Loi «consommation» et négociation commerciale: quelles opportunités pour le fournisseur ?
Les dispositions de la loi «Consommation» relatives aux relations industrie-commerce sont indubitablement favorables aux fournisseurs, qui vont pouvoir, lors de la négociation commerciale 2015, actionner un certain nombre de mécanismes en réaction aux contrats que leur soumettent les enseignes. Voici l'analyse de Jean-Christophe Grall et Thomas Lamy, avocats associés chez Cabinet Grall & Associés.
Yves Puget
\ 09h08
Yves Puget
S’il serait à la fois abusif et juridiquement inexact de dire que la loi « Consommation » consacre un retour aux dispositions de la loi Galland du 1er juillet 1996, il ne serait en revanche pas faux de relever que ce texte imprime, en réaction à la loi « LME » du 4 août 2008, une correction des dispositions d’inspiration libérales qui, depuis cinq ans, prévalent dans les relations industrie-commerce : de fait, le nouveau texte opère, par le biais d’une modification des dispositions du Code de commerce relatives à la négociation commerciale, une sorte de mouvement de balancier favorable aux industriels, dont la « boîte à outils juridiques » va désormais s’alourdir de nouveaux instruments qui, pour peu qu’ils soient utilisés judicieusement, pourraient faciliter les conditions de leur négociation commerciale et, essentiellement, celles prévues pour 2015. Voici notre inventaire succinct de ces nouveaux instruments.
Les nouvelles sanctions administratives applicables à la formalisation des relations commerciales annuelles : un amplificateur.
Il est bien fini, le temps où les sanctions assortissant la conclusion du plan d’affaires annuel et celles garantissant le respect des délais de paiement des factures de vente ne faisait plus peur à personne : car, aux sanctions pénales ou civiles malaisées à mettre en œuvre, du fait tout à la fois des lourdeurs de procédures et de l’encombrement des greffes ou des parquets, succède un mécanisme efficace de sanctions administratives totalement réévaluées, et modifiées en profondeur dans le sens de l’efficacité : désormais, les agents régionaux de la DGCCRF pourront, à la suite du constat d’une infraction aux règles de formalisation de la convention écrite annuelle, qu’il s’agisse tout à la fois de ses éléments constitutifs ou de sa date de signature (dont on rappellera qu’elle doit intervenir chaque année avant le 1er mars), ou en cas de non respect des délais de paiement impératifs posés par l’article L.441-6 du Code de commerce, à l’issue d’une procédure contradictoire d’un délai de deux mois, prononcer une amende administrative pouvant atteindre 75.000 euros pour les personnes physiques et/ou 375.000 euros pour les personnes morales mises en cause, ceci préalablement à toute contestation devant le tribunal administratif territorialement compétent.
Ce mécanisme, fondé en quelque sorte sur le principe qui veut que l’on paie d’abord, et que l’on conteste ensuite, aura nécessairement pour conséquence de sensibiliser les acteurs de la négociation commerciale à la nécessité impérative de se conformer aux termes de la loi, a fortiori si l’on ajoute que le nouveau mécanisme sanctionnateur est applicable dès à présent et qu’il se complète d’un pouvoir d’injonction dévolu aux mêmes agents régionaux de la concurrence, dont le pouvoir de sanction administratif, manifesté par le prononcé d’amendes pouvant atteindre 3.000 euros pour les personnes physiques et 15.000 euros pour les personnes morales, devrait lui aussi fortement inciter les opérateurs à se soumettre à leurs obligations légales (article L.465-1 du Code de commerce).
Le burin, ou comment graver les tarifs du fournisseur dans le marbre de la convention écrite annuelle.
Les tarifs annuels du fournisseur sont désormais sanctuarisés dans le mécanisme de formalisation contractuelle revu par la loi « Consommation » : notons qu’il ne s’agit pas là d’une simple faculté, mais d’une réelle obligation puisque l’article L.441-7 du Code de commerce impose que soient rappelées, dans le texte de la convention écrite, les conditions générales de vente du fournisseur, en ce compris les tarifs tels que communiqués par le fournisseur préalablement à toute négociation. A défaut, les parties à la convention s’exposent aux sanctions administratives précitées, la non reproduction des tarifs annuels du fournisseur étant considérée comme un manquement aux obligations de contractualisation prévues par la loi.
Ainsi, à la question : les fournisseurs seront-ils en mesure de faire systématiquement passer leurs tarifs annuels n+1 lors de la formalisation de la convention écrite annuelle, la réponse est incontestablement positive, mais doit néanmoins être relativisée en considération du fait que, par application des dispositions nouvelles de l’article L.442-6-I, 11° du Code de commerce, il leur sera en revanche des plus difficile de substituer en cours d’année un tarif en hausse à celui convenu dans le cadre de la formalisation du plan d’affaires, à moins que cette hausse soit actée par le moyen d’un avenant : à défaut, les fournisseurs s’exposeraient à l’amende civile maximale de deux millions d’euros prévue en cas de violation du texte précité.
De ces évolutions légales, les fournisseurs devront donc tirer l’enseignement que si les hausses tarifaires annuelles sont facilitées, et même légalisées, en revanche, les modifications de tarifs en cours d’année seront, elles, rendues des plus complexes, l’objectif du législateur sur ce point étant de faire disparaître les litiges à répétition qui découlent, le plus souvent, de la notification par un fournisseur d’un nouveau tarif en cours d’année.
