Les éditeurs de solutions de sites e-commerce à couteaux tirés

La bombe du secteur de la création de sites e-commerce, le canadien Shopify, a lancé la version hexagonale de sa solution en mai. En France, Prestashop, Oxatis, Wizishop et consorts essayent tant bien que mal de résister à l’envahisseur.

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Les éditeurs de solutions de sites e-commerce à couteaux tirés
Tobias Lütke (à g.), le PDG Shopify, au côté du Premier ministre canadien Justin Trudeau.

Shopify déjà n° 4 mondial

Avec ses 13% de parts de marché, le groupe est devancé par le numéro un du secteur WooCommerce (18%), par Oracle Commerce (16%) et par Magento (Adobe) et ses 16% de parts de marché. Salesforce Commerce Cloud (10%)  et IBM WebSphere (7%) talonnent Shopify. Source : Aheadworks, chiffres 2017

 

En France, les patrons des éditeurs de solutions e-commerce dédiées aux petits marchands, comme Prestashop, Oxatis ou Wizishop, ont un point commun : leurs nuits sont hantées par la bombe canadienne du secteur, Shopify, dont la solution SaaS de création d’e-boutiques est qualifiée en coulisses « d’artillerie lourde ».

« Nous avons conquis plusieurs milliers de marchands dans l’Hexagone, principalement des PME et des ETI. En 2017, leur nombre a progressé de 300 % », note Brennan Loh, directeur international de l’entreprise. Et ce n’est que le début : Shopify, jusque-là proposé en anglais, dispose depuis mai d’une version française et, selon nos sources, ouvrira dans les prochains mois un bureau à Paris.

Pas étonnant que Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, aime être photographié aux côtés du PDG, Tobias Lütke : Shopify annonçait en 2017 un chiffre d’affaires de 673,3 millions de dollars américains (578,5 millions d’euros, + 73 % sur un an), dépendant pour une petite moitié des abonnements et pour le reste de la commercialisation de modules payants. Le volume d’affaires de ses clients, qui sont plus de 600 000 dans 175 pays, a crû de 71 %, à 26,3 milliards de dollars. La société, qui compte plus de 3 000 salariés, pèse 15 milliards de dollars en Bourse, capitalisation multipliée par plus de cinq depuis son introduction en 2015. Elle avait, avant cela, levé 253 millions de dollars. En 2017, avec 13 % de part du marché mondial, selon Aheadworks, Shopify se classait quatrième derrière WooCommerce (extension de Wordpress), Oracle et Magento (depuis racheté par Adobe).

Shopify attire grâce à une série d’atouts : il a opté pour un modèle SaaS à bas coût, démarrant à 29 \$ par mois. Si le code des solutions open source est disponible gratuitement, les e-marchands utilisateurs doivent aussi se procurer des modules – gratuits ou payants – correspondant à des fonctionnalités supplémentaires (pour utiliser la solution de paiement de HiPay, se brancher à la gestion de colis de Boxtal, etc.), qui sont proposés sur les marketplaces des éditeurs, comme Prestashop. Pour créer leur site, ils font donc souvent appel à une agence, effort que ne peuvent se permettre la plupart des TPE-PME et indépendants, qui choisissent donc le SaaS.

Le SaaS, solution ultime ?

« En France, environ 85 % des sites e-commerce sont basés sur de l’open source, comme aux États-Unis il y a cinq ans. Outre-Atlantique, ils ne sont plus que 40 %, les autres ont opté pour le SaaS. Il est fort probable que la France suive le même chemin », se projette Marc Schillaci, PDG d’Oxatis, une solution SaaS. La stratégie de Prestashop atteste de ce mouvement : « Nous avons lancé en juin une version SaaS de notre solution Prestashop Ready, qui débute à 20 € par mois », souligne son directeur général Alexandre Eruimy. Mais attention, l’open source pour les TPE-PME n’est pas mort. « Il reste adapté aux entreprises qui ont des besoins particuliers non couverts par le SaaS, car le développement d’une application spécifique ne vaut pas le coup pour l’éditeur qui en supporte la dépense. En revanche, le besoin sera traité par l’un des développeurs d’une communauté open source », explique Olivier Levy, PDG et fondateur de la solution de gestion de flux Shopping Feed.

