbino, le directeur général de Kiabi. Sur nos formats standards de périphérie, le plein est quasi fait, avec peut-être une vingtaine de magasins qui nous manquent, pas plus. En revanche, tout est à faire dans les grands shopping malls régionaux. »
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« De par nos implantations, la moitié de la part
de marché potentielle nous échappe. Tout est
encore à faire dans les grands shopping
malls régionaux. »
Jean-Christophe Garbino, directeur
général de Kiabi |
Kiabi, la croissance par l’enfant
+ 29,4%
La croissance du CA, portée par l’acquisition de Vêti, sur cinq ans
Source chiffres :LSA
Kiabi
50
Le nombre de Kiabi Kids que le groupe va ouvrir en France dans les grands centres commerciaux.
Pratiquer l’évitement
Et puisqu’il est difficile d’entrer dans ces grands centres avec le concept généraliste de Kiabi, sur ses 1 500 à 2 500?m² habituels, le groupe avance avec une stratégie d’évitement. Va pour Kids, alors, pour les 0-12 ans, sur des surfaces entre 600 et 800 m². « Ils sont leaders sur l’enfant [40 % des ventes de l’enseigne se font sur l’offre enfant, NDLR], et ils proposent un concept dédié : c’est d’une logique implacable, applaudit Yannick Franc, consultant. D’autant que Kiabi est également très fort sur le multicanal, et que c’est clairement pour eux une porte d’entrée pour imposer une présence plus large ensuite. » En clair, Kiabi semble bien parti, mais ne jamais oublier néanmoins que le commerce est cyclique… « L’enseigne s’est autrefois fourvoyée dans une stratégie de montée en gamme qui, par bien des aspects, ressemble à celle menée par La Halle aujourd’hui », rappelle Yves Marin, consultant. C’était en 1999-2000, en effet, justement en réponse à l’arrivée de H & M en France. L’archétype d’une fausse bonne idée. Kiabi, tel un cheval refusant l’obstacle, change de modèle pour s’en aller forcer sa nature. Évidemment, cela n’a pas marché…
Engager un virage à 180 degrés est rarement une bonne idée pour une enseigne. Cela a tendance à entraîner la perte des clients… Vous pensez à ce qu’il se passe aujourd’hui à La Halle ? Vous n’avez pas forcément tort. À La Halle, en effet, tout a changé : le concept, l’offre et le positionnement. Surtout l’offre, d’ailleurs, avec l’entrée de marque de secondes lignes, venues des enseignes maison de Vivarte, N by Naf Naf, C by Chevignon, K by Kookaï, et on en passe.
« On se rend quatre à cinq fois par an dans une enseigne de textile, pas beaucoup plus, estime Yves Marin. Et encore, seulement les meilleurs clients… C’est dire si l’inertie est grande et si, surtout, les rythmes de changements violents, par nature, sont souvent voués à l’échec. » Kiabi, très vite, a su faire machine arrière. Et voilà que, quinze ans après, La Halle emprunte cette même voie… « Tirer La Halle vers du premium… c’est pour le moins surprenant, remarque Yves Marin. Ce n’est plus une évolution, c’est une révolution par rapport aux racines de la marque. »
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« On est en train de juger une stratégie sur une
seule saison d’exécution, c’est un peu court. »
Marc Lelandais, PDG de Vivarte,
dans Les Échos |
L’obligation de prendre des risques
Sauf qu’à entendre Marc Lelandais, le PDG de Vivarte, dont La Halle est l’enseigne phare, il n’y a guère d’autre choix. « On ne pouvait pas ne pas prendre de risques », estimait-il récemment, dans une interview aux Échos. Admettant lui-même « un virage à 180 degrés », il demande de laisser du temps au temps… « On est en train de juger une stratégie sur une seule saison d’exécution, c’est un peu court », plaide-t-il.
La Halle
60
Le nombre de magasins rénovés qui ont une croissancede 9% supérieure à celle du reste du réseau.
La Halle, le pari d’un virageà 180 degrés
- 5,3 %
L’évolution du CA, sur cinq ans, des magasins sous enseigne La Halle (- 8,2 % pour La Halle aux Vêtements, - 2,3 % pourLa Halle aux Chaussures)
Source chiffres : LSA
Pour le consultant Frank Rosenthal, le problème n’est pas tant dans la logique qui prévaut à cette stratégie. « Ce repositionnement a pour vocation de répondre à des ambitions urbaines nouvelles, reconnaît-il. Pour cela, c’est l’évidence même, l’enseigne a besoin d’un nouveau modèle, plus premium, pour surmonter les coûts supérieurs inhérents à ces implantations. » Non, ce qui le chiffonne, c’est plutôt ce qui se passe en périphérie : « Ce même concept haut de gamme dupliqué partout ? Pas sûr du tout… » Une interrogation que partage Yannick Franc. « Le risque, note-t-il, est de perdre ses clients en leur imposant des changements trop drastiques. » Pour autant, et c’est aussi une évidence, La Halle se doit de revoir ses magasins de périphérie aussi… « Le travail engagé consistant à rassembler sous un même toit les offres en chaussures et en mode a pleinement du sens, relève l’expert. Ce qui compte, c’est de veiller à l’expérience clients. »
Or, Vivarte a peut-être ici privilégié la simplicité – je capitalise sur ma marque forte, que je décline ensuite en mode industriel – à l’efficacité. Disons que le groupe avance avec une solution sans trop de nuances. Avec, surtout, un concept taillé pour les centres-villes qui, implantations obligent, va devoir faire l’essentiel de son business en périphérie.
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« Nous allons attirer dans ce magasin nantais Follow Me des clientes qui ne se sont jamais rendues dans nos Gémo de Rezé ou de Saint-Herblain. »
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Gémo, confronté aux mêmes questions, a choisi de dissocier sa stratégie. Pas de Gémo en centres-villes. L’enseigne est trop connotée discount de périphérie… Pour contourner le problème, voilà Follow Me, sur 150 à 300 m², proposant des gammes uniquement féminines, sélectionnées parmi les trois marques les plus urbaines et modes de Gémo, G’One, G’Casual et G’Urban. Ce petit « G’ » étant ainsi le seul lien tangible permettant de relier Follow Me à Gémo.
Une première boutique vient d’ouvrir à Nantes. « Nous allons attirer dans ce magasin nantais des clientes qui ne se sont jamais rendues dans nos Gémo de Rezé ou de Saint-Herblain, pourtant tout près », assure Hubert Aubry, le directeur général. « Une cible, un positionnement, une enseigne : loin d’être bête, analyse Yves Marin. H & M ou Zara font ça depuis des lustres. » Pour autant, nuance Yannick Franc, « si partir d’une feuille blanche peut être réjouissant sur le papier, cela pose la question de la notoriété à construire ». C’est pour cela que Gémo, pardon Follow Me, veut aller vite : 50 boutiques d’ici à 2020. Audacieux, pour le moins. Car très gourmand en Capex : « Comptez 1 200 €/m² ici, à Nantes, pour Follow Me, pour une moyenne à 450 €/m² pour un Gémo », précise Hubert Aubry. Cher, certes mais ni pour Gémo, ni pour personne, l’immobilisme n’est de toute manière une option.
Jean-Noël Caussil
Gémo
50
Le nombre de magasins Follow Me espérés d’ici à 2020, dans les centres-villes.
Gémo, la volonté d’être suivi en centres-villes avec Follow Me
+ 0,5%
La croissance du CA,sur cinq ans
Source chiffres :LSA