Les marques de jus de fruits se distinguent des mdd
Étude - S'inviter à l'apéritif, promettre santé et peau de bébé ou recettes originales. Les marques nationales sont prêtes à tout pour dynamiser le marché, monopolisé par les MDD.
Sylvie Leboulenger
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Sylvie Leboulenger
Deux poids, deux mesures. Le marché du jus de fruits poursuit sa scission entre le récent rayon frais et l'historique rayon ambiant. Ce dernier pèse toujours lourd, 972 millions d'euros, mais il s'enlise un peu. « C'est un marché basique et un marché de prix », analyse Denis Ligas, responsable boissons non alcoolisées chez Intermarché. Pour preuve, ces quelques chiffres : les marques de distributeurs trustent 53,6 % du marché en volume et 48,4 % en valeur, en cumul annuel mobile à fin avril 2008 (source Iri, d'après fabricants). Et le hard-discount s'arroge 33 % des volumes et 24 % de la valeur. Du coup, il reste de moins en moins d'espace aux marques nationales au rayon ambiant.
Envolée du prix des matières premières
Autre coup dur, conjoncturel celui-ci : la hausse des matières premières. Le prix du concentré de jus d'orange a triplé en l'espace de deux ans, celui des fruits rouges a bondi de 20 à 25 %. « Les MDD ont mis plus de temps à répercuter ces hausses », poursuit Denis Ligas. Résultat, toujours à fin avril, celles-ci ont progressé sur un an de 6,5 % en volume, quand le marché reste stable, à - 0,7 %. Qui a trinqué ? Des marques moyennement importantes en termes de part de marché comme Réa (2,7 % du marché en volume) et Granini (0,5 %). Les volumes de ces deux marques d'Eckes Granini France ont respectivement plongé de 25 % et 39 %.
Cidou (1 %) aussi a souffert, avec une chute des volumes de 40 %. La marque positionnée sur la brique carton de deux litres a, toutefois, une excuse : son rachat en mai 2007 par l'espagnol Pascual. Cette petite signature n'a vraiment été reprise en main qu'à partir de janvier 2008, suite à la nomination de Sylvain Jungfer (ex-patron d'Eckes Granini France) au poste de directeur général. « Cidou revient avec six produits dont un nectar et trois purs jus, assure Sylvain Jungfer. Le premier contient 75 % de fruits, ce qui est beaucoup pour un nectar et, surtout, nous ne lui avons pas ajouté de sucre. » L'ambition du nouveau patron ? Déshabituer le consommateur au goût sucré. Bien vu en pleine ascension de l'obésité. Pour ses purs jus, Cidou lance des recettes à deux fruits : clémentine-banane, orange-pomme. « Ce n'est pas la peine de lancer un énième jus d'orange, affirme le patron. Il faut nous distinguer des MDD. »
C'est là tout le dilemme des marques nationales : se différencier tout en valorisant le marché. La marque leader du rayon ambiant, Joker, compte sur les deux dernières recettes de sa déclinaison, Vital Bienfaits. La version orange-figue de Barbarie-passion contient des bétacyanines et des anthocyanes, alors que la recette orange-kiwi d'or-goyave renferme plutôt des composés ellagiques. Des mots bien savants pour parler des vertus antioxydantes - un terme plus familier au consommateur - de ces fruits originaux que sont le kiwi d'or et la figue de Barbarie.
La santé, un thème privilégié par les industriels. Et qui fait mouche. Prenons le cas d'Ocean Spray. Cette marque d'origine américaine a débarqué voici quelques années avec de drôles d'atouts. Un nom bizarre, un fruit inconnu, la cranberry, mais une promesse à laquelle une catégorie de femmes a été sensible : la cranberry prévient la cystite, cette infection urinaire qui ne touche que la gent féminine. En mai, elle lancera sa première campagne de publicité à la télévision. « Ça a très bien marché, se félicite Laurent Fel, directeur marketing de la marque. Nous avons explosé nos prévisions de vente. Nous devrions vendre 9 millions de litres à fin 2008, soit 80 % de plus qu'en 2007. » Et si le taux de pénétration d'Ocean Spray est encore faible (7,2 %), son taux de « réachat » (49 %) est encourageant.