Des besoins particuliers, les grandes entreprises en ont plus encore que les petites. La solution open source Magento, qui les cible, a donc de beaux jours devant elle, même si la qualité de Shopify le place presque au même niveau qu’un Magento finement paramétré et s’allie à une vraie simplicité d’utilisation. En France, selon nos informations, nombre de grands comptes (Nestlé, les groupes Clarins et L’Occitane…) testent actuellement la solution canadienne sur de petites marques pour voir si elle est assez flexible, avant éventuellement de l’étendre à l’ensemble de leurs sites. Mais si le SaaS est la solution ultime pour le gros du marché des TPE-PME, pourquoi les éditeurs français qui ont opté pour ce modèle, comme Oxatis, Wizishop et très récemment Prestashop en plus de sa solution open source historique, n’auraient pas leurs chances face à Shopify ? « Parce que le canadien a gagné les deux guerres qui ont agité le secteur ces cinq dernières années. Il a d’abord la meilleure expérience utilisateur du marché », répond Olivier Levy. Le délai de création d’une e-boutique dépend de la taille du catalogue mais, en moyenne, il faut un à sept jours sur Shopify contre douze jours sur Wizishop, dix à quinze jours sur Prestashop Ready et un mois sur Oxatis, selon chacune de ces entreprises.

La guerre des modules fait rage

« Shopify a aussi gagné la guerre des modules aux États-Unis », poursuit Olivier Levy. L’entreprise en met à disposition plus de 2 300 (dont une partie payantes), contre 385 pour Wizishop, 412 pour Oxatis et une trentaine pour la version SaaS de Prestashop qui devrait en proposer prochainement une centaine. Ces modules sont disponibles en natif, donc pas besoin pour les marchands de faire appel à un développeur pour les implémenter. Certes, les modules de Shopify concernent pour beaucoup le marché américain, alors qu’« il est important d’avoir des modules de partenaires locaux, notamment dans la logistique et le paiement. Oxatis développe depuis 2001 cette connaissance fine d’un marché européen très fragmenté, mais Shopify ne l’a pas », pose Marc Schillaci. Un argument de poids... Sauf que Shopify se dit décidé à investir pour combler rapidement ce retard en Europe.

Les patrons d’Oxatis, de Prestashop et de Wizishop lui opposent un autre argument : Shopify revient plus cher au marchand que leurs solutions aux modules compris dans l’abonnement. De quoi convaincre certains marchands, à moins que le canadien ne lance une guerre des prix pour laquelle il est mieux armé. De plus, Shopify n’a pas supporté le coût de développement de ses 2 300 modules. Il a créé une interface de programmation (API) qui permet à des partenaires de développer eux-mêmes des modules compatibles. Oxatis et Wizishop l’ont aussi fait, mais c’est un process long et coûteux. Loin d’avoir les épaules aussi larges que Shopify (ils ont respectivement enregistré en 2017 un chiffre d’affaires de 9,6 et de 1,9 millions d’euros, et n’amortissent leurs investissements que sur 9 000 et 5 600 clients, face aux 600 000 de Shopify), ils ont pris du retard.

La phase critique de la migration

Avec cette double force, Shopify pourrait bien rafler une bonne part des nouveaux sites e-commerce (23 000 de plus en France en 2017, selon la Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance). Mais aussi séduire les clients de ses concurrents, en particulier à l’occasion de leurs changements de version. À moins qu’un acteur ne débarque avec une proposition de valeur ultradisruptive, la robustesse technique du jeune géant du Nord lui évitera de réaliser avant longtemps une mise à jour du cœur de sa solution.

Or, d’une part, « c’est une phase extrêmement critique, car le développement d’un nouveau cœur de logiciel est long et coûteux. Magento a ainsi mis quatre ans de plus que prévu à sortir sa V2, souligne Christophe Davy, business partner de l’agence tricolore Brand Online Commerce, qui travaille beaucoup avec Shopify. De plus, « seules de rares agences partenaires se sont formées à cette V2, car cela nécessite six mois de formation », ajoute Olivier Levy. « Nous continuons à aider nos clients branchés sur Magento 1, mais nous ne travaillons pas avec la V2 », conclut Christophe Davy. Une perte sèche pour Magento qui dépend de ces agences pour engranger de nouveaux clients.

