Les multinationales investissent la cybermusique
Le 12 octobre, à l'Assemblée nationale, Catherine Trautmann, ministre de la Culture, et Christian Pierret, secrétaire d'État à l'Industrie, rencontraient les professionnels du disque auxquels ils ont promis des « outils juridiques renouvelés » pour faire face à la menace du numérique. Leur bête noire : le MP3. Ce format informatique de compression sonore permet de faire circuler sur internet de la musique, en principe payante, mais plus souvent libre de droits ou piratée. Selon la Sacem, 99 % des fichiers MP3 circulant sur le réseau sont des pirates, et le chiffre est plausible.
Pour écouter de la musique en MP3, un ordinateur suffit. Mais le nec plus ultra est de posséder un baladeur compatible. Un marché embryonnaire : à peine 2 500 lecteurs vendus en 1998, peut-être 4 000 cette année Et pourtant, tous les grands de l'électronique présentent ou annoncent des baladeurs numériques. Car les ventes semblent prêtes à exploser et les fabricants rappellent : « MP3 est le deuxième terme le plus recherché sur internet, après sexe. » Mais pas question de flirter avec les interdits. Le walkman Memory Stick de Sony devrait ainsi contenir un dispositif empêchant de copier plus d'une fois les fichiers téléchargés. Comme l'explique Thierry David, chef de groupe audio de la marque, « Sony ne commercialisera jamais un appareil permettant de faire des choses illégales et ne souhaite pas aller contre les intérêts des éditeurs ». Surtout quand ils s'appellent Sony Music. Plus largement, fabricants et éditeurs ont mis en place une structure chargée d'édicter des normes de protection efficaces, le SDMI (Secure Digital Music Initiative).
Pour l'instant cependant, aucune mesure n'a été prise, le SDMI n'évoquant qu'une stratégie de passage progressif au format sécurisé (qui reste à définir). Trop long pour les fabricants, d'autant que certains concurrents qui n'ont pas leurs scrupules proposent déjà des baladeurs. Les grandes marques sortent donc des produits pour cette fin d'année, en promettant de les « sécuriser » dès que la norme estampillée SDMI sera disponible. Quant à la nature exacte de la protection, on parle d'un accès payant, ou codé, aux sites de téléchargement. On évoque un numéro de série assurant la traçabilité des fichiers téléchargés. En rappelant que l'édiction d'une norme n'empêchera personne de proposer des fichiers MP3 sur internet.
Les grandes marques rassurent les distributeurs
Soucieux d'apaiser le débat, Jean-Louis Séranne, chef de produits audio chez Thomson Multimédia, en appelle à la fin de l'hypocrisie. Et rappelle avec bon sens que « le MP3 n'est qu'un support de plus, qui vient s'ajouter au MiniDisc, au CD enregistrable ». Conclusion ironique de Laurent Escolle, directeur commercial de Diamond : « C'est amusant, les fabricants venant de la micro veulent garder un matériel multinorme, alors que Sony arrive avec un système protégé. » Réponse agacée de Thierry David pour la marque japonaise : « Que les marques comme Diamond en profitent tant qu'il n'y a pas de règles ! »
Seul point à faire l'unanimité : l'arrivée des grandes marques devrait rassurer la distribution, qui retrouve ses partenaires habituels. La mise en place des produits dans les magasins devrait dès lors évoluer. Car, pour l'instant, les baladeurs sont coincés entre les accessoires micro, modems et autres cartes 3D. Avec la multiplication des références et l'arrivée de marques plus grand public, la situation doit s'améliorer. « Nous négocions dans ce sens, assure Jean-Louis Séranne, pour Thomson. Que ces produits puissent accéder au rayon micro ne nous dérange pas. Mais nous voulons qu'ils soient au rayon audio, avec les autres baladeurs à cassettes ou à CD. C'est un produit grand public, pas un périphérique informatique. »
Quant au consommateur, il gagnera en choix ce qu'il perdra en liberté. Le secteur des baladeurs numériques va se segmenter, avec une entrée de gamme à moins de 1 000 F (152,4 e) et un haut de gamme à plus de 3 000 F (457,3 EUR). Le design, l'ergonomie, la capacité de stockage, les logiciels et les standards adoptés varieront en conséquence. Et si tous les fabricants affichent l'objectif d'élaborer un standard universel, les voies semblent divergentes. Mais une chose semble acquise : il va devenir de plus en plus compliqué de télécharger gratuitement de la musique sur internet.