Panzani : "Il n’y aura pas assez de blé dur pour répondre à la demande", Xavier Riescher, DG France
Les industriels des pâtes tirent la sonnette d'alarme face à la la flambée des prix du blé dur et le risque de pénurie. Dans une interview accordée à LSA, Xavier Riescher, Directeur général France de Panzani, fait le point.
Sylvie Lavabre
\ 10h58
Sylvie Lavabre
LSA - Le syndicat des industries des pâtes alimentaires et de la semoule (USIFPAF-CFS) a alerté les pouvoirs publics sur la pénurie de blé dur. Quelle est la gravité de la situation ?
Xavier Riescher : Cet été, la récolte de blé dur a été exceptionnellement faible en France, en Europe et dans le monde. En France, la production est inférieure de 40% à la récolte d’il y a deux ans, celle de l’Europe a été de 7 millions de tonnes contre 8 millions les années précédentes. Fait nouveau, le Canada, dont la récolte s’est achevée il y a une semaine, a également souffert puisque la production n’a été que de 3,8 millions de tonne contre 6 millions l’année dernière. Or, le Canada représente à lui tout seul les 2/3 du commerce mondial de blé dur. A l’échelle du monde, la production de blé dur représentera cette année 33 millions de tonnes alors que la consommation mondiale est de 38 millions de tonnes. Il manque donc 5 millions qui seront compensées en partie par les stocks (à hauteur de 2 millions de tonnes), stocks qui sont historiquement bas puisqu’ils vont descendre à 15 % de la production alors que le seuil de sécurité se situe à 20. Au final, pour parler clair, il n’y aura pas assez de blé dur pour répondre à la demande et il va manquer 3 millions de tonnes de blé dur par rapport aux besoins mondiaux de la consommation.
LSA - Quelles sont les conséquences de cette pénurie ?
X.R. : Il va y avoir des arbitrages en fonction des pays. Certains pays de la zone Afrique vont substituer le riz ou le mil au blé dur. D’autres pays de la zone Afrique, la Turquie, et des pays d’Europe du Nord comme l’Allemagne par exemple, pourraient utiliser tout ou partie du blé tendre pour faire des pâtes, ce qui est totalement interdit par la loi en France, en Italie et en Espagne car les pâtes obtenues sont collantes et de mauvaise qualité. Pour d’autres pays, ce sera la pénurie. En France les distributeurs en subissent déjà les conséquences, certains ne sont plus livrés par leurs fournisseurs. Cette crise rappelle celle de 2007 qui avait touché toutes les céréales. La grande distribution n’avait plus été livrée ou à des prix inaccessibles.
LSA - Quelle est la qualité du blé dur récolté ?
X.R. : Il a beaucoup plu à la floraison et pendant la moisson. Une grosse partie du blé a germé et ne passe pas par les machines. Au final, c’est un tiers de la production française, soit 500 000 tonnes qui vont partir dans la consommation animale. C’est vrai aussi pour le Canada où 25 % de la récolte ne sera pas utilisable. Le blé dur de qualité se fait rare et voit donc ses prix flamber.
LSA - Etes-vous couverts contre ces fluctuations ?
X.R. : Personne n’est couvert face à un phénomène d’une telle amplitude. Contrairement au blé tendre, il n’y a pas de marché à termes et, à part les coopératives, personne n’a des capacités de stockage nécessaires. Aujourd’hui il y a un vent de panique. Un trader a même annoncé à son client qu’il allait décaler sa livraison à l’année prochaine. Tout le monde est en recherche. Nous sommes tous les jours sur le marché pour essayer d’acheter du blé dur !
LSA - Où vous approvisionnez-vous ?
X.R. : Panzani s’approvisionne majoritairement en France, en Espagne et au Canada. Nous en achetons 500 000 tonnes par an. En France la production représentait 2,5 millions de tonnes l’an dernier et à peine 1,5 million cette année. Il faut dire que les agriculteurs ont beaucoup diminué les surfaces en blé dur au profit de cultures plus rentables et moins fragiles comme le maïs dans le sud-ouest où le riz en Italie. La Botte a atteint son plus bas niveau historique depuis 1945 en termes de surfaces cultivées en blé dur.
LSA - Le Syndicat a évoqué la nécessité d’un plan d’urgence. Qu’attendez-vous des pouvoirs publics exactement ?
X.R. : Nous attendons en premier lieu qu’ils fluidifient les marchés en amont pour privilégier les industriels français et éviter que certains acteurs soient dans des logiques spéculatives. Nous souhaitons ensuite qu’ils favorisent la culture du blé dur en accordant des subventions. Derrière, tout cela, il y a des enjeux sur le plat de base préféré des français, les pâtes, un produit qui a 98% de pénétration, consommé à hauteur de 8kg par habitant, et qui est le plat le moins cher au kilo de tous. Il est capital que l’on continue à avoir une industrie qui protège les agriculteurs et favorise la production en France. Enfin et surtout, nous demandons à ce que la hausse du prix de la matière première soit immédiatement répercutée, conformément à la loi Hamon, qui prévoit l’obligation pour les distributeurs de renégocier les tarifs dans les deux mois suivant la forte hausse des cours.