Opération transparence
Faire oublier les crises alimentaires. Si l’impératif est commun à tous les acteurs du frais, les moyens pour le mettre en œuvre diffèrent. Multiplication des labels, culte d’une matière première irréprochable, fin du voile sur les intermédiaires… Autant de solutions pour tenter de rassurer des consommateurs parfois déboussolés.
\ 19h28
Le doute n’a plus sa place auprès du consommateur. À chaque achat, l’origine est scrutée, l’étiquette des ingrédients lue avec grande attention, chaque astérisque est décortiquée, et gare aux ingrédients ou aux mentions qui laissent perplexes… « Le scandale du horsegate a eu des conséquences sur l’ensemble des produits alimentaires. Ainsi, 50% des consommateurs ont des doutes sur le surimi » relève Nathalie Sicard, directrice marketing traiteur de la mer chez Fleury Michon. Horsegate, mais aussi E-coli, polémique sur l’alimentation des saumons norvégiens ou encore grippe aviaire… Ces récentes crises ont mis à mal les PGC. Il est aujourd’hui impératif pour les produits frais de redorer leur image ! Mais comment faire oublier les dérives de l’agroalimentaire La sécurité alimentaire est la réponse à toutes ces craintes. En février, soit tout juste un an après le scandale de la viande de cheval étiquetée comme du bœuf, une étude Ipsos montre que l’inquiétude à l’égard de la qualité des produits amène 81% des 1 008 Français sondés à accorder davantage d’importance à l’origine des produits et au lieu de fabrication (77%). Les solutions semblent toutes trouvées. Reste à savoir comment transcrire ces informations et les rendre compréhensibles…
Concernant l’origine des produits, les industriels ont su s’emparer de ce thème. Les filières françaises de viande garantissent, en effet, via un logo commun décliné pour chaque animal, l’origine de l’ensemble de leurs produits carnés. Marie, marque dans le giron de LDC depuis 2010, la précise désormais pour la totalité de ses plats cuisinés.
L’origine comme preuve
En allant plus loin, l’arme du local est aussi un bon argument de vente. Les fruits et légumes jouent aisément la carte du circuit court en saison. Florette, marque leader de la IVe gamme, estampille aussi, depuis juin, une partie de ses laitues et mâches en précisant le lieu de production et de préparation. L’indication géographique est, certes, un gage de qualité, mais aussi de terroir, les acteurs de la charcuterie vantent souvent le lieu de fabrication de leurs spécialités à ce titre. Cette idée d’origine comme preuve de la qualité d’un mets a été confirmée avec les labels, reconnus au niveau européen. Les produits vendus sous ces signes de qualité (label Rouge, IGP, AOP, etc.) progressent lentement mais sûrement : 2,5% des fruits et légumes en bénéficient, idem pour les viandes, 5,5% des produits de la mer et 11,3% des volumes de volailles, historiquement engagées dans cette démarche. « Le label Rouge est une exception colossale en France. On a su préserver un mode d’élevage respectueux qui fonctionne en termes de vente, surtout sur les pièces entières » constate Yves de La Fouchardière, directeur général de Loué.
« Il faut du tangible »
Mais n’utilise pas l’argument de l’origine qui veut. Pour les produits de la mer, par exemple, la traçabilité ne peut se résumer à l’origine des produits. C’est pourquoi Meralliance et Labeyrie, deux acteurs de poids dans ces linéaires, ont mis au point des démarches de traçabilité structurantes pour leurs approvisionnements. Le premier explique : « On peut aujourd’hui communiquer des données très précises sur les origines de la matière première utilisée, le bateau et le port de débarquement. Ces données sont imprimées au jet d’encre sur chaque produit de la gamme En direct des ports », explique Andrzej Dzieciolowski, directeur des engagements de l’entreprise chez Meralliance.