Bien entendu, rien n’interdit de prévoir contractuellement, en début d’année, un mécanisme de modification progressive du tarif par le biais d’une indexation, non plus que d’annexer à la convention annuelle un second tarif en prévoyant que sa prise d’effet soit, par exemple décalée au second semestre, pour autant donc que la hausse ainsi envisagée ait été stipulée dès l’origine.
Il en découle que la loi « Consommation » introduit, à l’endroit des tarifs, des modifications sensibles qui devront nécessairement conduire les fournisseurs à repenser sur le fond leur politique de prix.
Le rouleau d’adhésif, ou le rhabillage des réductions de prix.
La loi consommation signe la fin des tarifs particuliers par enseigne, dont la loi « LME » du 4 août 2008 avait, à défaut de les rendre totalement légitimes sur le plan juridique, en tout cas facilité la mise en œuvre : l’article L.441-7 du Code de commerce prévoit en effet que les réductions de prix consenties dans le cadre de la négociation commerciale devront être identifiées dans le plan d’affaires et, par voie de conséquence, reproduites avec leur intitulé précis sur les factures de vente de produits émises par le fournisseur, en application des dispositions pénalement sanctionnées de l’article L.441-3 du même code. Seules les autres obligations de nature à promouvoir la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur, c’est-à-dire ce qu’il était convenu d’appeler traditionnellement les services distincts pourront être rémunérées par le biais de l’octroi d’une remise ou d’une ristourne globalisée.
Il en résulte que si les distributeurs demeureront libres de requérir des fournisseurs une dérogation à leur tarif général, par le biais de l’octroi d’une condition particulière de vente, pour autant cette condition particulière de vente devra impérativement donner lieu à un exercice de qualification, ou d’habillage, pour reprendre le qualificatif en vogue à l’époque de la loi Galland, à cette différence prêt que ledit habillage devra recouvrir une réalité factuelle (engagement de volume, service, etc.), à peine d’être considéré comme la manifestation d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, lequel déséquilibre pourrait, désormais, être sanctionné sur le fondement des dispositions de l’article L.442-6-I-2° du Code de commerce, dans sa rédaction introduite par la loi « LME » du 4 août 2008.
Demeure, par ailleurs, prohibé le fait de requérir d’un fournisseur le versement d’une rémunération ne correspondant à aucun service rendu, ou manifestement disproportionné par rapport au coût du service rendu (article L.442-6-I-1°), de sorte que les distributeurs auront sans doute plus de difficulté que par le passé à requérir de leurs fournisseurs une baisse tarifaire qui serait totalement dénuée de contreparties car, et quand bien même le texte n’emploie-t-il pas ce mot tabou, c’est bien de contreparties dont il s’agit, ces fameuses contreparties dont on aurait pu croire que la loi « LME » avait scellé la perte, et qui s’invitent à nouveau à la négociation commerciale ...
La girouette, ou la clause de renégociation des produits agricoles.
Centre de toutes les attentions et, notamment, du ministre Benoît Hamon, la clause de renégociation des produits agricoles prévue à l’article L.441-8 du Code de commerce permettra aux parties à la convention annuelle, mais évidemment en priorité aux fournisseurs, d’alléguer la hausse du cours de certaines matières premières agricoles afin d’obtenir la renégociation de la convention, dans le cadre d’une démarche de bonne foi entreprise dans le respect du secret en matière industrielle et commerciale, nous dit le texte.
Le tablier de protection, ou la prohibition des clauses de garantie de marge.
Jusqu’à présent, les clauses de garantie de marge n’étaient appréhendées qu’au travers de la prohibition des ententes anticoncurrentielles, en ce que de telles clauses pouvaient avoir pour objet ou pour effet de conduire à un renchérissement du coût des produits du fournisseur.
Désormais, le fait pour un distributeur, de requérir d’un fournisseur l’octroi d’un avantage financier visant « à maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité » sera considéré comme un délit civil, exposant son auteur aux sanctions prévues à ce titre par l’article L.442-6 du Code de commerce, soit notamment une amende pouvant atteindre deux millions d’euros.
Le gong, ou la sévère sanction du non respect des délais de paiement.
Dans le cadre de la loi « Consommation », le fait de ne pas respecter les délais de paiement prévus, soit par le cadre général posé par l’article L.441-6 du Code de commerce, soit par les dispositions spécifiques de l’article L.443-1 du même code, exposera le contrevenant aux sanctions administratives évoquées ci-dessus.
Ainsi, de manière générale, le fait de régler ses factures après qu’aura retenti le coup de gong légal des 45 jours, fin de mois, ou 60 jours, date de facture – auquel il faut ajouter désormais les 45 jours, date de facture, du délai prévu en cas d’émission d’une facture récapitulative mensuelle – sera sévèrement sanctionnable.
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Les instruments de la négociation commerciale, tels qu’ainsi re-calibrés par la loi consommation peuvent évidemment paraître disparates : il n’empêche que leur existence et, a fortiori, leur utilisation pratique pourra indubitablement concourir à la sauvegarde des intérêts des PME, de sorte que, s’agissant tout au moins de son volet « négociations commerciales », le lien créé par la loi nouvelle avec la recherche du bien être des consommateurs paraît des plus ténu ...
Thomas Lamy, avocat associé chez Cabinet Grall & Associés.
Jean-Christophe Grall avocat associé chez Cabinet Grall & Associés.