De nouveaux moments de consommation
Autre voie de valorisation : élargir le champ des moments de consommation. En effet, le jus de fruit est essentiellement apprécié au petit déjeuner. En 2007, Tropicana s'invitait à l'apéritif avec la gamme Volupté, des jus de fruits avec une touche originale (melon-jasmin, par exemple). Fruité lui a vite emboîté le pas avec Fruits et Tendances et ses saveurs sortant des codes classiques : fraise, mandarine-yuzu (une sorte de pamplemousse japonais), pomme-violette ou melon. Des recettes conditionnées dans des briques Tetra Gemina, au col conçu pour ne pas éclabousser au moment de servir. Cette année, Pampryl (Orangina Schweppes) arrive également avec des produits voulus gourmands, regroupés sous la marque soeur Merveilles. Pomme-poire saveur caramel, abricot-pêche saveur vanille et fraise-framboise façon crumble.
C'est aussi avec la volonté de sortir du seul petit déjeuner que de nombreux industriels et distributeurs lancent des jus de légumes : le cocktail de légumes épicé Paquito chez Intermarché, la gamme Légumes et Tendances (tomate-basilic, tomate-carotte-poivron) chez Fruité. Cette marque décline ses recettes du format 1 litre au pack 4 x 20 cl.
Le frais très valorisé
Quant à la petite bouteille, elle permet d'individualiser son jus de fruit à l'heure où il devient de plus en plus sophistiqué. D'ailleurs, les résultats de Knorr Vie témoignent de l'envie de consommer en dose individuelle. Lancée il y a deux ans, cette marque croît de 29,2 % en volume, pour atteindre une part de 2,7 % en volume, mais de 7 % en valeur, au sein du vigoureux marché du jus de fruits réfrigéré. Car ce produit « très PNNS » est vendu à « bon prix » : 6,50 E le litre contre 2,61 E celui de Tropicana.
De fait, la valorisation marche à plein sur les étagères réfrigérées. « La notion de prix importe moins dès qu'un jus de fruit est au rayon frais, estime Denis Ligas. Car les propriétés naturelles du jus de fruit parlent alors plus au consommateur qu'au rayon ambiant. » Du coup, les marques nationales jouent au frais leur va-tout, les marques de distributeurs ne détenant que 15 % des volumes et 19,3 % de la valeur de ce marché pesant 277 millions d'euros. Et puis, le frais poursuit sa croissance, à + 5,2 % en volume et + 9,5 % en valeur. « Le jus de fruit réfrigéré a du potentiel, assure Denis Ligas. Son taux de pénétration n'excède guère les 30 %. »
D'où le lancement de Joker Vital Protect (Eckes Granini France). Une petite fiole de 100 ml, riche en antioxydants grâce à la présence de lingonberry. Une petite baie finlandaise, cousine de la cranberry, qui pousse dans un environnement froid et hostile. Ces conditions polaires lui ont permis de développer tout un système de protection. Du coup, cette petite baie ne contient pas moins de sept polyphénols antioxydants. Joker Vital Protect tentera donc de devenir ce qu'Actimel est au rayon laitier, la fiole à consommer quotidiennement. Pour se prémunir des traces du temps sur la peau, il faut en boire tous les jours. Toutefois, comme pour Knorr Vie, cette promesse a un prix : 2,49 E les trois fioles de 10 cl.
Gare au smoothie au rayon ambiant
À n'en pas douter, le rayon frais va gagner des mètres linéaires. Pile deux ans après les premiers référencements, les smoothies s'envolent littéralement et les professionnels ne parlent plus de marché de niche mais de minisegment. C'est dire. Pour preuve, l'arrivée cette année de Tropicana avec trois références en 75 cl. La marque de jus de fruits de PepsiCo appuie ce lancement d'une campagne télévisée très didactique.
De son côté, Andros monte en puissance : ses smoothies ont fait leur entrée chez Carrefour et dans la centrale d'achats EMC. Le précurseur des smoothies, Innocent, poursuit son ascension avec une diffusion nationale de 40 % et une part de marché de 48 %. Cette marque britannique continue aussi sa politique d'innovations avec de nouvelles recettes : orange-carotte-mangue en 1 litre ; fraise-mûre et ananas-banane-coco en 250 ml. Mais ce n'est pas tout. Le gros lancement 2008 est prévu pour le début de l'été avec l'arrivée de deux références pour enfants : pêche-passion et fraise-framboise. Deux recettes micromixées pour que la boisson soit lisse et des emballages adaptés aux tout-petits. Ces berlingots contiendront 180 ml et incluront une paille. « Nous songeons maintenant à communiquer, prévient Philippe Cantet, directeur général d'Innocent France. Mais nous n'avons que les moyens d'une PME. » En attendant, la marque profite toujours des bénéfices de son rôle de pionnière : elle détient 48 % de ce minisegment. Mais attention : inutile de lancer des smoothies au rayon ambiant sous peine de se casser les dents. Pampryl et Cidou s'y sont essayés. On ne les voit plus !