Nicolas Sarkozy mobilise pour l'agriculture
SYLVAIN AUBRIL
\ 00h00
SYLVAIN AUBRIL
Sept présidents d'enseigne, autant de syndicalistes agricoles, des présidents de fédération, des industriels, des grossistes, des coopératives, deux ministres - celui de l'Agriculture, Bruno Le Maire, et celui du Commerce, Hervé Novelli -, cinq parlementaires. Le plateau réuni par le président de la République à la veille de la présentation de la loi de modernisation agricole devant le Sénat était là pour démontrer combien l'Élysée s'implique dans le dossier agricole. À l'issue de la réunion, Nicolas Sarkozy a prononcé un discours devant la presse : « La France ne sacrifiera pas ses agriculteurs et son industrie agroalimentaire sur l'autel du libéralisme, de la volatilité dérégulée du prix des engrais, des semences et des produits agricoles. On a vu ce que la dérégulation du secteur financier a produit, une catastrophe. Je ne laisserai pas faire la même chose avec les produits agricoles. » Le Président veut intervenir aux niveaux international et européen. Et parle pour la première fois de « renforcer la compétitivité des filières agricoles, et construire une nouvelle relation avec les agriculteurs et leurs clients, par la contractualisation ». Compétitivité, le mot est lâché. Il ne parlera pas de prix agricoles trop élevés en France, mais pointera « l'accroissement de nos importations de lait de consommation, d'emmental, de viandes de volaille et de porc, à cause de la perte de compétitivité de notre agriculture ». Aux agriculteurs de s'organiser pour y remédier.
Le distributeur client du producteur
Le président de la République défend une autre idée forte : celle de la contractualisation entre les producteurs et les distributeurs. « Il faut comprendre que le distributeur, c'est le client des producteurs. » Et exige des contrats types, des accords interprofessionnels. Même si, a priori, le contrat prévu dans la LMA ne concerne que le producteur et le premier acheteur, qui est rarement un distributeur. Nicolas Sarkozy veut enfin renforcer l'Observatoire des coûts et des marges pour « analyser la répartition de la valeur ajoutée dans la filière ». Il défend aussi la LME - « les éléments de la négociabilité ne seront pas remis en cause », car bénéfiques pour le consommateur. Le Président entend par ailleurs favoriser les produits agricoles français, en imposant une indication d'origine obligatoire. Les industriels et les transformateurs sont concernés : pour bénéficier de l'origine France, 50 % des ingrédients devront être d'origine française. Pas sûr que ces derniers apprécient.
L'accord... ou la taxe
Pour les distributeurs, la demande de Nicolas Sarkozy s'est focalisée sur les fruits et légumes. Il ne veut plus que des marges augmentent alors que les prix à la production s'effondrent et que les produits sont vendus en dessous du prix de revient. Les présidents d'Auchan, Cora, Casino, Carrefour, Leclerc, Système U, alignés à une table sur une estrade, ont tous signé un engagement écrit dans ce sens. Il faut dire qu'ils étaient menacés d'une nouvelle taxe. En outre, les crises agricoles ne les arrangent pas non plus. « Je ne suis pas convaincu par cette proposition, parce que nous faisons peu de marges, ce sont surtout les enseignes chères qui vont être pénalisées, indiquait Michel-Édouard Leclerc. Mais puisque le président de la République et les syndicats agricoles le demandent... » « Je me réjouis de l'accord signé, ajoutait Arnaud Mulliez. Il correspond à des pratiques que nous avons mises en place, comme l'écoulement des nectarines l'an dernier, avec des marges en baisse de 19 % et des ventes en hausse de 29 %. » Jérôme Bédier était satisfait d'avoir imposé son idée d'obliger les industriels à mentionner l'origine des produits qu'ils fabriquent, et Serge Papin espérait que d'autres réunions de la sorte aient lieu pour réfléchir à l'offre et la demande. Côté syndicalistes, François Lucas, président de la Coordination rurale, et Philippe Collin, président de la Confédération paysanne, réussissaient à prendre de vitesse, au micro dans la cour de l'Élysée, le président de la FNSEA, Jean-Michel Lemétayer. Les trois étaient satisfaits de l'implication du président de la République, mais entendaient bien juger sur pièces de l'efficacité des mesures annoncées. Avec un peu de chance, la LMA sera votée dans la douceur.
La distribution ferait moins de bénéfices que l'industrie
Avant d'être reçu par le président de la République - avec les patrons de la distribution, les présidents de l'Ania, de la FNSEA et de la CGI -, Jérôme Bédier, président de la FCD, tenait une conférence de presse visant à prouver que l'industrie va bien mieux, côté rentabilité, qu'elle ne le dit. « Nous voulons donner des informations un peu qualifiées sur les résultats comparés entre les distributeurs et leur amont, a-t-il lancé. L'écart de rentabilité entre l'industrie et la distribution s'accentue depuis dix ans avec, aujourd'hui, un Ebit de 12,9 % pour les industriels, et de 3,7 % pour les distributeurs. La situation financière des grands industriels s'est améliorée et elle est particulièrement bonne. Or, on voudrait faire croire qu'il y a des petits fournisseurs apeurés et des distributeurs tout puissants ! Le but, on le sait, est de détricoter la loi de modernisation de l'économie à l'occasion de l'examen de la loi de modernisation agricole. »
Dans le panel : les trois grands groupes français - Carrefour, Auchan et Casino -, les géants mondiaux - Procter et Gamble, Coca-Cola, Unilever, Danone -, mais aussi les « petites »sociétés françaises cotées, comme Fleury Michon ou Bongrain. Celles-là ont toutes amélioré leurs résultats au cours des dix dernières années, par concentration sur les secteurs les plus rentables, ou par désinvestissement des secteurs en déclin. À l'inverse, les trois distributeurs ont vu leurs marges s'éroder depuis... 2004, année où Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Économie, avait exigé que la courbe de l'inflation des produits alimentaires soit cassée. Les lois Dutreil, Chatel, puis la LME suivront pour nourrir cette politique de concurrence et de baisse des prix. Résultat : l'écart de compétitivité entre les distributeurs français et les autres acteurs mondiaux n'a cessé de s'accentuer. « Aujourd'hui, il est plus rentable pour une enseigne d'investir en France qu'à l'étranger », souligne Jérôme Bédier. Le problème de relation commerciale se situerait-il alors du côté des PME ? Le patron des enseignes assure que non. « Elles sont au coeur de notre business model et nous permettent d'offrir un assortiment large et profond ! » Et de marteler que ce sont les grands industriels qui font concurrence aux PME et qui nuisent à leur place en rayon. Pas question donc de les laisser proclamer qu'ils vont très mal...