Même sans patron, Ikea France casse la baraque
Le départ inexpliqué de son PDG en France n’est pas lié aux résultats, bien meilleurs qu’auparavant. Écrite par l’ancienne direction, la feuille de route reste d’actualité : baisse des prix, ouvertures et web à fond.
Circulez, y a rien à voir. C’est le sentiment qui domine lors de la présentation des résultats d’Ikea le 1er décembre. Moins d’un mois après le départ surprise de son PDG, Olivier Baraille, le 4 novembre exactement, rien ne filtre. « C’est une décision personnelle et nous respectons son choix », se bornent à commenter en chœur Paul de Jong, son remplaçant « par intérim », venu d’Allemagne où il a dirigé plusieurs magasins, et Annie Guttin, directrice commerciale. Ce départ a pourtant jeté le trouble chez Ikea. D’abord parce qu’il intervient seulement un an et demi après la nomination d’Olivier Baraille. Ensuite parce que celui-ci a fait toute sa carrière dans le groupe, où il sera resté près de trente ans. Enfin parce que, de source interne, il avait rétabli le dialogue social, mis à mal par les affaires d’écoute des salariés. « Il était très apprécié », souligne un cadre. Tout juste apprend-on que Paul de Jong avait pris ses fonctions de directeur général adjoint en avril dernier. Histoire de préparer la succession ? « Pas du tout, répond ce natif des Pays-Bas, marié à une Allemande, et en phase d’apprentissage express du français. Nous cherchons activement un PDG pour la France. » Sera-t-il candidat ? No comment.
La stratégie ne change pas
Toujours est-il que le départ d’Olivier Baraille n’a rien à voir avec les résultats. Car ils dépassent largement les performances d’un marché de nouveau en croissance. Après six ans de crise quasi ininterrompue, le secteur de l’ameublement connaît un regain de vitalité. En 2015, les ventes de canapés, tables et autres meubles ont progressé de 2,4%. Une reprise qui s’est confirmée sur les six premiers mois de l’année, avec un bond de 4,8%. Sur son exercice à cheval sur 2015 et 2016, clos le 31 août de cette année, Ikea affiche un chiffre d’affaires en hausse de 9,2%, ramené à + 5% à périmètre comparable. L’enseigne suédoise a en effet ouvert deux magasins géants en août 2015, à Bayonne et à Mulhouse. Mais cela n’est pas la seule explication. « Sur les huit premiers mois de 2016, nous avons surperformé le marché de 6% », complète Paul de Jong. Les Français ont donc retrouvé le chemin d’Ikea. Deux ans durant, entre 2012 et 2014, la trentaine de magasins français avait souffert d’une moins grande fréquentation. Cette année, plus de 52,5 millions de visiteurs ont arpenté les allées du numéro un du meuble en France, soit 5,2% de plus que l’an dernier. Ils ont plébiscité les cuisines, un des rayons les plus porteurs, mais aussi la vaisselle et le textile. Ils ont aussi mangé : l’offre alimentaire, qui dépasse la barre des 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, a vu ses ventes augmenter de 8,3%. « Nous avons rénové une quinzaine de restaurants, ce qui nous a coûté 3 millions d’euros, précise Annie Guttin. Et nous allons continuer l’an prochain. »
C’est le mot d’ordre : malgré le départ brutal du premier membre de l’exécutif, la stratégie ne change pas. Ikea reste le champion du « design démocratique », faisant en sorte de toujours baisser davantage ses coûts de production pour tenir une équation prix-design inégalée. Petite nouveauté : les clients revenus, en partie grâce aux promotions, Ikea baisse ses prix sur 350 références, dont des best-sellers comme la cuisine Metod Ringhult (brillante) ou le lampadaire PS. Des baisses significatives, de 15 à 20%, qui devraient être compensées par une augmentation des volumes.
Ikea recueille aussi les fruits d’une politique de services plus étoffée. « L’enseigne a beaucoup travaillé sur la personnalisation, souligne Christophe Gazel, directeur général de l’Ipea (Institut de prospective et d’études de l’ameublement). Ikea devient un agenceur d’espaces, et pas seulement un vendeur de meubles. » Le calendrier des ouvertures reste inchangé, avec Nice et Lyon, à Vénissieux, en prévision en 2018. Paris reste au programme, mais encore faut-il trouver la bonne surface et le bon assortiment. C’est peut-être le nouveau PDG qui l’annoncera.
Les raisons de cette embellie
- Ikea bénéficie du retour en grâce du secteur du meuble. Après six ans de crise ininterrompue, celui-ci signe sa deuxième année consécutive de hausse en valeur, et devrait terminer l’exercice autour de + 2%.
- L’enseigne suédoise a ouvert deux magasins coup sur coup à l’été 2015, à Bayonne et à Mulhouse, ce qui joue à plein sur le dernier exercice.
- Au-delà de ces effets mécaniques et d’une conjoncture favorable, Ikea dépasse ses concurrents, notamment sur les cuisines et la literie. Et engrange une remarquable performance sur le web (+ 31% en 2015-2016).
En chiffres
- 2,63 milliards d’euros: le CA en France,au 31 août 2016
- 18,3%: la part de marché sur le meuble
- + 8,5%: de visites sur le site
- 4,12%: le CA sur le web
- 49 M€: investis en 2015-2016 en France
- 100 M€: le CA alimentaire (+ 8,3%)
Source : Ikea
Ikea plébiscité sur le web
« L’étude menée par l’Ipea (Institut de prospective et d’études de l’ameublement) est édifiante. Jugez plutôt : à la question « Quel site internet vous vient à l’esprit pour un canapé ? », 22,8% des 1 000 consommateurs sondés répondent Ikea, loin devant tous les autres. Autant dire que les 104 millions d’euros réalisés sur le Net sont loin de refléter la puissance potentielle d’un Ikea marchand. Avec 7 500 références, le site offre des taux de croissance inégalables, à un coût de revient moindre. D’ici à 2020, Ikea compte atteindre la barre de 10% de ses ventes sur le web. Trop modeste ? »
UN BOND EN AVANT
« Nous voulons casser la spirale des promotions en baissant les prix sur 350 produits. C’est une stratégie à long terme. »
Annie Guttin, directrice commerciale d’Ikea France