Les chariots tardent à faire leur révolution
Les chariots de magasins peinent à réaliser leur mutation esthétique ou technique. La faute aux distributeurs, qui n’investissent pas assez pour transformer cet outil en un objet connecté.
Yves Le Corre
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Yves Le Corre
Les roues qui coincent et qui ne veulent pas tourner, les chocs incontrôlables dans les allées, le poids… Nous avons tous eu affaire un jour ou l’autre à des chariots récalcitrants. Jacques de Beauval, directeur commercial France de Wanzel, leader du marché en France, n’a pas peur d’être plus catégorique encore. « En France, il y a deux points noirs pour les clients des supermarchés : les caissières qui râlent et les chariots qui cassent le dos et sont le symbole même de la surconsommation ! » De fait, si les innovations sont nombreuses au sein des enseignes, le chariot semble bien souvent être la dernière roue du carrosse.
Le plastique, c’est fantastique
Les magasins sont longtemps restés sur le classique modèle des charrettes de supermarché gris métallisé, peu attractives. Les enseignes ne les égaillant bien souvent que par des logos sur l’anse. Seule l’arrivée du plastique dans les matériaux de fabrication (en 2000 !) a permis l’ouverture mesurée des enseignes à la fantaisie des couleurs, mais rarement au design de l’objet. « Il y a eu des tentatives de passage au plastique, dès le début 2000, poursuit Jacques de Beauval, mais les chariots n’avaient que quatre à cinq ans de vie du fait de matériaux peu qualitatifs. Le prix n’aidant pas non plus, les enseignes sont rapidement revenues sur l’idée. »
Chez Carrefour Market, on n’est pas aussi catégorique sur l’absence d’innovation. L’enseigne, qui a revu tout son parc de chariots à l’occasion de son travail sur son nouveau concept, passant aux modèles en plastique, a aussi adopté récemment le dernier modèle de chez Araven, le Loop. Un porte-parole de Carrefour Market se fend d’un commentaire : « L’espagnol Araven a imaginé un modèle de shop & roll sur quatre roues à hauteur d’homme et ultra-maniable, préhensile des quatre côtés. Ses cibles : les magasins de proximité et les supermarchés urbains. Son encombrement est 30 % inférieur à celui des chariots existants, tout en maintenant une capacité de 100 litres. La hauteur du panier permet de ne pas se baisser pour récupérer ses articles. »
Vandalisme, un frein à l’investissement
Une création originale que défend Blanca Savirón, equipment marketing manager chez Araven. « Ce chariot a constitué un challenge pour notre entreprise dans un secteur qui n’a pas vu de changement sur ces quinze dernières années, à l’exception du récent passage du métal au plastique. » Quinze ans pour passer du lourd chariot de métal à des plastiques plus légers (un gain de 5 à 6 kilos), occasionnellement recyclés, comme le dernier modèle de la société française Caddie (Caddie et Motion), qui, en 2013, franchit le cap du plastique en proposant un modèle hybride : fils de métal et polypropylène recyclé pour une partie de son panier. Comme le précise Blanca Savirón, « le passage du métal au plastique nous a permis plus de légèreté et une atténuation du bruit. Le plastique – et ce n’est pas négligeable –, nous a permis de voir diminuer le nombre de vols de chariots, qui constituaient une perte économique de poids ».
Sur ce point peu connu, tous les fabricants s’accordent. « Le vol, mais surtout le vandalisme, sont des affaires sérieuses, principalement en France, où le phénomène est étrangement plus important qu’ailleurs en Europe, confirme Jacques de Beauval. Je peux vous dire que dès que Wanzel sort un chariot, il le teste d’abord en France ! » Un début d’explication pour justifier le manque d’investissement des retailers dans l’objet qui a pourtant le potentiel lui permettant de devenir le futur objet connecté majeur des grandes surfaces.
La piste du self-scanning
« Le vandalisme, proche de celui que connaissent les Vélib’ à Paris, rend irréaliste l’installation de puces actives ou passives à l’intérieur des paniers. Par exemple : nous proposons un porte-smartphone sur certains modèles, mais les enseignes ont peur de connaître des procès si les portables se font voler dans les rayons. » Les clients distributeurs s’en tiennent donc au strict minimum. « La grande distribution aime la nouveauté, mais elle n’est jamais prête à la payer. Pour elle, une amélioration doit être moins coûteuse que le produit de base. »
Pourtant, Wanzel propose déjà des technologies RFID sur des chariots en plastique qui supportent bien mieux le self-scanning que les modèles métallisés. « Faire passer un chariot entre deux antennes qui scanneraient l’ensemble du contenu pourrait permettre de révolutionner le passage en caisse, qui se résumerait à un simple paiement ! » Sans oublier les données clients ou celles destinées au réapprovisionnement des rayons et autres inventaires qui pourraient découler de ces solutions… « C’est sûr qu’un chariot n’est qu’un outil, admet Jacques de Beauval, mais qui peut véritablement devenir utile… » Alors, ces charrettes, on les fait entrer dans le XXIe siècle ?
Les Chiffres
- 2,5 M à 2,8 M Le nombre estimé de chariots disponibles en magasins en France.
- 2000 L’année d’apparition des chariots en plastique ou hybrides métal-plastique.
- 12 ans La durée de vie d’un chariot plastique entretenu.
- 5 à 6 kilos La perte de poids des chariots depuis l’intégration du plastique dans leur fabrication.
Source : fabricants
Un assistant impopulaire
La mésentente ne date pas d’hier entre le consommateur et ce véhicule pourtant bien utile. Dès son origine, il n’est pas apprécié par les consommateurs qui se refusent à l’utiliser. Les jeunes femmes le trouvent laid ; les hommes ont l’impression de paraître moins virils en le poussant dans les allées. Son impopularité se ressent jusqu’à aujourd’hui dans les mini-modèles : ces jouets mis à disposition des enfants dans certaines enseignes ne sont pas plus populaires que leurs aînés. Ils donnent la sensation que l’on cherche plus à préparer de futurs consommateurs qu’à les divertir. De fait, le chariot est le symbole négatif de la consommation de masse. Il reste à être réapproprié par un designer talentueux pour enfin devenir aussi désirable qu’il est pratique.
À qui doit-on le chariot ?
C’est aux États-Unis (Oklahoma) en 1936, que l’épicier Sylvan N. Goldman fait le constat simple que ses clients n’achètent que ce qu’ils sont capables de transporter à bout de bras. Associé avec un mécanicien, il conçoit le Nest Baskart, un chariot réservé au shopping dans ses enseignes. Composé de deux paniers de métal posés l’un au-dessus de l’autre, il s’équipe, en 1947, d’un siège pour enfant et se personnalise aux couleurs des magasins en 1954. En France, la société alsacienne les Ateliers réunis lancent, en 1929, la fabrication de caddies, terme qui désignera aussi la société, et repris à l’étranger, puisque dans les années 80, la société Caddie détenait jusqu’à 80 % du marché européen, avant de connaître les difficultés qui sont les siennes aujourd’hui.