Les sociétés de centres commerciaux affrontent les turbulences
Attachez vos ceintures ! Rarement les promoteurs et gestionnaires aux commandes des centres commerciaux ont dû faire front à autant de turbulences conjoncturelles et réglementaires. Trou d'air dans la consommation des ménages, tourbillons des débats autour de la réforme de la loi Raffarin, ouragan transatlantique des « subprimes » déferlant sur l'Europe en crise des crédits. Sans compter quelques nébulosités propres à brouiller le pilotage. Comme le flou des normes de développement durable, dont l'application aux ensembles commerciaux reste à définir ; ou le clair-obscur nimbant le mode d'indexation des loyers (lire p. 80).
Face à ces éléments contraires, les pilotes des grandes foncières ne paniquent pas. « À écouter ces discours alarmistes, on pourrait croire tous nos modèles remis en cause, remarque Laurent Morel, membre du directoire de Klépierre et gérant de Ségécé. Mais si je fais le bilan concret de notre premier quadrimestre 2008, je relève une croissance de 1,5 % pour nos galeries (hors hypers) par rapport à 2007, ce qui n'est pas si catastrophique. »
Tassement de la fréquentation
Il n'empêche, « les dépenses ne relevant pas de la première nécessité sont atteintes, relève Jean-Christophe Mouton, directeur des opérations chez Hammerson. Les ventes en habillement dans nos centres sont en recul de 6,3 %, au premier trimestre 2008 par rapport à 2007. » Et chez Ségécé-Klépierre, on concède une érosion des ventes en culture-loisirs.
La flambée du prix des carburants pourrait aussi mettre en hypotension des centres commerciaux dont le « système sanguin » est depuis toujours l'accès automobile. Les clients y regardent désormais à deux fois, avant de tourner la clé de contact ! Le Conseil national des centres commerciaux enregistre un tassement de fréquentation de l'ordre de 1 %. Heureusement, le panier moyen est en hausse dans nombre de centres, permettant le maintien de leur chiffre d'affaires...
Arbitrages dans le patrimoine
Apparemment sans trop de gravité en France, la crise des « subprimes » pourrait concerner « l'Espagne, où le profil de risque sur la résidence principale ressemble à celui des États-Unis », estime Alain Taravella, PDG d'Altaréa. Les banques ont pourtant perdu de leurs capacités de financement, et la tension s'installe. « Les enseignes se montrent plus prudentes, prennent un délai de réflexion plus long au vu du nombre de mètres carrés qui leur sont proposés, et diffèrent de un à deux mois leur décision d'implantation », constate Aymeric Plisson, responsable du pôle centres commerciaux chez Cushman et Wakefield.
Il faut dire que l'on sort d'une période euphorique : « 2007 fut une année record en France avec un flux d'investissements de 5 milliards d'euros en immobilier commercial, rappelle Bruno Ancelin, directeur du pôle investissements commerces chez Cushman et Wakefield. Or, entre janvier et avril 2008, le niveau des transactions se situerait aux alentours de 350 millions d'euros, ce qui pourrait augurer d'une année pleine à environ un milliard d'euros investis, en ligne avec la moyenne des investissements sur les dix dernières années. »
« Des investisseurs endettés pourraient faire des arbitrages dans leur patrimoine en cédant leurs équipements les plus risqués, afin de récupérer à temps leurs plus-values », prédit Christopher Wicker, PDG de Retail Consulting Group. Parmi ces produits en décote, figurent certains parcs d'activités commerciales surévalués.
Aménagement du territoire
Dans ce contexte, la réforme de la loi Raffarin est plutôt bien accueillie. « Je me réjouis de voir s'élaborer une loi donnant droit de cité aux règles d'urbanisme local, estime Laurent Morel. Voilà qui devrait encourager les municipalités à planifier leurs choix d'aménagement de territoire. » En tout cas, nos promoteurs appellent de leurs voeux une simplification des procédures ! «On devrait quand même pouvoir créer des mètres carrés commerciaux sans produire... un quintal et demi de dossiers administratifs pour un centre commercial », plaisante Alain Taravella. «La loi devrait rendre plus difficiles les recours, pour la plupart non recevables, qui allongent sans fin les délais d'instruction de nos projets », ajoute Jean-Christophe Mouton. Une loi « fluidifiante » en quelque sorte, comme l'énonce aussi Michel Dessolain, directeur exécutif des opérations d'Unibail-Rodamco : « J'espère qu'elle nous apportera la flexibilité qu'impose l'évolution de plus en plus rapide des modes de consommation, avec des concepts de magasins devenant de plus en plus rapidement obsolètes. »
Même la déferlante de petites surfaces que devrait générer le relèvement du seuil des autorisations de 300 à 1 000 m² n'effraie pas outre mesure. « Si les hard-discounters annoncés doivent se construire, ce sera d'abord dans les petites villes où le foncier n'est pas cher », se convainc un expert. Cependant, Jean-Michel Silberstein, délégué général du CNCC, tire la sonnette d'alarme : « S'installer en solo étant économiquement plus intéressant et rapide que s'insérer dans un ensemble architecturalement intégré, on est loin d'avoir mesuré toutes les conséquences sur l'aménagement du territoire, s'il n'y a pas de garde-fou». Une fois de plus, ce sont les « boîtes » des parcs d'activités qui pourraient, les premières, souffrir d'une démultiplication des petites surfaces.
Ce qui pourrait changer la face des centres commerciaux est leur conversion aux méthodes haute qualité environnementale (HQE). Mais faute de normes établies, chacun, dans ce « brouillard vert », trace son chemin et avance à son rythme. Peut-être Immobilière Frey a-t-elle pris une longueur d'avance en faisant de son estampille « Green Center » un signe extérieur d'écocitoyenneté (LSA n° 2037). Mais ses concurrents plus discrets ne sont pas en reste, chaque grand opérateur élaborant, dans un « projet pilote » - Aubervilliers pour Ségécé-Klépierre ; Kremlin-Bicêtre pour Altaréa, extension du centre Italie 2 pour Hammerson, etc. -, les critères qui pourraient constituer, demain, le cahier des charges d'un centre commercial HQE.
Certes, les coûts de conception difficiles à répercuter sur les loyers posent souci. Mais « plus ces normes seront intégrées en amont, moins elles pèseront, répond Jean-Christophe Mouton. De plus, la demande explosant va accroître la compétitivité. Ainsi l'équipement photovoltaïque qui était un quasi-monopole devient plus accessible ». Et « n'oublions pas que l'un des principaux buts du développement durable est la limitation des consommations d'énergie, un argument économique imparable ! », appuie Michel Dessolain.