Les distributeurs de jouets contraints de se réinventer

Le placement de Toys “R” Us sous la protection de la loi des faillites aux États-Unis a sonné comme un nouveau coup de tonnerre sur le marché des spécialistes du jouet. Fragilisé par une concurrence rendue accrue par le Net, le circuit doit faire sa révolution.

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Les distributeurs de jouets contraints de se réinventer
Les chiffres :
  • 3,4 Mrds € : Le chiffre d'affaires du jeu et du jouet en France en 2016, à +1%
  • 1,3% : La croissance des ventes de jeux et de jouets entre janvier et fin août 2017 (soit un CA de 948,6 M € sur les huit premiers mois 2017)
Source : panel Epos, NPD Group
LE NET EXPLOSE, MAIS LES SPÉCIALISTES RÉSISTENT

En l’espace de neuf ans, la part des ventes de jouets sur internet s’est envolée. Cet essor a d’abord pénalisé les GSA avant de peser plus sur le commerce spécialisé qui, détenant jusqu’à 45 % des ventes en 2013, voit sa part de marché s’effriter. En Europe, selon NPD, les ventes sur internet représentent 30% des ventes en moyenne et semblent avoir atteint un palier. Un schéma qui pourrait se retrouver en France…

Une nouvelle « aube » pour Toys“R”Us ! « En interne, le nom de code de notre plan de restructuration est sunrise. Le placement de notre enseigne sous la protection du chapitre 11 de la loi américaine des faillites est une bonne nouvelle, car il nous donne plus de moyens pour agir », explique Jean Charretteur, directeur général de Toys “R” Us France. Las, si la filiale française – et européenne – n’est pas touchée par la procédure, l’annonce de la « faillite » du numéro un mondial du jouet à quelques semaines de la saison de Noël a fait l’effet d’une bombe… et relancé les interrogations sur la santé du circuit des spécialistes.

En effet, les mésaventures du géant américain s’ajoutent à une série de signaux alarmants, comme la mise en vente de l’enseigne Maxi Toys (groupe Blokker), au printemps. En 2014, La Grande Récré (groupe Ludendo), elle aussi dans la tourmente, revendait son enseigne Hamleys et entamait un plan de transformation. Une fragilité financière précédemment connue par King Jouet en 2010, qui avait alors ouvert son capital au groupe Giochi Preziosi et s’était restructuré pour rebondir. « Nous venons d’enchaîner trois exercices positifs et tablons cette année sur une hausse d’environ 6% de notre chiffre d’affaires. Mais nous sommes convaincus que le cas de Toys “R” Us montre la fragilité de notre filière », expose Philippe Gueydon, président de King Jouet.

Les causes de leurs difficultés

  • L’essor du Net s’est ajouté à la pression concurrentielle, déjà forte à Noël, des hypermarchés.
  • Les spécificités du jouet (offre banalisée, saisonnalité, effets de mode) compliquent la donne pour les spécialistes.
  • Les attentes des clients évoluent vers une efficacité opérationnelle sans faille, des services et du sens.

Toys “R” Us, un géant fragilisé par sa dette

Le leader mondial du jouet, lourdement endetté (4,64 Mrds $, soit 3,87 Mrds €), s’est placé sous le chapitre 11 de la loi américaine des faillites, l’équivalent de la procédure de sauvegarde française. Le groupe doit rapidement retrouver de la rentabilité en réajustant son parc de magasins et son niveau de services, notamment en ligne.

412 M € de CA en France en 2016* 53 magasins en France en 2017

* Source : Top 100 LSA des principales enseignes du commerce en France en 2016

Une transformation urgente et nécessaire

Un avis partagé par de nombreux acteurs du secteur, comme Nathalie Peron-Lecorps, directrice générale de Picwic. « Le marché connaît une transformation profonde : il ne s’agit pas d’un simple ajustement conjoncturel, et ce n’est pas spécifique au jouet. Ce n’est pas non plus une fatalité : une conjonction de circonstances nous oblige à changer, car le modèle historique du distributeur spécialiste ne permet plus d’assurer le développement durable du secteur. » En cause ? Aux différents ­changements imposés à l’ensemble de la distribution (essor d’internet, nouveaux comportements de consommation, concurrence accrue…), se sont ajoutées les contraintes spécifiques du secteur, comme sa forte saisonnalité, sa logistique complexe, mais aussi les particularités de son produit, hautement marketé et soumis aux effets de mode et de licences.

