Maisons du Monde en état d'urgence
L’épidémie de coronavirus a des conséquences directes sur l’enseigne de meubles, qui annonce un plan de réduction des coûts et une révision à la baisse de ses ouvertures de magasins. Cependant, son modèle reste solide.
- 48 magasins en Italie, fermés au moins jusqu’au 3 avril (ici, celui du centre commercial Arese, près de Milan). L’Italie est le deuxième plus gros pays pour l’enseigne en termes de chiffre d’affaires.
- 1,22 Mrd € : le CA,à + 10,3 % (+ 3,6 %à périmètre comparable)
- 19,2 % : la croissancedes ventesà l’étranger
- 20,1 % : la croissancedes ventes en ligne,+ 7,4 % pour les magasins (376 dans le monde)
- 14,4 % : la croissance des ventes de meubles, + 7 % pour la décoration
- 30 % : la croissance des ventes B to B
- 27 ouvertures nettes de magasins, dont 12 en France, 6 aux États-Unis, 4 en Espagne et 1 au Portugal
- 60% des approvisionnements viennent de Chine
- -4 à -6% Le ralentissement de la croissance du CA au T1
- +3,6% La hausse du CA en France en 2019, moins que la moyenne du secteur du meuble
Les choses s’accélèrent. À la fois présente en Italie avec 48 magasins et très sino-dépendante, puisque 60 % de ses marchandises viennent de Chine, Maisons du Monde se retrouve en première ligne face à la pandémie de coronavirus. Un comité ad hoc, composé des dirigeants de l’entreprise, a donc été nommé pour suivre la situation semaine par semaine. Car en Italie, deuxième pays contributeur au chiffre d’affaires après la France, le réseau a dû baisser le rideau jusqu’au 3 avril, après la décision le 11 mars du gouvernement italien de ne garder ouverts que les magasins d’alimentation et de santé. Et, en amont, la chaîne d’approvisionnement doit faire face au ralentissement des usines en Chine et à une grève perlée dans l’entrepôt de l’enseigne situé à Marseille. « Nos usines sont restées fermées pendant cinq semaines. Même si elles recommencent à tourner, nous avons l’équivalent de deux mois de retard », précise Julie Walbaum, directrice générale de Maisons du Monde, qui reconnaît des ruptures sur certains produits. La croissance de l’activité pourrait ralentir de 4 à 6 % au premier trimestre, qui devrait rester stable, et un « repli » est annoncé pour le deuxième.
Préserver la rentabilité
Plus impressionnant, l’enseigne, dont le modèle a si souvent été pris en exemple par les professionnels du secteur, se met au régime. Devant le manque de visibilité et la difficulté à mesurer les conséquences sur la consommation et l’approvisionnement, Julie Walbaum a décidé d’entamer un plan de réduction des coûts. Gel des recrutements, des dépenses marketing, et même révision à la baisse du rythme d’ouvertures de magasins. 15 à 20 par an, dont 80 % à l’étranger (Italie, Allemagne et Espagne pour l’Europe) avaient été annoncées lors du plan 2024 dévoilé en juin dernier par la patronne, arrivée il y a bientôt deux ans. « La priorité est de préserver la rentabilité, explique Julie Walbaum. Chaque ligne du compte de résultat sera regardée de manière drastique et chaque ouverture étudiée. » Un plan d’urgence donc, mais sans le chiffrer précisément pour autant. « On a l’impression que le groupe navigue à vue et que les décisions sont prises dans la panique, remarque Clément Genelot, analyste spécialisé dans le retail chez Bryan, Garnier & Co. Or, dans le commerce, les ventes perdues se rattrapent difficilement, d’autant qu’en comparable, le chiffre d’affaires des magasins en France ne progresse plus. » La croissance annoncée de 3,9 % en France pour 2019 comprend également les ventes en ligne, qui, au global, affichent une forte progression (+ 20,1 %) et compenseraient le recul en magasins. Un élément qui inquiète les investisseurs.
Le modèle équilibré entre magasins (75 % du chiffre d’affaires) et web (25 %), entre France (55 % du CA) et international (45 %), sur lequel Maisons du Monde a bâti sa croissance, serait-il en train de s’effriter ? Il affronte en tout cas plusieurs crises, l’une conjoncturelle, l’autre de gouvernance. Le fonds d’investissement suisse Teleios, qui détient 13,3 % des titres, a exprimé dans une lettre adressée en mars à la direction ses inquiétudes en termes de communication financière et de performance opérationnelle. Deux nouveaux administrateurs, Peter Child, trente-cinq ans passés chez McKinsey, et Michel-Alain Proch, directeur financier d’Ingenico, ont été nommés au conseil d’administration le 10 mars. Des profils destinés à rassurer les investisseurs, qui redoutent un rachat de Maisons du Monde, l’absence d’actionnaire de référence rendant plus vulnérable l’entreprise. Enfin, signe des turbulences que traverse le groupe nantais, le montant de l’action a été divisé par deux depuis l’introduction en Bourse en 2016. Il atteint aujourd’hui à peine 9 euros.
Dépendant à 90 % de l’Asie
Pourtant, les fondamentaux de Maisons du Monde restent solides. Les chiffres publiés pour 2019 en attestent. L’international reste moteur, avec une croissance de 19,3 %, et la rentabilité est préservée avec une marge d’Ebitda proche de 13 %. Cette part de l’étranger devait encore croître, 40 à 45 ouvertures de magasins étant annoncées en Europe du Sud et 30 à 35 en Europe du Nord d’ici à 2024. Encore faut-il trouver la rentabilité aux États-Unis, où Maisons du monde a pris pied en rachetant une enseigne de meubles en Floride, Modani. « L’an dernier, nous avions ouvert six magasins Modani et deux Maisons du Monde aux États-Unis. Maintenant, il s’agit de préserver la rentabilité et la question de la fermeture peut se poser à la fin des baux, qui sont précaires dans ce pays », tempère Julie Walbaum.
L’autre objectif est de maintenir l’équilibre entre le réseau physique et les ventes en ligne. Ce modèle digital met-il à l’abri l’enseigne des accidents conjoncturels ? « Cela porte ses fruits, mais ne va pas résoudre tous les problèmes, soupire Julie Walbaum. Le web dépend aussi d’un stock central, essentiel surtout pour les ventes de meubles. » Les leçons de l’après coronavirus peuvent déjà se poser. Un groupe comme Maisons du Monde dépend à 90 % de l’Asie, se répartissant entre 60 % pour la Chine et 30 % pour l’Inde et le Vietnam, où il exploite ses propres usines. « C’est un sujet ouvert depuis plusieurs mois, à la fois pour des questions de gestion du risque et pour des raisons environnementales, concède Julie Walbaum. Mais ce n’est pas simple. Cela soulève des questions de coût et de matières premières, le manguier, le teck ou le sheesham, que nous ne trouvons qu’en Asie. » Comme prévu avant la pandémie, Maisons du Monde ouvrira cet été une place de marché dont l’objectif est de générer 30 millions d’euros de chiffre d’affaires. Une manière de diversifier les risques.