« Les discounters vont être plus agressifs sur les prix » : Alain Caparros, PDG du groupe Rewe
Pour le plus français des patrons allemands, le recul du hard-discount, aussi bien en Allemagne qu'en France, n'est que temporaire. « Ne sous-estimez surtout pas Aldi et Lidl », avertit l'oracle de Cologne.
PROPOS RECUEILLIS PAR FRÉDÉRIC THERIN, À COLOGNE
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PROPOS RECUEILLIS PAR FRÉDÉRIC THERIN, À COLOGNE
LSA - En Allemagne, vous gagnez des parts de marché face aux discounters. Vous devez jubiler...
Alain Caparros - Bien au contraire. C'est une mauvaise nouvelle pour nous, car cette baisse de régime va les pousser à être encore plus agressifs sur les prix. On les voit aussi monter en gamme en élargissant leurs assortiments et en vendant des grandes marques tout en agrandissant leurs surfaces de vente. Chaque pot de Nutella vendu chez eux est un pot de moins vendu chez nous. Il va falloir s'habiller chaudement dans les années à venir... Les discounters marchent de plus en plus sur les plates-bandes des supermarchés. Nous avions lancé les hostilités en proposant des produits d'entrée de gamme comparables à ceux des discounters. Les prix de ces références sont calqués sur ceux d'Aldi et Lidl, quitte à les changer deux fois dans la même journée... Mais nous allons devoir faire face à un problème encore plus inquiétant...
LSA - Lequel ?
A. C. - Les ventes en ligne vont transformer la distribution. Si le online représente moins de 2% des ventes de produits alimentaires en Allemagne, elles augmentent dix fois plus vite que celles des magasins traditionnels. Ces derniers vont devoir s'adapter au vieillissement de la population et à l'arrivée d'importantes communautés étrangères, appelées à remplacer celles qui partent à la retraite. Les supermarchés vont devoir offrir bien plus de produits adaptés à leur clientèle locale. Pour réussir, il faudra faire du « fine tuning » à tous les niveaux. Cela va être d'une complexité énorme...
LSA - Vous êtes très présents en Europe de l'Est. Cette région, touchée par la crise, redresse-t-elle la tête ?
A. C. - La situation y est encore très contrastée, mais on sent une vraie amélioration depuis un an. Après quatre ou cinq années de fortes acquisitions dans cette zone, nous avons toutefois décidé de nous concentrer sur notre croissance organique. Nous comptons aussi nous retirer des pays où nous ne figurerons pas dans le trio de tête dans les prochaines années. Nous en sommes loin aujourd'hui en Italie et en Bulgarie.
Rewe en chiffres
- 49,7 Mrds € de CA (+ 2,7%)
- 15 696 magasins (+ 1,1%)
- 327 600 salariés (+ 1,5%) dont 225 775 en Allemagne
Source : Rewe
LSA - Quels sont les Français qui s'en tirent le mieux dans cette zone ?
A. C. - Auchan cartonne à l'Est. Ils sont très performants et imbattables sur les prix, car ils ont suivi une stratégie proche du discount, avec notamment des investissements limités dans leurs magasins. Leur rachat des magasins Real en Russie, Pologne, Roumanie et Ukraine n'est pas une bonne nouvelle pour nous, car ils vont devenir un concurrent encore plus sérieux. Carrefour ne nous cause pas trop de souci, et Leclerc a un peu de mal dans sa stratégie d'expansion.
LSA - On entend peu parler de l'association Coopernic que vous présidez. A-t-elle du plomb dans l'aile ?
A. C. - Pas du tout. Il n'est jamais aisé de créer une alliance entre cinq partenaires de cinq cultures différentes, qui ont chacun une identité d'entreprise forte. Il est très difficile d'importer ou d'exporter des méthodes, notamment pour des raisons d'ego. Mais nous sommes tous persuadés que nous sommes plus forts unis qu'isolés. Avec un chiffre d'affaires global de plus de 150 milliards d'euros, nous sommes un interlocuteur important pour les industriels. Aucun d'entre eux n'a refusé de travailler avec Coopernic.
LSA - Quelles économies tirez-vous de ces achats groupés ?
A. C. - Vous pensez bien que je ne vais pas vous le dire, mais il y a de bons arguments pour continuer notre coopération au sein de Coopernic.
LSA - Quelle est votre analyse de l'évolution de la distribution en France ?
A. C. - Ils devront gérer les mêmes défis que nous, notamment concernant le succès des ventes en ligne. La stagnation des discounters en France m'étonne un peu, mais ils ont été freinés par les limitations concernant leurs surfaces de vente. Vos distributeurs ne devraient toutefois pas sous-estimer Aldi et Lidl. Les coopératives comme Leclerc, Système U et Intermarché fonctionnent, elles, très bien, mais leur succès s'explique en partie grâce à la perte d'attractivité de Carrefour.
LSA - Que pensez-vous des réformes de Georges Plassat ?
A. C. - Je trouve que ses décisions vont dans la bonne direction. Il veut remettre le client au coeur des priorités et diminuer le rôle de la centrale omniprésente qui « sait tout ». Il cherche aussi à décomplexer ses équipes en leur donnant plus de pouvoirs. Il arrive tard, très tard, mais ses premières décisions sont porteuses d'espoir.
LSA - Est-ce que l'on va vous revoir en France ?
A. C. - Je retourne très souvent en France où je possède encore des pied-à-terre. Mais si je suis très content d'y aller, je suis aussi très content d'en repartir... Le problème, ce n'est pas la France, mais les comportements de nombreux Français. Je n'aimerais plus être un patron dans ce pays, car vous êtes critiqué et soupçonné en permanence. C'est malsain et frustrant. Quand j'ai quitté la France, je passais 70% de mon temps avec les syndicats et les représentants du personnel dans des confrontations qui n'aboutissaient à rien. En Allemagne, les discussions avec les syndicats sont dures, mais constructives. Et puis, je l'ai déjà dit, j'arrêterai d'exercer des fonctions opérationnelles à la fin de mon mandat chez Rewe, en 2016. On doit accepter que la vieillesse est une chose tragique et ne pas s'accrocher au pouvoir...
La France « a perdu sa flamme »
« Attristé par la trahison » de Jérôme Cahuzac, opposéà l'idée de taxer à 75% les plus hauts salaires, Alain Caparros, le PDG de Rewe, n'est pas tendre avec son pays d'origine. Le plus français des patrons allemands dit « se sentir beaucoup mieux » en République fédérale qu'en France, sa nation qui « a perdu sa flamme ». Le président de l'alliance Coopernic, qui fédère Leclerc, Colruyt, Conad, Coop Suisse et Rewe, garde toutefois un oeil averti sur un secteur en pleine révolution et sur le redressement de Carrefour...