« Dominé par les produits de grands industriels dont le prix est facile à comparer en quelques clics, le jouet est très perméable à l’e-commerce », observe Frank Rosenthal, expert en marketing du commerce. Surtout « qu’il s’agit souvent d’un cadeau prescrit par l’enfant ou demandé dans la liste au Père Noël : rien de plus facile que de l’acheter en ligne », renchérit un fabricant. Mais les spécialistes n’entendent pas baisser les bras. Loin de là. « Je m’insurge quand j’entends dire qu’Amazon va tuer tous les spécialistes du jouet. Ce n’est pas le cas, en particulier pour JouéClub : notre coopérative se porte bien et nous tablons sur une hausse de notre chiffre d’affaires de plus de 3% en 2017 », tonne Alain Bourgeois-­Muller, PDG de ­JouéClub. Franck Mathais, porte-parole de l’enseigne, rappelle : « Jusque dans les années 2000, les hypermarchés étaient les premiers vendeurs de jouets en France. Grâce à leurs efforts de développement, les spécialistes ont rééquilibré le rapport de force. Désormais, un nouveau circuit est arrivé, s’emparant rapidement d’un quart des ventes. Mais ce ne sont pas les pure players qui gagnent, c’est la digitalisation : le consommateur sait qu’il peut acheter ailleurs qu’en magasin. »

La Grande Récré revoit son modèle

Après des difficultés financières il y a deux ans, le groupe Ludendo s’est réorganisé et a réorienté son modèle succursaliste vers la franchise (70 de ses 200 magasins). Le groupe mise aussi sur un meilleur maillage via des corners et des pop-up stores (Total, Club Med, Printemps…) et accélère en digital avec l’e-réservation.

« La vente de notre enseigne Hamleys en 2015 nous a permis de nous désendetter. Nous sommes en phase avec le plan de transformation que nous avions bâti : optimisation du réseau et des stocks, essor du digital
et de la franchise, un modèle qui permet une meilleure adaptation des magasins localement. »
Jean-Michel Grunberg, PDG de Ludendo
340 M€
de CA en France en 2016
200 magasins en France en 2017
Source : La Grande Récré (Ludendo)

Des chantiers stratégiques

Toutes les enseignes ont pris le virage du digital et de l’omnicanalité. À chacun sa martingale : le drive pour JouéClub, l’e-réservation pour La Grande Récré, les bornes chez King Jouet… Tandis que les catalogues se font cette année interactifs et que les communications des enseignes sont plus présentes sur les médias digitaux. Une bataille tactique à laquelle s’ajoutent des chantiers plus stratégiques.

En premier lieu, créer de la différenciation en termes d’identité d’enseigne, désormais travaillée comme des marques, et de l’offre. C’est l’option ­choisie dès sa création par Oxybul Éveil et Jeux avec ses produits exclusifs approuvés par ses « parents-pilotes ». « Si tous les distributeurs vendent le même robot, les prix sont forcément tirés vers le bas. Notre parti pris dans l’offre renforce notre image de dénicheur et de créateur », affirme Catherine De Bleeker, directrice de la marque.

Un axe également développé par les autres ­enseignes… mais pas encore suffisant. « En moyenne, les marques propres représentent 20% des ventes des spécialistes. Les 80% restants sont soumis au jeu concurrentiel », commente Franck Mathais. D’où le développement, au cours des dernières années, des produits de grandes marques exclusifs à tel ou tel distributeur. « Encore faut-il qu’ils soient assez “sexy”. S’il s’agit de fonds de tiroir, cela ne fonctionne pas », reconnaît un fabricant. « L’exclusivité ne doit pas non plus se résumer à un coloris différent. C’est une piste à creuser avec nos partenaires fournisseurs, car les spécialistes travaillent toute l’année sur leurs produits pour qu’ils deviennent des succès à Noël », rappelle Jean Charretteur. Le directeur général de Toys “R” Us France pointe cependant que « l’enjeu principal reste, offres exclusives ou non, de donner aux consommateurs des raisons de venir et de revenir en magasin ».

JouéClub fédère avec son drive

Seule coopérative du secteur, elle bénéficie de la pugnacité locale de ses commerçants indépendants, mais a aussi su les fédérer autour d’objectifs, comme la montée du digital, de ses marques et de son « drive », un service de click & collect, à + 50 % depuis début 2017.

« Non, Amazon ne va pas tuer le circuit des spécialistes du jouet ! Nous devons lutter avec nos armes, c’est-à-dire nos magasins, nos vendeurs, notre expertise et nos spécificités comme le “drive”. »
Alain Bourgeois-Muller, PDG de JouéClub
633 M€
de CA en France en 2016
298 magasins en France en 2017
Source : JouéClub

PICwIC mise sur l’expérience en magasin

L’enseigne nordiste a entamé dès 2014 un plan de transformation de son réseau en mettant l’accent sur l’expérience en magasin et la digitalisation (bornes…). Début 2016, le groupe s’est associé à King Jouet pour mutualiser leurs négociations commerciales en vue, notamment, d’obtenir davantage d’exclusivités auprès des fabricants.

