Pénalités logistiques: d'abord, l'application de la loi [Edito]
Les industriels de l’agroalimentaire ne cessent de réclamer la suspension des pénalités logistiques. Et pour obtenir gain de cause, ils égrènent les difficultés d’approvisionnement comme les tensions sur les matières premières agricoles, l’augmentation du coût des matières premières industrielles, notamment de l’énergie, la difficulté de recrutement ou la pénurie de chauffeurs. La liste est longue. Mais surtout, des pratiques seraient abusives et contraires à la loi et aux lignes directrices de la DGCCRF. Selon Bercy, les signalements se sont multipliés et des manquements manifestes aux obligations légales ont été signalés. Plusieurs procédures d’injonction administrative sous astreinte financière seraient même engagées. Il est évident qu’une amende de 2 500 euros, soit 1 % du montant livré, pour une heure vingt-trois de retard est ahurissant. Comme il est extravagant de réclamer 4 500 euros pour un retard d’une heure trente. Et que dire de 95 euros pour trois minutes !
Rappelons que si la loi précise que les contrats peuvent prévoir la fixation de pénalités en cas d’inexécution d’engagements contractuels, elle dit aussi que les demandes de taux de service proches de 100 % sont en général considérées comme abusives et non conformes à la loi Egalim 2. Et elle dit surtout qu’une pénalité ne peut être imposée en l’absence de préjudice, que la charge de la preuve repose sur celui qui invoque le préjudice, qui doit en démontrer la matérialité et le montant, et établir la causalité entre ce préjudice et le manquement contractuel du fournisseur. Dont acte.
Pour calmer le jeu, plusieurs ministres souhaitent que les distributeurs appliquent d’eux-mêmes un moratoire. Mais cette question n’est pas aussi binaire que certains le croient, avec les bons d’un côté et les méchants de l’autre. Certes, il faut tout faire pour bannir les pénalités hors la loi. Mais, à l’inverse, il est à craindre que, sans pénalités, les taux de service ne soient plus au rendez-vous… De plus, la question n’est pas de savoir si les enseignes gèrent mal leurs stocks. Il revient aux distributeurs d’établir le niveau de stock souhaité avec, d’un côté, le désir de flux tendu et, de l’autre, par exemple, l’envie de se constituer des stocks de précaution et même spéculatifs. Donc on ne peut se baser sur cet indicateur (les ruptures en rayons) pour exonérer un industriel de tout respect de ses engagements de livraison (les manquements aux quais).
On le voit, ce thème est extrêmement complexe et entre ceux qui évoquent le rôle de régulation des pénalités et ceux qui répliquent qu’elles ne peuvent pas être un élément de trésorerie, chacun avance des arguments recevables. Et même si la pénalité est trop souvent la sanction d’un défaut d’engagement contractuel et non la sanction d’un préjudice, l’idée d’un moratoire n’est pas forcément la bonne. En revanche, le gouvernement est dans le vrai lorsqu’il demande d’abord un « esprit de responsabilité » tout en poussant plus que jamais la DGCCRF à traquer les abus et à les pénaliser. Car, une fois de plus, tout passe par l’application de la loi en vigueur (l’article L.441-17 du code du commerce crée par la loi Egalim 2) et non par la création de nouvelles lois.
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@pugetyves