De son côté, Labeyrie a mis en place une démarche Certiconfiance en 2007 sur le foie gras et en 2010 sur le saumon. Avec Bureau Veritas, organisme certificateur, les deux acteurs ont élaboré un cahier des charges avec des critères supérieurs aux normes du marché en vigueur. L’initiative fait mouche : elle inspire d’ailleurs l’interprofession du foie gras, le Cifog, qui propose, sur la base du volontariat, des idées similaires concernant l’alimentation des canards ou encore les conditions de bien-être animal pour les cages collectives.
Seul bémol à ces dispositifs très louables : comment les relayer auprès du public sur le lieu de vente « Il faut du tangible, du pragmatique, martèle Jean-Christophe Bertrand, directeur marketing de Labeyrie. Notre logo Certiconfiance est toujours assorti de mentions concrètes très claires comme “ nourris sans OGM ni hormones de croissance ” ».
Si ces mentions permettent d’éclairer le chaland, valoriser les efforts en amont n’est pas toujours aisé. Saveol, firme spécialisée dans la commercialisation de tomates, a mis en place tout un programme pour réduire l’utilisation d’insecticides depuis 1985, en créant notamment son propre élevage d’insectes pour protéger ses cultures. Chacun de ses 130 producteurs est visité chaque semaine par des conseillers pour ajuster l’équilibre de la serre ; tout ce dispositif a permis de réduire de plus de 50% les pesticides utilisés. Mais pour valoriser ces bons résultats auprès des consommateurs, c’est une autre paire de manches…
La société a bien essayé de parler de ces insectes bénéfiques aux clients des GMS. « Ils n’ont pas vraiment compris, la démarche leur semble idéaliste », déplore Catherine Hetet, directrice qualité. Du coup, la société bretonne a décidé de faire venir le public dans ses serres pour mieux se rendre compte de l’importance de ces insectes (lire p.42).
Même déception chez Florette (groupe Agrial) qui s’est inscrite dans une démarche d’agriculture raisonnée nommée Leaf (« feuille » en anglais). Ce logo positionné sur les packagings de la marque a laissé les consommateurs perplexes… À tel point que la griffe a décidé d’arrêter la présence de cette mention, même si elle s’y attache toujours.
Convention nationale
Au sein de la filière fruits et légumes, les efforts de traçabilité sont, là aussi, réels, mais peu relayés. Trois fédérations du secteur ont signé avec la DGCCRF une convention nationale d’autocontrôle. Il s’agit d’une action volontaire que 220 sociétés ont adoptée. Celles-ci s’engagent à répondre, entre autres, à des normes en matière de qualité, d’hygiène, de sécurité sanitaire et de traçabilité. Et depuis 2010, soit juste après la crise E-coli, Interfel a approfondi cette démarche de traçabilité en identifiant dès le palox (caisse en bois dans laquelle les produits tout juste récoltés sont entassés) une codification. Les fruits et légumes sont donc identifiés dès le champ. « On peut savoir l’horaire de la cueillette à l’heure près dès l’arrivée du palox en station fruitière » assure Bruno Dupont, président d’Interfel. Quid de ces efforts pour le grand public « Les pommes et poires ont un discours pertinent sur leurs vergers écoresponsables. Notre autocontrôle sert surtout à prouver notre sérieux. C’est une démarche d’entreprises, ce n’est pas à nous de faire la lumière sur ce sujet… », explique-t-il.
Tordre le cou aux idées reçues
Pourtant, « les clients veulent comprendre, ils ont besoin d’être rassurés sur ce qu’il mange », rappelait Denis Lambert lors des résultats du groupe LDC, dont il est le président. En réaction au scandale de la viande de cheval, la filière viande a choisi une réponse intéressante : elle a décidé d’expliquer qui sont ces intermédiaires. Pour cela, pas de long discours, mais une invitation lancée sur un site dédié. Durant une semaine, les novices pourront partir à la rencontre des grossistes et autres chevillards pour comprendre les métiers et la nécessité de l’ensemble de ces maillons dans la filière.