« La distribution connaît une mutation, et le jouet n’y fait pas exception. C’est une opportunité pour travailler autrement : le modèle historique des spécialistes a vécu. Il faut redevenir des commerçants d’abord. »

Nathalie Peron-Lecorps, directrice générale de Picwic

CA 2016: NC
24 magasins
Source : Picwic

Oxybul cultive sa particularité… mais en groupe

L’enseigne d’ÏD Group, née en 1989 avec la création du vépéciste Éveil et Jeux, réalise la moitié de son chiffre d’affaires en ligne et a bâti son modèle sur une offre pointue et exclusive. Depuis deux ans, elle propose à ses clients en ligne de récupérer leur colis dans les autres magasins du groupe (Okaïdi...).

«Il faut trouver les solutions pour s’adapter aux comportements des consommateurs qui veulent le maximum de commodité. À l’inverse des autres enseignes qui ont dû rajouter le “click” au “mortar”, la vente à distance est dans notre culture.»
Catherine De Bleeker, directrice d’Oxybul Éveil et Jeux
CA 2016: NC
62 magasins Oxybul et ÏDKids
Source : ÏD Group

APPORTER UN SUPPLÉMENT D’ÂME

Pour Catherine De Bleeker, cette démarche passe par la compréhension des nouvelles attentes de commodité des clients, nécessitant des services et une efficacité opérationnelle. « Les consommateurs ne comprennent pas qu’ils ne puissent pas faire chez nous ce qu’ils peuvent faire chez un autre distributeur : leur standard n’est pas forcément Amazon, c’est le meilleur ! Mais ils veulent aussi du sens à leurs achats. » Un credo partagé par Jean-Michel Grunberg, PDG de Ludendo. « Il faut apporter un supplément d’âme : nous ne vendons pas seulement des jouets, mais un cadeau réussi et un moment agréable à partager avec un enfant », souligne-t-il.

Et si ce moment agréable peut se dérouler dans le magasin, c’est encore mieux ! Animations, démonstrations, théâtralisations… toutes les enseignes ont redoublé d’efforts pour animer leurs points de vente. « Mais attention, ce n’est pas “plus on en met, plus on vend” : il faut que le magasin reste lisible. Dans le cas du jouet, le produit se suffit à lui-même », avertit David Thoral, de Jouet E. Leclerc, qui a banni de son concept les meubles et PLV des fabricants. À condition, ajoute Nathalie Perron-Lecorps, d’éviter les « magasins musées : il faut sortir le plus de produits de leurs boîtes. Et tant pis si les enfants font le tour du magasin avec la draisienne de démons­tration. De distributeur, nous devons revenir au métier de commerçant avec un visage, un nom, une âme, en n’agissant pas tel un robot ».

De La Grande Récré, qui a fait évoluer son modèle succursaliste vers la franchise, à Toys “R” Us, qui milite pour une meilleure implantation de ses magasins dans la vie locale, les « jouettistes » ­remettent aujourd’hui l’accent sur leurs équipes de terrain. « Nos meilleures armes sont nos magasins, notre expertise et nos vendeurs », conclut Alain Bourgeois-Muller. Un véritable bataillon d’assistants du Père Noël que les avis d’internautes ou les classements des meilleures ventes du moment en ligne ne pourront pas – pour l’instant – égaler.

King Jouet parie sur le phygital

Après un trou d’air en 2010, entraînant l’arrivée de Toys Center (filiale de distribution de Giochi Preziosi) dans son capital, King Jouet a enchaîné trois exercices positifs. Le résultat d’un fort travail de repositionnement et d’omnicanalité : bornes en magasin, click & collect, e-réservation…

« Les ventes en digital pèsent 10 % de notre CA. La digitalisation doit apporter services et simplification aux consommateurs, mais aussi à nos équipes en magasin. Ce sont les vendeurs qui donnent une longueur d’avance aux spécialistes.»

Philippe Gueydon, PDG de King Jouet

275 M€

de CA hors taxe en France en 2016
140 magasins en France en 2017
Source : King Jouet

Jouet E. Leclerc revisite les bases du commerce

Dernier arrivé chez les spécialistes, E. Leclerc a lancé fin 2015 Jouet E. Leclerc et prévoit une vingtaine de magasins d’ici à un an, toujours dans le périmètre d’un hypermarché du groupement. Objectif : proposer une offre plus large hors saison de Noël et générer du trafic.

« Nous continuons à croire aux magasins physiques : l’essor du Net trouvera sa limite. Nous misons sur des magasins beaux, clairs, simples, toujours avec les prix bas qui font partie de l’ADN de Leclerc. »

David Thoral, adhérent de Paray-le-Monial (71)

CA 2016: NC

8 magasins en France en 2017

Source: Jouet E.Leclerc

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