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Distributeur alimentaire : Michel Biero, l'homme qui murmure à l'oreille des agriculteurs
Le directeur exécutif des achats et du marketing incarne à lui seul Lidl. Passionné, engagé mais aussi malin, il a su associer l’enseigne au monde agricole, en nouant des accords de filière, tout en doublant la part de marché en France du groupe allemand.
En dates
- 1973 : naissance à Obernai (67)
- 1997 : il part à Bora-Bora (Polynésie) comme chef de réception dans un resort
- 2001 : après un détour en Argentine, retour en France. Il entre chez Lidl comme responsable de secteur
- 2004 : il intègre l’équipe achats, en fruits et légumes, avant les cosmétiques, le petfood, les viennoiseries…
- 2011 : il devient directeur exécutif achats et marketing de Lidl France
- Septembre 2022 : il part à Barcelone, en Espagne, pour une parenthèse d’un an et se former à la vente.
La grande distribution fait partie des derniers secteurs où l’ascenseur social fonctionne encore. Michel Biero en est l’exemple. C’est par la petite porte qu’il est entré chez Lidl en 2001, un peu par hasard. L’actuel patron des achats et du marketing de Lidl France peut remercier… sa mère. C’est elle qui voit dans les Dernières Nouvelles d’Alsace, une offre d’emploi chez Lidl, et qui lui conseille de se présenter. Le discounter allemand, présent depuis 1989 en France, cherche alors un « responsable de secteur » pour la région. « J’ai adoré l’expérience, se souvient-il. C’est comme diriger une petite entreprise, cinq magasins, une cinquantaine de salariés… »
Trois ans plus tard, un coup de fil : « Vous parlez allemand, vous ? » Direction Strasbourg et le service achats. Sept ans après, en 2011, le voici propulsé à la tête des achats et du marketing pour toute la France. Toujours très attaché à sa région natale – il est né à Obernai (67) –, Michel Biero l’a pourtant quittée pendant une dizaine d’années.
Avant Lidl, il a « roulé sa bosse ». Avec un DUT en poche, spécialité techniques de commercialisation passé à Colmar (68), il va au Lavandou (83). Sa cousine y travaille et cherche un voiturier bagagiste. Michel Biero, 20 ans, fonce. « Je recevais des pourboires de 500 F par jour [l’équivalent actuel de 110 €, NDLR]. Je rêvais devant les stars et les belles bagnoles. » Après trois saisons, il se lasse et part faire deux hivers à Méribel (73), avant de rejoindre le chef Bernard Loiseau dans son restaurant de Saulieu (21). À 25 ans, l’Alsacien s’envole à Bora-Bora, en Polynésie, travailler dans la chaîne de resorts Orient Express. Sur place, il tombe amoureux d’une Argentine et les voilà à Buenos Aires, où tous deux reprennent un restaurant.
Bon communicant
Mais, en 2001, le pays est proche de la guerre civile ; il rentre en France et chez Lidl, qui sera l’aventure de sa vie. « Lidl, c’est ma passion », peut-on lire sur son profil LinkedIn. Car, en une dizaine d’années, l’homme a transformé l’entreprise, aux côtés de l’Allemand Frédéric Fuchs, président de Lidl depuis 2012 et dans la maison depuis 1996. Il y a dix ans, celui-ci demande à Michel Biero de représenter Lidl à l’extérieur. « Tu parles mieux français que moi ! », lui dit-il. Jovial, volontiers bavard, l’ancien restaurateur se prête au jeu et, des années plus tard, devient le visage de Lidl. C’est lui qui explique le virage pris à la même époque par le discounter vers le soft-discount : plus de références (2 000 dans l’alimentaire), beaucoup de produits frais, des magasins un peu plus grands et des marques propres (90 % du CA), dont 70 % sont fabriquées en France. En dix ans, l’enseigne double sa part de marché en France, son deuxième pays après l’Allemagne, de 4 à 8 %, tout en réduisant son parc de magasins (1 591 contre 1 648 en 2012). Elle apparaît aussi en télé pour la première fois en 2014.
Bon communicant, Michel Biero incarne désormais Lidl. Décrit par ses collaborateurs comme « entier, sincère, bon vivant », ce petit-fils d’agriculteurs, dont le beau-père est aussi céréalier dans le Gers, se révèle dans son rôle de défenseur de l’agriculture. « En 2014, nous avions pour 4 millions d’euros de dégâts dans nos magasins dus aux agriculteurs (mécontents de la stagnation des prix à la production, NDLR). Je me suis dit que cela ne pouvait pas continuer et nous sommes allés au Salon de l’agriculture. » C’était en 2015 et Jean-Luc Pruvot, producteur de lait dans l’Aisne, raconte : « Il a débarqué avec un garde du corps. Il craignait que son stand ne soit démonté. Je suis allé le voir, on a parlé pendant une heure. » Son directeur de la com’ de l’époque, Nicolas Calo, évoque la station de métro Porte de Versailles habillée aux couleurs de Lidl et des milliers de sacs distribués au Salon. Opération séduction alors ? Pas seulement, l’engagement se traduit dans les faits, ce qui le rend crédible auprès des agriculteurs. « Depuis 2015, les magasins n’ont plus eu de dégâts », jure Michel Biero. Aujourd’hui, Lidl achète 5 millions de litres de lait par an à FaireFrance, la marque équitable que Jean-Luc Pruvot a créée. « Michel met en application ce qu’il dit. Il n’a pas peur d’aller sur le terrain », conclut-il.
Même Christiane Lambert, présidente du premier syndicat agricole français, et habituellement peu tendre avec les distributeurs, fait son éloge : « L’homme est chaleureux et sincère. Il s’investit dans ce qu’il fait et met beaucoup d’énergie au service de la cause. Il est aussi malin : arrivé à un moment où les consommateurs demandaient plus de partage de la valeur, il a su en profiter. » Malin aussi pour se mettre dans la poche les ministres de l’Agriculture successifs, et même le Président, Emmanuel Macron, qui a encore salué en septembre les efforts de Lidl pour revaloriser le prix du lait. Aujourd’hui, l’enseigne a signé une douzaine d’accords tripartites avec 5 000 producteurs, dans le lait, le porc et le bœuf. C’est beaucoup et c’est peu à l’aune de tout un secteur. Le patron des achats de Lidl, lui, ne raterait pour rien au monde un Salon de l’agriculture. En 2023, même s’il est officiellement en Espagne pour un an, il a prévu d’y rester neuf jours et neuf nuits.
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