Olivier Picot (FNIL) : “L’industrie laitière est aussi en grande difficulté” [interview exclusive]
Alors que la crise du lait s’exacerbe, qu’industriels et producteurs rivalisent de communiqués sur les niveaux de prix, Olivier Picot, président de l’industriel laitière, considère que celle-ci traverse elle-même une phase extrêmement délicate.
Sylvain AUBRIL
\ 17h13
Sylvain AUBRIL
LSA : D’après la presse et les communiqués des syndicats agricoles, le prix payé par les industriels recule à nouveau en juillet. La crise est-elle en train de s’aggraver ?
Olivier Picot : La crise est effectivement de plus en plus aigüe, les prix atteignent un point bas et nous ne savons pas combien de temps encore elle va durer, c’est un fait. Mais il y en a un autre. C’est l’industrie laitière française qui paie aux producteurs le prix le plus élevé de toute l’Europe ! Ce sont les statistiques d’Eurostat qui le disent. Toutes les entreprises paient environ 20 % de plus que l’industrie laitière allemande à ses producteurs ! Et, ce n’est pas nouveau, puisque selon l’observatoire France Agrimer, nous payons plus cher que partout en Europe depuis depuis juin 2014 ! La crise frappe tout le monde, tous les producteurs, mais les producteurs français sont tout de même moins touchés que partout ailleurs dans le monde. Certains accusent la fin des quotas laitiers. C’est une des raisons, mais pas la seule. Lors des crises précédentes, en 2002 et 2008, les quotas laitiers étaient en place, et ils n’ont pas empêché les crises. Elles arrivent en raison des cycles de surproduction, et c’est le cas actuellement. Les politiques ne pensent qu’à réintroduire des quotas pour résoudre la crise, c’est surtout le résultat d’une méconnaissance profonde du fonctionnement de la filière laitière, mais c’est un fait qu’il y a aujourd’hui trop de lait.
LSA : La réaction des syndicats n’est-elle pas tout de même justifiée, compte tenu de leur situation ?
O.P. La réaction des syndicats agricoles est d’autant plus vive que les producteurs ont connu une année record en 2014, tant au niveau des volumes que des prix. Ils ont pu croire que cette année exceptionnelle pour leurs revenus deviendrait le standard pour les années suivantes, et les syndicats ont soutenu activement la croissance des volumes. Mais les cours sont volatiles et cette croissance des volumes pèse aujourd’hui très lourd sur les niveaux de prix, surtout dans un contexte de guerre des prix entre bassins laitiers en Europe et de bataille mondiale pour ce qui concerne les produits de commodité, le beurre et la poudre de lait.
LSA : La crise revient donc pour partie aux producteurs ?
O.P. Les crises de production sont inhérentes aux matières premières, ne cherchons pas de responsables. Mais la situation est plus préoccupante pour ceux qui à l’avenir doivent pérenniser la production laitière et son industrie. Compte tenu du faible rendement des exploitations, faute de capitaux, les producteurs les plus actifs n’investissent qu’en haut de cycle, quand les prix du lait sont élevés, et afin de ne pas payer d’impôt. Et quand le marché se retourne, ils ont énormément de mal à rembourser leur investissement ! C’est le contraire de ce que font les céréaliers ou les betteraviers, qui ont des capitaux, et qu’ils investissent plutôt en bas de cycle. La crise laitière est donc particulièrement injuste pour les producteurs les plus dynamiques. Alors que ceux qui n’ont pas investi, ni modernisé leur exploitation, parce qu’ils visent à sortir de la production laitière, traversent cette crise avec moins des difficultés. Ils n’ont aucun emprunt sur le futur à amortir.
LSA : La crise laitière touche-t-elle aussi les industriels ?