Même logique chez Fleury Michon, excédée par les idées fausses véhiculées sur le surimi. Depuis un an, la société planche sur une communication adéquate : « Nous avons retiré de la recette de notre produit le sorbitol, les polyphosphates et les glutamates. Nous travaillons bien le surimi, mais le public n’en avait pas conscience », se lamente Nathalie Sicart, directrice marketing sur le traiteur de la mer. Qui a trouvé, en ce début d’année, une solution astucieuse : une campagne intitulée « Venezvérifier ». Sur un site dédié, des vidéos expliquent les différentes étapes de la fabrication du surimi, depuis les pêcheries en Alaska jusqu’à sa fabrication dans l’ouest de la France, où elle convie d’ailleurs le grand public et des bloggeurs triés sur le volet pour leur expliquer le procédé de fabrication. Et tordre le cou aux idées reçues sur ce produit qui sème parfois le trouble…

Le contexte
- Craintes : Au vu des récentes crises alimentaires, les consommateurs perdent confiance concernant produits industriels.
- Traçabilité : Les professionnels mettent l’accent sur les problématiques de traçabilité pour tenter de rassurer les clients.
- Pédagogie : Parler de sécurité alimentaire n’est pas aisé, la difficulté réside dans l’élaboration d’un message clair, vite compréhensible en rayons.
Élaborer des messages plus clairs
Le mieux est l’ennemi du bien. Les industriels ont beau connaître cet adage, difficile d’éviter certains écueils. Saveol et Florette l’ont bien compris, mais parfois à leurs dépens. Le premier est inscrit dans le plan Ecophyto 2018 dans le cadre du Grenelle de l’environnement. À ce titre, la firme bretonne a déjà réduit l’utilisation de produits phytosanitaires de plus de 50% en réintroduisant des insectes pour protéger ses cultures de tomates. Mais pour le client, difficile de comprendre ces histoires d’insectes… La firme s’est donc orientée sur des visites sur site, moyennant un coût de 2,5 M € pour pouvoir accueillir des visiteurs. Chez Florette, la démarche « Leaf », acronyme anglais qui prône une production raisonnée, n’a pas du tout fait sens auprès des clients. Résultat : la filiale d’Agrial poursuit ses efforts, mais a supprimé cette mention sur ses packagings. « En dehors du bio et du label Rouge, les autres repères sont confus pour le public », constate Hervé Dufoix, directeur marketing de Florette. La marque mise désormais sur le local.
Le culte des matières premières
Rassurer le client, parfois désorienté, passe par un retour au commencement : la matière première. Chez Meralliance, un site de traçabilité est dédié au consommateur, qui peut entrer son numéro de lot et savoir ainsi d’où vient précisément son saumon. La marque du groupe, Armoric, joue aussi sur la maîtrise de son approvisionnement avec la gamme « En direct du port » suivi du nom du lieu d’arrivage. Chez Labeyrie, la valorisation passe par sa démarche Certiconfiance, contrôlée en externe par Bureau Veritas. Au traiteur, difficile de valoriser l’ensemble des produits contenus. Marie (LDC) a toutefois fait le choix, pour les plats cuisinés, de sélectionner uniquement des viandes françaises. Un élément qu’elle souligne sur le packaging.
Quand les intermédiaires lèvent le voile
Avec le horsegate, les intermédiaires de l’agroalimentaire, peu connus du grand public, ont gagné… leur mauvaise réputation. Pour y remédier, la filière viande a décidé de réagir, en organisant les premières « Rencontres made in viande » au mois d’octobre 2014. Le principe ? Le public peut s’inscrire sur internet à des visites guidées auprès de différents acteurs de la filière, de l’éleveur au supermarché, en passant par l’abatteur, le grossiste…« On est toujours attaqués, nous voulions cette fois-ci revenir sur la force de notre filière en expliquant tous ses maillons. Il ne doit plus exister de trous noirs pour le client », espère Emmanuel Coste, président de la commission communication d’Interbev, l’interprofession des viandes. De son côté, Fleury Michon a pris à bras-le-corps les doutes du public sur le surimi avec une grande campagne intitulée « Venez vérifier ». Sa solution : organiser des visites depuis le lieu de pêche jusque dans les usines, et mandater des bloggeurs pour relayer cette information (ci-contre).
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