Mais, surtout, avant de décider de migrer d’une version à la suivante, opération presque aussi lourde que de changer de solution, les e-marchands regardent souvent les autres offres du marché. « Un tiers des grands comptes qui ont signé avec Shopify dans les mois qui ont suivi le lancement de la V2 de Magento, fin 2015, étaient des clients de Magento », pointe Marc Schillaci. Shopify pourrait donc séduire les entreprises françaises qui ne veulent pas rester chez leur prestataire actuel s’il change de version. Une situation qui pourrait porter préjudice à Oxatis. Poursuivant depuis 2012 une stratégie de consolidation européenne, il a acquis PowerBoutique et ses 1 500 clients en juillet. « Ils migreront d’ici à un an, lorsque nous aurons intégré à Oxatis les fonctionnalités manquantes par rapport à la solution PowerBoutique », souligne Marc Schillaci, qui espère que sa société atteindra la rentabilité d’ici à trois ans. « 80 % des clients de Xopie, que nous avons racheté en 2014, étaient encore là un an après leur migration vers Oxatis », se défend-il.

Les français entrent en résistance

Wizishop fait aussi acte de résistance. « Nous avons lancé une offre à bas coût avec un abonnement de 27 € par mois et douze mois d’engagement sans surcoût pour les modules », insiste son PDG, Grégory Beyrouti. Pour atteindre son objectif de 5 000 clients d’ici à fin 2018, l’entreprise adopte aussi les bonnes idées de Shopify, tel son programme de dropshipping ­Oberlo. « Notre extension Dropizi, lancée en mai, cible les particuliers dont l’e-commerce n’est pas l’activité principale », explique le dirigeant. Ils créent leur boutique puis importent des références d’AliExpress, la marketplace internationale du chinois Alibaba, dans leur e-shop. La commande et les informations de livraison sont automatiquement transmises au fournisseur et au logisticien d’AliExpress. Mais rien n’empêche Shopify de lancer Oberlo en Europe un jour ou l’autre...

Le canadien a tout de même des faiblesses. Il doit d’abord faire face à la concurrence directe des géants américains du secteur. Par ailleurs, en août 2017, sur 500 000 clients, seulement 2 500 avaient souscrit à son offre grands comptes Shopify Plus, facturée entre 2 000 et 40 000 \$ par mois. Ses autres clients, plus petits, ne lui versent que 30 à 300 \$ mensuels. Les actionnaires de Shopify exigent en outre qu’il maintienne une croissance élevée. Or, pour convaincre les grands groupes (pour la plupart déjà clients d’une autre solution) de souscrire à Shopify Plus et donc d’effectuer cette complexe migration vers sa solution, il faut du temps, souvent des années. L’entreprise doit en attendant attirer un grand nombre de petits clients, moins rentables. C’est l’objet de son programme partenaire, qui reverse aux e-marchands membres 20 % du montant des abonnements payés par les autres marchands qu’ils ont cooptés (hors grands comptes). Il propose aussi aux petits e-commerçants nord-américains des prêts et des avances en cash pour financer leur activité, en échange d’un pourcentage de leurs ventes. Deux façons originales de gonfler sa base clients, mais qui ne l’aideront pas à améliorer sa rentabilité. Or ses pertes s’élevaient à 34,7 millions de dollars en 2017, 37,2 millions en 2016 et 18,8 millions en 2015.

À part peut-être Oxatis, aussi soumis à la pression d’actionnaires boursiers, les français peuvent réfléchir à plus long terme. Mais plus le temps passe et plus la concurrence de Shopify se fait pressante. Pour continuer à croître, les frenchies vont donc devoir proposer des solutions d’un excellent niveau technique. Afin d’amortir les investissements nécessaires, ils ont eux aussi intérêt à partir rapidement à la chasse au client…

Shopify face à la pression d’Adobe

Le rachat en mai de Magento par Adobe pour 1,68 milliard de dollars est « un signe de l’attractivité du secteur », selon le directeur général de Prestashop, Alexandre Eruimy. L’opération met surtout des bâtons dans les roues de son principal compétiteur, Shopify. Car outre la concurrence des éditeurs locaux des pays qu’il attaque, le canadien fait surtout face à celle des géants américains comme Oracle, IBM, Salesforce et, donc, Adobe. En acquérant Magento, ce dernier entend faire du cross-selling et proposer à ses clients existants de bâtir leur site e-commerce avec une version refondue et intégrée à sa suite logicielle de la solution open source. Sauf que pour réussir cette intégration, « il faudra probablement qu’Adobe fasse basculer Magento en mode SaaS, suppose Marc Schillaci, le PDG d’Oxatis. Ce qui ne sera pas une mince affaire ». L’éditeur devrait alors redévelopper lui-même une bonne partie de ses innombrables modules, des frais jusque-là avancés par les développeurs tiers.

 

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