O.P. Evidemment et comment ! Non seulement l’industrie laitière privée - qui n’est pas le principal collecteur puisque ce sont les coopératives - paie le lait à un prix plus élevé que tous ses concurrents européens, mais en plus elle est contrainte par des contrats à cinq ans qui n’existent nulle part ailleurs dans le monde ! Les politiques qui se sont imaginés que les contrats à long terme règleraient tout sont les mêmes que ceux qui regrettent les quotas laitiers. Dans un contexte de forte volatilité, les contrats sont mal adaptés à la compétitivité de l’industrie laitière. Elle est en grande difficulté. Nous voudrions être traités de la même manière que les autres industriels européens. Or, nous payons le lait plus cher, et nous sommes confrontés à la distribution qui nous demande des baisses de tarifs alors que le prix des produits laitiers n’a jamais été aussi élevé dans les magasins ! Et l’écart s’accroît de manière insensée depuis la LME en 2008.
LSA : Les petits industriels doivent tout de même souffrir plus que les grands ?
O.P. Et bien non, pour l’instant, c’est le contraire. La crise touche tout le monde, mais à des moments différents. Ce sont les gros collecteurs, ceux qui vendent leurs produits sur le marché mondial, qui souffrent le plus de la crise. Ils en prennent plein la figure. Ils paient en moyenne le lait aux producteurs à 299 € les 1000 litres, et revendent l’équivalent en beurre et poudre de lait à 204 € ! Ceux qui vendent des produits laitiers de grande consommation perdent moins - ou devraient perdre un peu moins. Mais lorsque les cours vont remonter, ce sont ces derniers qui vont connaître les pires difficultés. Car si le marché mondial accepte immédiatement la hausse des cours, ce ne sera pas du tout le cas pour les fabriquants de produits de grande consommation, car la distribution refuse toute hausse de tarifs, quelque soit la situation, même si les cours à la production repartent à la hausse ! Il faut repasser par Monsieur Leclerc, lequel est fermé à toute discussion. Lorsqu’il faudra passer des hausses de tarifs, ces industriels pourraient souffrir.
LSA : La loi Sapin modifie une fois encore le cadre des relations commerciales, introduisant les prix payés aux producteurs dans les CGV. Qu’en pensez vous ?
O.P. L’idée de faire figurer un prix payé à la production dans les conditions générales de vente des industriels est tout simplement ridicule. Les industriels paient leur lait aux producteurs chaque mois, et ne savent pas quel sera le prix payé le mois suivant, puisqu’il tient compte de quantité de facteurs. Comment indiquer un prix à la fin des négociations, à fin février, pour toute l’année, alors qu’on ne connaît pas encore celui de mars ? On le voit déjà dans les contrats à cinq ans. Le prix du lait résulte du mix produit, beurre, poudre, lait liquide, fromage, exportation, grande distribution, Rhf… C’est très compliqué. Encore une fois, les politiques ne proposent pour solution que des emballages démagogiques. L’industrie laitière aide les producteurs à traverser la crise, mieux que partout ailleurs, et il y a aussi 60 000 salariés dans cette industrie dont il faut tenir compte.
LSA Le ministère de l’Agriculture s’apprête à publier un décret contraignant à préciser les mentions d’origine des produits entrant dans la composition des produits, y compris des produits laitiers. Quelles seront les conséquences ?
O.P. Faut-il vraiment en parler ? C”est sans doute la décision la plus déroutante jamais prise par un pays exportateur de produits laitiers, et qui est même le leader européen. Elle sera contreproductive. Comme il s’agit d’une mesure nationaliste, on va indiquer au consommateur français qu’il ne faut pas qu’il achète de produits d’importation. Les autres pays vont faire de même et réduire leurs importations de lait et de produits laitiers français. Si, au moins, la France n’était pas un pays exportateur de lait, peut-être y gagnerait-elle ? Mais vouloir être protectionniste et exportateur, n’est-ce pas schizophrène ? A moins que cela ne relève de la démagogie, de la méconnaissance du fonctionnement du marché. La mention d'origine ne répond en rien aux difficultés que traverse toute la filière…
Propos recueillis par Sylvain Aubril