Les touristes étrangers adorent le comm erce « frenchy »
Magali Picard
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Magali Picard
Dans le Nord, les collines de Honfleur sont devenues « Honfleur The Style Outlets », et dans le Sud, le moulin de Nailloux, le « Nailloux Fashion Village ». Ces deux centres de marques pas encore sortis de terre se sont (re)baptisés en anglais pour ne pas rebuter une clientèle à moitié internationale. Une énième preuve que les clients étrangers donnent le la. Et ce, malgré les turbulences des derniers mois dans le monde et la crise de 2008. Les transactions réalisées par des touristes étrangers en France ont de quoi faire pâlir d'envie n'importe quelle enseigne qui n'appartient pas au cercle restreint des grands magasins ou du luxe. Selon la dernière étude de Global Blue sur le sujet parue en mai, le chiffre d'affaires des magasins sur les articles ayant fait l'objet d'une détaxe, estimé au total à 2,2 milliards d'euros, a bondi de 35% en 2010.
Un excellent cru auquel les enseignes n'étaient pas forcément habituées. En 2008, la croissance n'atteignait « que » 6,7%. Claude Boulle, qui préside l'Union du commerce de centre-ville (UVC), situe à avril 2010 le boum du tourisme international. La désaffection de certaines zones touristiques fait la joie d'autres. « Il y a un aspect conjoncturel. Les événements des six derniers mois favorisent l'afflux de touristes. Les Chinois ne veulent plus aller au Japon, et beaucoup de gens annulent leurs départs dans les pays arabes. »
De fait, les chiffres du premier trimestre 2011 confirment cette tendance inflationniste. Sur les trois premiers mois de l'année, la détaxe en France a progressé de 28% en valeur et de 25% en volume. La palme revient aux Brésiliens, avec la plus forte croissance (+ 53%). Leurs achats dépassent pour la première fois ceux des Américains.
UN PANIER MOYEN DIX FOIS PLUS ÉLEVÉ QUE CELUI DES FRANÇAIS
En 2010, le panier moyen affiche une croissance de 6%, atteignant 930€. Sur les cinq dernières années, celui de la Chine connaît une croissance de 78%, tandis que celui des États-Unis augmente de 14%. Les Japonais et les Brésiliens, eux, se sont montrés moins dépensiers, avec des hausses respectives de 1% et de 2%.
Cinq pays, une même frénésie
Tout se passe comme si rien ne pouvait arrêter la frénésie de consommer de ces classes moyennes qui débarquent par cars entiers dans Paris. Car ce sont cinq nationalités qui concentrent à elles seuls presque la moitié des transactions (47% exactement), selon les chiffres publiés par le cabinet Global Blue.
En tête, les Chinois et les Brésiliens. Les premiers ne peuvent plus s'arrêter : leurs achats augmentent en volume de 60% entre 2009 et 2010. Les seconds réalisent aussi un bon score (+ 56%). Les Russes arrivent loin derrière (+ 34%), suivis des Américains (+ 17%). « Les Chinois sont le nouveau moteur de l'évolution, précise Éric Noyal, vice-président des ventes de Global Blue France. Avec les Brésiliens et les Russes, ils ont remplacé les Japonais des années 2000. »
LES CHINOIS ET LES RUSSES MÈNENT LE BAL
En 2010, 47% des transactions ont été réalisées par cinq pays : la Chine, le Brésil, le Japon, la Russie et les États-Unis. Le premier pôle de touristes présents en France est représenté par l'Asie, et le premier pays individuel est la Chine. Depuis dix ans, on assiste à un véritable inversement de tendance : Japon et États-Unis représentaient à eux deux plus de 45% des touristes étrangers en 2001, alors qu'en 2010, l'ensemble ne pèse plus que 15%.
Paris, capitale du shopping
La première explication tient évidemment à l'appétit inépuisable des classes moyennes de ces pays-là. Un réservoir qui n'est pas près de s'arrêter, d'autant que beaucoup de produits de mode, leur péché mignon, sont très coûteux dans leur pays d'origine. Ce sont généralement des produits importés soumis à des taux de douane importants.
Autre raison : l'attractivité de la France ne se dément pas. C'est même le lieu préféré des aficionados du shopping du monde entier, loin devant la Grande-Bretagne, l'Italie ou les États-Unis. « La destination France est toujours aussi intéressante et glamour pour les étrangers », explique Claude Boulle.
Paris représente la manne essentielle, avec 76% des achats. « Le shopping est une raison de plus en plus forte du tourisme », analyse Édouard Lefèbvre, délégué général du comité Champs-Élysées. Et de fait, la plus belle avenue du monde draine chaque année 90 à 100 millions de passages, dont un quart d'étrangers. Les grands magasins se frottent les mains.
LA FRANCE ATTIRE TOUJOURS AUTANT EN 2010...
Évolution des principaux indicateurs mesurant les achats des touristes en France, en valeur absolue, en%, en 2010 :
- +35% de chiffre d'affaires TTC réalisé par les boutiques sur les articles ayant fait l'objet d'une détaxe.
- +28% de transactions réalisées par des touristes étrangers en France.
- +6% de hausse du panier moyen ou le montant moyen dépensé dans un même magasin le même jour par des touristes étrangers.
Au vu de ces chiffres, la France devient de plus en plus une destination shopping pour les touristes du monde entier. La crise n'a pas ralenti le phénomène, ni même l'actualité internationale chargée, les chiffres sur le premier trimestre 2011 confirmant la tendance.
