Les produits premiers prix des hyper et supermarchés sont-ils comparables aux produits des enseignes de "hard discount" ?
Dans cette tribune, Amélie Poulain, avocat associé, et Caroline Bellone-Closset, avocat au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel, analyse l'affaire entre Familles Rurales et Lidl.
Selon une information de Capital, l’association de consommateurs Familles Rurales a assigné en justice le directeur des achats de Lidl, Monsieur Michel Biero, pour dénigrement à la suite des critiques émises par ce dernier sur son observatoire des prix 2018.
Association française de défense des consommateurs, Famille Rurales publie tous les ans depuis 2006 une étude mesurant les évolutions des prix de 35 produits incontournables de la vie des familles. En février 2019, analysant les résultats de son Observatoire, l’association avait conclu, dans un communiqué que, s’agissant des produits premiers prix, « contrairement à une idée reçue, les prix les plus bas se trouvent en hypermarchés et non en hard-discounts ».
Ce à quoi Michel Biero, Directeur des achats de la chaine Lidl en France, avait répondu dans Le Parisien, : « Voilà des années que nous ne sommes plus des hard discounters et que nous ne vendons plus de produits premiers prix, nous misons sur la qualité. Comparer une 2 CV à une Ferrari n’a aucun sens », avant de qualifier cette étude de « honteuse » sur France Inter.
Le hard-discount existe-t-il encore ?
Le hard discount, mode de distribution importé d’Allemagne, s’est fortement développé en France dans les années 90, sous l’impulsion des enseignes Lidl et Aldi. Il se caractérise par des magasins de surface moyenne offrant un taux de service limité, un merchandising simplifié (mise en rayon par palettes) et un assortiment produits réduit, marqué notamment par une absence de marques nationales.
Après une décennie de forte croissance, ce modèle s’est essoufflé, contraignant les enseignes de hard-discount à faire évoluer leur offre en mettant davantage l’accent sur la qualité. On parle d’ailleurs davantage de « soft discount » que de « hard discount », en particulier lorsqu’il est question de Lidl. Il faut dire que l’enseigne a particulièrement bien réussi son passage du hard au soft discount.
Evolution stratégique
Ainsi que l’illustre son slogan « Le vrai prix des bonnes choses », Lidl ne se présente plus aujourd’hui comme la garante des prix les plus bas mais davantage comme la garante du meilleur rapport qualité-prix. A grand renfort de campagnes publicitaires, la chaine de distribution rappelle aux consommateurs que, pour leur garantir des produits de qualité à moindre coût, elle entretient des liens privilégiés avec les agriculteurs français avec lesquels elle a été l’une des premières enseignes à conclure des contrats tripartites.
Pour autant, Lidl a conservé certaines caractéristiques des enseignes de hard-discount traditionnelles, notamment un assortiment produits restreint composé majoritairement de produits à marque de distributeur, là où les enseignes de distribution classiques proposent généralement trois gammes de produits : les produits de marque nationale, les produits de marque de distributeur (MDD) et les produits dits « premier prix », dont les prix bas s’expliquent généralement par une qualité moindre.
Familles Rurales avait-elle le droit de procéder à cette comparaison ?
Cette évolution pose donc la question de la pertinence, mais aussi de la légalité, de la comparaison effectuée par Familles Rurales. La règlementation applicable en matière de publicité comparative, que Lidl connaît très bien pour s’être livrée une bataille acharnée sur ce sujet avec Leclerc dans les années 2000, pourrait ne pas s’appliquer car l’observatoire des prix dressé par Familles Rurales n’est pas une publicité en tant que telle.
La jurisprudence dans ce domaine nous apporte des éléments éclairants sur le litige entre l’association et Michel Biero. La Cour de cassation, dans un arrêt du 31 octobre 2006 opposant justement Lidl et un magasin Leclerc, avait en effet souligné que la comparaison du prix de produits de marques de distributeurs ou de marques premiers prix qui ne sont pas, par définition, identiques d’une enseigne à l’autre, est extrêmement délicate. La Cour avait notamment rappelé « qu’un produit alimentaire d’un certain type peut couvrir des besoins très divers selon qu’il est de qualité simple ou au contraire remarquable » (1).
Ainsi, pour pouvoir affirmer que les produits proposés par les enseignes de « hard discount » seraient devenus plus chers que les produits premiers prix des hyper et supermarchés, Familles Rurales aurait dû s’assurer au préalable que les produits comparés étaient bien de qualité équivalente. Il n’est pas certain que cette précaution ait été prise, ce qui pourrait expliquer la véhémence de Michel Biero. Et conduire les juges en charge de ce dossier à remettre en cause l’objectivité des conclusions qu’avait pu tirer l’association (2).
Par Amélie Poulain, avocat associé, et Caroline Bellone-Closset, avocat au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel,
(1) Cass. com., 31 octobre 2006, n°05-10.541 ; dans le même sens, Cass. crim., 4 mars 2008, n°07-83.628
(2) Sous réserve toutefois que l’action de Familles Rurales soit jugée recevable, ce qui paraît très incertain au vu des informations communiquées par Capital.