Source : Global Blue
Grandes adresses et magasins d'usines
Les Galeries Lafayette, boulevard Haussmann à Paris, doivent la moitié de leur chiffre d'affaires à la clientèle touristique. La croissance à deux chiffres (+ 24%) du navire amiral parisien en 2010 leur est en grande partie due. Pendant ce temps, les quelque 70 magasins de province devaient se contenter d'un maigre + 5%. Le Printemps affiche également une performance à deux chiffres.
Les grands magasins ne sont pas les seuls à profiter de cette clientèle en or, qui dépense dix fois plus qu'un Français ! Le panier moyen dépasse les 900€ (930€ exactement), contre 100€ en moyenne pour un client hexagonal. Depuis quelques années, les magasins d'usines se sont mis aussi à draguer les touristes. « C'est une vraie manne pour les opérateurs de centres, souligne Caroline Lamy, experte auprès de l'Observatoire Magdus, observatoire européen des centres de marques et des magasins d'usine. La quatrième génération de centres commerciaux des années 2010 fait tout pour attirer cette clientèle prisée, mais exigeante. »
La bagarre se joue autour des services, tous à cinq étoiles. « Personal shoppers », ces petites mains qui vous accompagnent dans votre périple shopping : voituriers, navettes, services de détaxe... rien n'est trop beau pour plaire au chaland. « Sur les Champs-Élysées, les salariés de Sephora parlent le mandarin, le pékinois, le cantonais, le shanghaïen, précise Édouard Lefèbvre. Et les enseignes des Champs ont été les premières à accepter la carte de paiement China Union Pay. »
... ET AU PREMIER TRIMESTRE 2011
Évolution des principaux indicateurs mesurant les achats des touristes en France, en valeur absolue, en %, en 2010
- +28% de chiffre d'affaires TTC réalisé par les boutiques sur les articles ayant fait l'objet d'une détaxe.
- +25% de transactions réalisées par des touristes étrangers en France.
- +2% de hausse du panier moyen.
Sur les trois premiers mois de l'année, la surprise vient des Brésiliens, avec la plus forte croissance de chiffre d'affaires (+ 53%). Pour la première fois, ils dépassent celui des Américains.
Source : Global Blue
La province accueille le tourisme urbain
Et la province ? Les étrangers affectionnent aussi la Côte d'Azur (7% des achats) et les Alpes (2%). Il est connu que les Russes vont dans les Alpes et ont une faiblesse pour Nice, alors que les Brésiliens et les Chinois privilégient la capitale. Et les Japonais vont faire leurs courses à Avignon !
LES JAPONAIS REVIENNENT
2010 a confirmé le retour des Japonais. Après une période de déclin entre 2005 et 2008, pendant laquelle les transactions nippones avaient chuté de plus de 40%, l'année 2010 est marquée par une augmentation de 9% du chiffre d'affaires. Le mouvement s'est en réalité inversé depuis 2009, avec une progression, cette année-là, de 17% des achats japonais. « La clientèle japonaise est très fluctuante, note Éric Noyal, vice-président des ventes de Global Blue France. Entre 2003 et 2010, elle est revenue au même niveau de transactions. Il y a une conjonction d'explications. Les nouvelles générations japonaises ont grandi avec la crise et n'ont plus le même rapport au luxe que les acheteuses des années 2000, ces « office ladies » qui dépensaient tout en luxe et en voyages. Il y a aussi un facteur de saturation. Chaque femme japonaise a en moyenne trois à quatre sacs de marques de luxe européenne ! » Le tsunami du 11 mars 2011 pourrait changer le cours des choses. « Depuis, nous notons une légère baisse de la reprise et, aujourd'hui, la tendance est difficilement mesurable à court et à moyen terme », reconnaît Éric Noyal. Les Japonais ont toujours du goût pour la mode, leurs produits préférés, avec plus de 90% des transactions. Montres et joaillerie ne représentent que 4% de leurs achats. Dans cette dernière catégorie, le panier moyen atteint des sommets (2 800€), contre 860€ pour le panier moyen général. M.P
« Certaines villes attirent beaucoup les étrangers, confirme Claude Boulle. C'est le cas de Nice, de Béziers, de Biarritz, de Bordeaux, de Cannes, d'Avignon ou encore d'Annecy. » Le magasin Galeries Lafayette de Nice Masséna va ouvrir 28 dimanches en 2011, soit presque le double qu'en 2010, pour ne pas rater un centime d'euro de chiffre d'affaires.
Une nouvelle forme de tourisme est en train de naître, le tourisme urbain. Le nouveau centre Pompidou de Metz n'a-t-il pas attiré 800 000 visiteurs en l'espace de quelques mois ? Claude Boulle pousse la réflexion un peu plus loin. « Les gens qui font ce déplacement-là sont dotés souvent d'un fort pouvoir d'achat et prêts à faire un parcours shopping. À nous d'exploiter ce potentiel. Le tourisme urbain peut être un nouveau relais de croissance pour les commerces de centres-villes. » À méditer. L'UCV a d'ores et déjà commandé une étude sur le sujet.
Méthodologie
Les chiffres présentés par l'étude de Global Blue sont fondés sur l'analyse de près d'1,4 million de transactions réalisées par Global Blue, opérateur leader, avec 65% de part de marché et validées par les services des douanes.